Alexandre Mathieu est le nom du CRS qui a éborgné Laurent Théron le 15 septembre 2016 à Paris, Place de la République, en lançant dans une foule éparse une grenade à main de désencerclement (GMD). Il comparaissait aux Assises de Paris du 12 au 14 décembre 2022 pour « blessures volontaires ayant entraîné une infirmité permanente » (lire notre appel). Dans cet article, nous l’appellerons l’éborgneur, puisque sa responsabilité dans la mutilation de Laurent n’est pas mise en doute.
MAJ du 26/12/2022 – Le Parquet Général avait 10 jours pour faire appel de la décision. Il semble avoir préféré céder au chantage permanent des syndicats de police et aux logiques d’impunité qui gouvernent « l’Etat de droit ». La police peut donc continuer de lancer des bombes dans la foule.
Caliméro parmi les CRS : le CV de l’éborgneur
Au cours de la première journée d’audience, la juge procède au tirage au sort des jurés. Le seul juré au nom arabe est immédiatement récusé par l’avocat de l’éborgneur, Laurent-Franck Liénard. Puis la juge expose les faits, avant de donner la parole à l’accusé.
Debout à la barre, se tenant les mains dans le dos, le grand dadais au physique de contrôleur de gestion cache mal sa rigidité émotionnelle. Il est le portrait craché de Felonius Gru, le personnage du demi-méchant dans « Moi, moche et méchant ». Froissant son nez pour remettre en place ses lunettes, il jette régulièrement des regards sans lueur vers les bancs de la partie civile. Tentant maladroitement d’exprimer de la compassion, l’éborgneur formule des excuses hâtives et peu convaincantes, probablement motivées par la seule volonté d’attendrir la cour, dans la continuité de la lettre qu’il avait stratégiquement adressé à Laurent en octobre 2018.
Une assistante sociale et deux psychologues se succéderont d’ailleurs à la barre pour renforcer le trait, en présentant l’éborgneur comme un tendre humaniste, volant au secours de son prochain, ayant même sauvé une collègue du suicide et recueilli chez lui un enfant handicapé. On sait avec qui roulent les experts judiciaires. Avec ce cynisme qui lui est propre, l’avocat Liénard commentera même :
« À vous entendre, on dirait que vous parlez d’une victime » – Laurent-Franck Liénard, avocat d’Alexandre Mathieu
Dans la salle derrière l’éborgneur, toute la partie droite de l’auditoire est constituée de ses proches, ainsi que de ses collègues, alignés comme autant de cubes de béton, avec mines patibulaires et mâchoires serrées. L’un d’eux, celui qui ressemble le plus à un taureau gonflé aux protéines, porte un gros tatouage Viking sur le cou. Autant dire que cette moitié du public respire davantage la testostérone et l’esprit de corps que la sensibilité et l’empathie, qui caractérise plutôt le reste de l’auditoire venu en soutien à Laurent. Parmi les flics, on identifie rapidement Linda Kebbab et Grégory Joron, délégués syndicaux de Unité SGP, ce même syndicat qui s’est choisi comme délégué syndical l’assassin d’Amine Bentounsi suite à sa condamnation, mais aussi Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d’Alliance. L’acteur Samuel Le Bihan passe aussi s’asseoir parmi les policiers : à force de trop jouer des flics au cinéma, on peut se demander s’il n’aurait pas raté une vocation…
En 1995, qui est aussi l’année où la grenade à main « de désencerclement » DMP/95 est inventée, l’éborgneur Mathieu passe une première fois le concours de police, cherchant « un peu plus d’action dans sa vie » tout en souhaitant « contribuer au vivre ensemble ». « J’aime le contact avec les gens », dit-il, et « dans la police, on est des acteurs sociaux » (sic). Il obtient la note médiocre de 4,25/20 à l’oral, ce qui lui vaut d’être recalé au concours, qu’il obtient néanmoins l’année suivante. Sa vivacité intellectuelle ayant semble-t-il été reconnue, il servira ensuite 19 ans dans la BAC, unité à la réputation peu reluisante dont il ne prononcera jamais le sigle, préfèrant parler de « brigade nuit » et de « police secours ».
« Candidat rigide qui semble très contrôlé et limite considérablement les investigations du (illisible). Peut présenter des difficultés à être commandé » – Note du service de recrutement suite à son examen oral, 15 mars 1995
Le 1er septembre 2016, il rejoint les rangs de la CRS 07 de Deuil-la-Barre. La motivation de cette mutation : un meilleur salaire. Mathieu participe d’abord à des missions de sécurisation de foires, avant de faire une journée de mise en condition à Calais, terrain bien connu de la chasse républicaine aux migrant-e-s. Là, de ses propres mots, il apprend tout juste à chausser ses jambières et sa cuirasse avant d’être propulsé chef de groupe, et alors même qu’il n’a eu aucune formation au maintien de l’ordre. L’un de ses collègues, qui passera à la barre comme témoin au deuxième jour du procès, dira que cette journée à Calais « s’est bien passée », alors même que Mathieu prétend que leur unité y aurait été attaquée par des migrants pendant sa pause déjeuner. La police harcelée par les migrants, on aura tout entendu…
Les faits conduisant à la mutilation
Le 15 septembre de la même année, soit à peine deux semaines plus tard, la CRS 07 est déployée pour réprimer le cortège de la manifestation parisienne contre la Loi Travail. Entre 16h et 17h, elle intervient sur la place de la République pour dégager une unité de gendarmes mobiles coincés dans la bouche de métro centrale. Vers 16h10, elle est accueillie par un jet de cocktail molotov, qui nécessite l’évacuation d’un collègue de leur unité. C’est à ce moment-là que le désir d’action du CRS Mathieu va se trouver récompensé. A nouveau parachuté chef de groupe par ses supérieurs Thorel et Tomi, alors qu’il n’a toujours pas été officiellement formé au maintien de l’ordre, il accompagne un collègue au camion pour l’aider à ravitailler son unité en grenades lacrymogènes MP7 et en grenades de désencerclement DMP/95. Alors qu’ils reviennent sur le centre de la place, Mathieu décidera de garder une grenade DMP/95 avec lui, en plus de deux grenades MP7. Son collègue affirme qu’il lui aurait alors bien indiqué la nécessité de respecter le protocole consistant à faire rouler la grenade au sol. Comme si Mathieu n’avait jamais entendu parler de cette grenade au cours de sa dernière décennie à la BAC…
A 16h53, soit trois quarts d’heure après l’incident du cocktail molotov, la CRS 07 procède à un « bond offensif » de l’ouest vers l’est de l’esplanade (d’une rangée d’arbres à l’autre), sur le périmètre situé entre la bouche de métro et le skatepark, où à cet instant précis il n’y a quasiment personne, si ce n’est une dizaine de personnes clairsemées. Au cours de cette brève et brusque ruée, Alexandre Mathieu lance la grenade DMP/95 en cloche à 2-3 mètres hauteur vers un banc à côté duquel se trouve Laurent Théron, à moins d’une quinzaine de mètres de la CRS 07. L’explosion laisse Laurent éborgné (lire notre article de 2017 et voir nos interviews). Les CRS ne jugeront pas utile de le secourir, bloquant même l’accès aux secours. Il affirmeront à l’audience qu’ils n’ont pas entendu l’explosion ni vu le blessé. Ce qui sera infirmé par l’un des deux inspecteurs de l’IGPN qui ont travaillé sur ce dossier à la demande des juges d’instruction :
« Sur une distance de 14 mètres on voit bien quelqu’un part terre. Il n’y avait pas foule. » – Inspecteur de l’IGPN
Appelés à la barre le premier jour du procès, ces deux inspecteurs livrent en effet un récit circonstancié des faits, accablant pour Alexandre Mathieu.
« Ce qu’on voit sur les images, c’est une foule éparse, des gens assis en train de boire… et que les événements se sont tassés. » – Inspecteur de l’IGPN
Liénard tente dans un premier temps de détourner l’attention de la cour pour orienter vers la légitime défense, affirmant que la CRS 07 était alors prise à partie par une foule hostile. Il éructe, brandissant des captures d’écran floues sur lequel il s’obstine à identifier « cinq individus hostiles » (on est bien loin du « black bloc »), harcelant les enquêteurs, cherchant ainsi à justifier l’état de nécessité ou la légitime défense au moment du lancer de grenade.
« Vous avez le sentiment de bien avoir fait votre boulot ? » – Laurent-Franck Liénard, avocat d’Alexandre Mathieu
La juge donne alors l’impression d’être irritée par Liénard, qui s’appuie sur des photos n’ayant pas été communiquée au dossier :
« Vous parlez en l’air, ce n’est pas la procédure. L’enquêteur ne répond pas sur des éléments dont il n’a pas connaissance. » – Catherine Sultan, présidente de la Cour d’Assises
Malgré le forcing agressif de l’avocat Liénard, les enquêteurs de l’IGPN persistent à ne voir aucune foule hostile ni aucune pluie de projectiles sur la CRS 07 au moment des faits. Parmi les collègues de l’éborgneur présents dans la salle, ça s’impatiente et des insultes sont entendues, qualifiant les enquêteurs de « bâtards ». Quand l’omerta n’est pas systématique, les flics s’agacent…
Dans la foulée et jusqu’au lendemain matin, les experts balistiques viendront confirmer la dangerosité de l’arme et l’irrégularité du lancer, confirmant de manière irréfutable la culpabilité de l’éborgneur Mathieu. Il est établi que la grenade a été lancée sans raison et de manière volontaire, en infraction avec les protocoles d’utilisation et alors que son lanceur n’était ni formé au maintien de l’ordre, ni habilité à l’utilisation de cette arme.
Pourtant, Liénard tente l’esbroufe, en suggérant avec l’indécence qui le caractérise que l’expert aurait pu confondre la grenade avec l’un des tirs de LBD 40 effectués par la CSI 75 depuis l’arrière du skatepark. En vain :
« Pas de doute sur l’objet qui vole, et fume et qui est sans aucun doute une grenade de désencerclement » – Expert balistique
Il essayera également de suggérer que la grenade était défectueuse, mais l’expert lui oppose un argument d’autorité : si il y avait eu un dysfonctionnement de la grenade, celle-ci aurait causé moins de dégâts, pas davantage. Liénard ne fait pas du droit, il essaye tout et n’importe quoi, abattant l’une après l’autre les cartes de ce qui ressemble à une très mauvaise main dans un jeu plus que sordide…
« Je pense qu’il y a eu un compromis entre la dangerosité et l’efficacité pour les forces de l’ordre en manifestations » – Expert balistique
A l’issue de la première journée d’audience, on comprend ainsi que la menace n’est ni réelle ni imminente, que la riposte n’est ni immédiate, ni nécessaire, ni proportionnée : l’éborgneur ne coche aucune des cases nécessaires pour bénéficier d’une exonération de responsabilité au titre de la légitime défense ou de l’état de nécessité.
Plan élaboré par l’expert balistique
Plan de déploiement des effectifs CRS, GM et CSI établi par la DOPC
Vidéo prise au moment des faits par La Clameur
Plan de situation indiquant les positions des protagonistes, la direction du bond offensif par la CRS 07 et du lancer de grenade, ainsi que la localisation de la CSI 75 à l’endroit de la menace supposée.
Une parenthèse d’humanité dans un procès-spectacle
Au deuxième jour du procès, on commence avec le témoignage de la juge d’instruction, qui prend la parole sur le mauvais dossier, à savoir celui de Franck Didron, éborgné par un tir de LBD le 1er décembre 2018. Etre à ce point hors sujet, c’est acablant.
Puis la parole est à la partie civile. Laurent décrit les conséquences de sa blessure :
« Immédiatement après le choc, vient la peur de mourir. J’ai travaillé en bloc opératoire pédiatrique, j’ai vu ce que c’est que d’ouvrir une boite crânienne, pour une urgence vitale. Parfois on va pas assez vite. Au moment ou on m’arrache l’œil, je me dis, c’est grave […] Un œil c’est auto-nettoyant. Je n’ai plus cette fonction. Tous les matins, je dois me nettoyer, jusqu’à 10/12 fois par jour quand l’air est chaud. J’aimerais oublier le 15 septembre 2016, Mr Mathieu. Mais tous les jours le miroir, tous les jours il faut que je recommence […] Vivre avec un œil, c’est apprendre à vivre avec un nouveau corps. Tout est compliqué. J’ai eu 5 accrochages en 4 ans avec ma voiture, et mon assurance m’a lâché. GMF, « assurément humain » […] C’est ça qu’il faut que vous compreniez Mr Mathieu, la violence. Les effets sur ma vie privée. Ma famille et mes enfants que j’emmène chez le psy. Mon travail, mes deux ans d’arrêt maladie. La douleur. Le miroir. La dépression […] » – Laurent Théron
Il parle aussi de la lettre que Mathieu lui a envoyé 2 ans après les faits :
« Je n’y ai pas lu de sincérité, c’est une suite de propos dé-responsabilisants. Dans une lettre d’excuse, il faut reconnaître ce qu’on a fait […] Le contenu ne m’a pas plu. Vous dites que rien ne s’est passé normalement. Qu’est-ce que je devrais dire? Vous évoquez un risque terroriste à l’époque et que vous êtes là pour protéger. Mais qui a jeté une bombe dans la foule ? […] Je n’ai pas d’esprit de vengeance, de revanche. Ce serait un échec que vous alliez en prison, j’aime trop la liberté pour espérer que vous y alliez […] Je pardonnerais, quand j’aurais envie de pardonner. Pas avec une main tendue, pas avec une lettre dans laquelle il n’y a aucune sincérité. Je le ferais pour moi, quand je serais prêt, pour ne plus avoir Alexandre Mathieu dans la tête […] Je voudrais qu’il comprenne ce qui s’est passé, parce que des paroles d’excuse, ça ne suffit pas. La douleur immense, au moment de l’impact. Même pour moi, les images sont dures. Je ne voulais pas les voir. La manière dont j’y exprime ma douleur, c’est assez incroyable. » – Laurent Théron
Il tente ensuite de parler des violences policières en général et de ce qu’il a découvert dans les années de luttes et de rencontres qui ont suivi, de parler pour tou·te·s celles et ceux qui n’ont pas eu de procès, mais la juge l’interrompt pour exiger qu’il s’en tienne aux faits.
On retiendra : la juge interrompt la victime. C’est le signe pour nous que le procès doit suivre la trame que la cour lui a fixé. C’est aussi à ce moment qu’on retombe les pieds sur Terre : le procès n’est pas là pour rendre justice à la victime, mais pour déterminer ce qui pourrait disculper son agresseur.
Liénard ne peut s’empêcher de prendre la parole, cynique :
« Vous n’avez pas envie de pardonner à un homme qui vous tend la main ? » – Laurent-Franck Liénard, avocat d’Alexandre Mathieu
Se présentent ensuite à la barre les trois témoins de la partie civile.
Le premier, membre du collectif Désarmons-les!, mentionne sa première rencontre avec Laurent au lendemain de sa blessure, à l’occasion du « procès du Flash Ball » à Bobigny en novembre 2016, avant de déclarer qu’on ne peut parler de Laurent sans parler de la grenade. Il rappelle qu’il s’agit d’une arme de guerre, d’une grenade « à fragmentation », qui fragmente les vies qu’elle touche. Il évoque le 1er mai 2016, à l’occasion duquel la manifestation avait été encerclée puis attaquée à coup de grenades. Près d’une dizaine de grenades lancées à hauteur de visage. Il précise que le collectif a commencé à travailler sur cette grenade à ce moment-là, et que lui-même a suivi une formation en balistique lésionnelle au cours de laquelle il a pu constater que l’IRCGN s’était appuyé sur le travail de Désarmons-les! Il évoque la blessure de Romain Dussaux, gravement blessé et tombé dans le coma le 26 mai 2016, avant de rappeler qu’il y a eu au total treize personnes éborgnées par la GMD.
« Avec Laurent, nous avons mené toutes les batailles et beaucoup appris. Nous ne sommes pas juste militants, mais nous sommes aussi juristes, psychologues, experts. On a rencontré près de 2/3 des personnes mutilées depuis 20 ans. On partage leurs traumatismes. Nous portons un traumatisme collectif » – Cédric, témoin de la partie civile
A plusieurs reprises, la juge l’interrompt pour lui rappeler qu’il n’est pas à sa place. Elle finit par le couper, en demandant à la cour, au procureur et aux avocats s’il y a des questions. Pas de questions.
Le second, membre de l’Assemblée des Blessé-e-s et lui-même blessé par un tir de LBD en 2007, s’emploie à faire un rappel historique sur l’utilisation des grenades, tout en précisant qu’elles sont pensées comme des armes à effet psychologique, dont l’objectif est d’en blesser un pour faire peur à tous les autres. Il parle de son expérience personnelle en tant que mutilé, qui l’a amené à en faire son sujet d’études et à publier deux ouvrages sur la militarisation du maintien de l’ordre. Il est interrompu à son tour avant d’avoir pu terminer son propos.
« Ces grenades, instaurées par Sarkozy, on été notamment introduites et généralisées dans les brigades de nuit. On ne peut pas faire 20 ans dans la BAC sans connaître la dangerosité des grenades de désencerclement. » – Pierre, témoin de la partie civile
La troisième, blessée au tibia par un jet de grenade de désencerclement en 2016, rappelle le traumatisme vécu, précisant qu’il s’agit d’une blessure de guerre nécessitant une prise en charge dans un hopital militaire. Elle raconte que les médecins lui ont demandé si elle avait été blessée en service et que des traces d’explosifs ont été recueillis dans la blessure : le C4 a laissé un tatouage traumatique qui restera pour toujours.
« On a tous été condamnés à la mutilation à vie. » – Roxane, témoin de la partie civile
Le même jour, l’experte psychiatre qui a auditionné Laurent durant l’instruction livre son compte-rendu depuis l’écran où elle intervient en visio-conférence. Ce témoignage s’avèrera être l’un des moments les plus violents de ce procès. Elle commence par décrire sa jeunesse, décrivant Laurent comme une personne déclassée écoutant de la « musique violente », qualifiant la scène punk où il évoluait alors de « mouvement sectaire », avant d’affirmer que son mariage lui aurait permis ensuite de se stabiliser. La psychiatre continue en prêtant à Laurent des sentiments de « colère » et de « haine », tandis que la blessure l’aurait réconcilié avec son père policier, tandis que son épouse aurait demandé le divorce, alors que c’est l’exacte situation inverse qui s’est produite. Les soutiens de Laurent s’indignent de cet insupportable témoignage, affabulatoire et à charge, tandis que son avocate qualifie celui-ci de « nouvelle violence contre lui », applaudie par le public pour ce revers d’humanité. Mais le mal est fait et Laurent quitte la salle sous le choc.
On sent que doucement les rôles s’inversent : la victime est mise à l’index, tandis que l’agresseur bénéficie d’une étonnante indulgence eut égard à la violence de son acte.
Le storytelling bancal de la défense policière
L’après-midi du deuxième jour, la défense contre-attaque. Toute la hiérarchie défile à la barre, à commencer par le commandement des CRS parisiens, puis les officiers du centre opérationnel et les chefs de la CRS 07. Ils apportent avec eux leur jargon policier, revenant sans cesse sur le cadre général de la manifestation du 15 septembre 2016, tout en restant extrêmement vagues et contradictoires sur le moment du lancer de grenade. L’objectif : détourner l’attention en larmoyant sur la difficulté du métier, les CRS qualifiant à plusieurs reprises cette journée d’une des pires de leur carrière. Absurde quand on sait l’intensité des affrontements au cours du printemps précédent, en rien comparable avec cette journée de septembre, qui sonnait le glas d’un mouvement déjà épuisé et férocement réprimé avant l’été.
Tout ne tourne qu’autour du cocktail Molotov de 16h10, qui se transforme au cours des témoignages en « pluie », « nuée » ou « tas » de cocktails Molotov, à laquelle s’ajoutent « bâtons », « barres de fer » « planches à clous », « pots de moutarde » et « boules de pétanque » (c’est le sac de Mary Poppins). On croirait à les entendre que le déluge s’est abattu sur la CRS 07 ce jour-là, quand bien-même les images montrent tout à fait autre chose. Il est aussi question dans la bouche de ces témoins de « nébuleuses hostiles », de « bouchons d’hostilité » ou encore de « publics hostiles » et de « gens qui réalisent des hostilités », « d’éléments à risque », de « casseurs », « perturbateurs », « fauteurs de troubles » ou éventuellement de « black blocs », qui présenteraient une menace obscure localisée derrière le skatepark, où la CSI 75 serait déjà aux prises avec 100 à 200 individus qu’on n’aperçoit nullement sur les images.
Quoi qu’il en soit, personne ne questionne vraiment le fait que le fameux « bond offensif » de 16h53, qui aboutira sur la mutilation de Laurent, n’est dirigé ni vers le skatepark, ni vers une quelconque « zone d’hostilité », mais vers le centre d’une place quasi déserte où Laurent et quelques autres personnes évoluent de façon éparse. Le capitaine parle néanmoins d’un « mouvement qui fondait sur nous », semblant totalement à l’aise avec le fait de mentir de manière aussi éhontée à la barre. A l’écoute soporifique des témoignages redondants de tous les collègues de l’accusé, on oublie doucement que le CRS Mathieu a piqué une grenade dans l’arsenal, qu’il l’a jeté sans ordre, en dépit du protocole, sur des personnes non hostiles et alors que rien ne le justifiait.
« Le bond offensif n’est pas une charge. C’est un effet visuel de masse, on ne va pas au contact, pour garder la distance entre les « nébuleuses » et les effectifs » – Léon Rentmeister, commandant de la CRS 07
Par ailleurs, les officiers créent la confusion en mixant leurs cadres administratifs avec les cadres juridiques, parlant de « cadre d’action » et de « cadre de réaction » plutôt que d’état de nécessité, de légitime défense ou de commandement de l’autorité légitime. Mais qu’importe l’analyse rationnelle et juridique des faits, puisque l’épouvantail a pris sa place comme témoin à la barre. On comprend que s’il y a eu un cocktail Molotov lancé sur la compagnie plus tôt dans la journée, cela semble justifier l’usage des armes de manière indiscriminée et en représailles contre le reste de la foule plusieurs minutes ou heures plus tard…
Peu avant 20 heures, la juge annonce une nouvelle suspension d’audience avant l’audition de l’éborgneur Mathieu. Liénard demande alors à la cour de visionner une vidéo qu’il a placé sur une clé USB. Son intention est très claire : finir de détourner l’attention des jurés des questions juridiques de fonds, pour leur imprimer dans la tête les images du policier atteint par le lancer de cocktail Molotov et des quelques manifestants encapuchonés qu’il a pu détecter ça et là sur les vidéos.
La crapulerie de sa stratégie sensationnaliste atteint alors son paroxysme : cette séquence vidéo est un montage d’images sorties de leur contexte, sans aucun horodatage, sans même que l’on puisse garantir qu’elle ont été prises ce jour-là. Hallucinant : la présidente Catherine Sultan ne fait aucune difficulté pour que ce montage crapuleux soit diffusé sur les écrans géants de la salle d’audience. D’ordinaire, n’importe quelle cour correctionnelle refuse de prendre en compte comme élément probant la moindre séquence vidéo isolée, encore moins une séquence qui a fait l’objet de coupes et de montage. Elle autorisera également Liénard a brandir des photos agrandies de personnes floues, au visage dissimulé, pour accompagner sa démonstration. La présidente de la cour d’assises a clairement, par ces décisions, montré son vrai visage de partialité.
Finalement, la journée se termine par les boniments d’Alexandre Mathieu, qui raconte qu’il avait commencé la journée comme « observateur » et « détecteur de fauteurs de troubles« . Puis, en état « d’hypervigilance » suite au cocktail Molotov, il aurait assimilé un « bruit de verre cassé » derrière lui à « un cocktail Molotov qui a foiré ». Il aurait alors lancé la grenade sans intention de blesser, comptant sur le caractère détonant de la grenade pour disperser le groupe situé en face à droite de son unité, mais il aurait alors raté son lancer, qui serait parti en cloche vers sa gauche, plutôt qu’au sol vers sa droite. Comme l’un de ses collègues semblait lui suggérer plus tôt dans l’après-midi, il aurait « ouvert sa main trop tard » et la grenade aurait alors suivi une trajectoire parabolique. Allons bon. Toute personne douée de raison se dit à ce moment là que l’éborgneur Mathieu se fout de la gueule du monde…
Quand il lui est demandé pourquoi il n’a pas fait usage des grenades lacrymogènes en sa possession, Mathieu répond qu’il avait « entendu quelqu’un » dire « plus de lacrymo » du fait que l’air était déjà trop saturé. Encore une fois, les vidéos démontrent l’inverse. Liénard l’a bien briefé sur la stratégie : dire tout et n’importe quoi. Plus c’est gros, plus ça passe.
Dans ses errements, Mathieu admettra qu’il a subi une « sensibilisation » à la GMD plusieurs années plus tôt alors qu’il était dans la BAC, et ajoutera sans tressaillir :
« Cette grenade est très dangereuse y compris lorsqu’elle est roulée au sol, raison pour laquelle elle a finalement été retirée, et c’est une bonne chose » – Alexandre Mathieu, CRS responsable de la mutilation de Laurent Théron
Gentil policier, méchante grenade. Sans compter que ce modèle a aussitôt été remplacé par un autre engin de mort tout aussi dangereux, la GENL.
Nulle preuve ne s’impose à l’intime conviction du juge et des jurés
Le troisième jour du procès, c’est le moment des plaidoiries. Durant près de deux heures, la cour fait la lecture d’autres témoignages de policiers, matraquant à nouveau le récit mensonger de la CRS 07, sans qu’il n’y ait de contradiction possible, puisqu’aucune question ne peut être posée à ces témoins absents.
En réalité, à ce stade du procès, le sort en est déjà jeté. Les plaidoiries, aussi éloquentes soient-elles, n’infléchiront que très peu la conviction de la cour et des jurés, qui s’est forgée lors des débats contradictoires antérieurs.
Lucie Simon, avocate de Laurent, plaide avec brio, s’appuyant sur le droit et la logique pour dénoncer à la fois la stratégie a-juridique de Liénard, ainsi que toutes les incohérences des témoignages entendus les deux jours précédents :
« Ce que je vous demande, c’est être exemplaire. C’est de faire du droit. C’est aux antipodes du sensationnalisme comme la défense tente de le faire depuis hier. Le droit, ce n’est pas l’effet tunnel. Le droit, ce n’est pas l’hypervigilance. Ce n’est pas le père de famille sous l’armure de CRS. Ce n’est pas la photo de Paris Match. Le droit, ce sont mes questions incessantes sur la temporalité… » – Lucie Simon, avocate de Laurent Théron
Elle martèle les conditions juridiques pour que la légitime défense puisse être invoquée, rappelant les clauses exonératoire de responsabilité qui doivent être cumulées pour qu’elle s’applique : réalité et imminence de la menace, nécessité, simultanéité et proportionnalité de la riposte.
« Alexandre Mathieu a dit qu’il “visait des personnes” et que, malheureusement, il les a raté. Des personnes avec un visage dissimulé. Ça m’inquiète ce discours. On ne parle plus de légitime défense mais de légitime violence. » – Lucie Simon, avocate de Laurent Théron
Elle rappelle également le principe de gradation qui encadre le maintien de l’ordre, dénonçant le fait qu’aucune distinction juridique claire n’a été mentionnée durant les audiences entre « l’usage de la force » et « l’usage des armes ».
« Peu importe le mobile et la cible, du moment que l’on jette une arme » – Lucie Simon, avocate de Laurent Théron
Elle met en garde contre l’omniprésence de la parole policière dans ce procès, et de l’esprit de corps dont elle témoigne, confirmée par la présence solidaire de toute la compagnie de CRS et des syndicats policiers dans la salle.
« L’effet tunnel de la journée d’hier, c’est le manifestant au visage dissimulé […] On a basculé sur un droit de l’ennemi » – Lucie Simon, avocate de Laurent Théron
Enfin, elle rend hommage à Laurent et à ses soutiens :
« J’ai fait une plaidoirie juridique car je suis incapable d’être à la hauteur de mon client. Il faut saluer la générosité de cet homme. Son courage, sa force. Quelqu’un qui a transformé le traumatisme, la douleur, en aventure collective. » – Lucie Simon, avocate de Laurent Théron
Le procureur demande 2 à 3 ans de prison assortis d’un sursis simple, et d’une peine complémentaire de suspension de port d’arme pour une durée de 5 ans. Mais pas d’interdiction d’exercer : c’était la seule requête formulée par Laurent durant son intervention à la barre, avant qu’il ne se fasse couper la parole par la présidente Sultan.
Fin de l’action juridique, début de la guerre sociale
Si la plaidoirie de Liénard n’est pas retranscrite ici, c’est parce qu’elle est sans intérêt. A force de le voir défendre tous les policiers auteurs de mutilations et de crimes, nous avons compris qu’il n’est que le serviteur docile et cynique de la raison d’Etat. Rémunéré avec nos impôts par le régime de la protection fonctionnelle, son but est de garantir l’impunité aux dépositaires de la violence légitime de l’Etat. Par conséquent, il a carte blanche et tous les coups sont permis, même celui d’humilier les victimes ou de malmener les enquêteurs et experts judiciaires.
Il peut infantiliser son client ou faire le procès de l’arme s’il lui plaît, comme il peut faire le procès de la hiérarchie, voire de l’appareil d’Etat dans son ensemble, puisqu’en fin de course, c’est de l’impunité des simples agents que dépend l’équilibre de toute la machinerie policière (et donc la sûreté de l’Etat). Il peut bien dénoncer bruyamment ce qui lui sied au cours d’une audience pénale, ça ne mettra jamais en difficulté l’appareil qu’il sert loyalement. Tout ce qu’on lui demande, c’est de ne pas laisser un seul policier se faire condamner. Facile, puisque la Justice n’est qu’une farce.
Pour leur part, les magistrats qui le voient plaider savent eux aussi combien l’homme incarne la défense des intérêts de l’appareil d’Etat (au même titre qu’une Pascale Léglise, la toute puissante directrice des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur, devant les juridictions administratives), et donc de leur institution, alors nul ne va compromettre le simulacre de justice et d’impartialité dont il est l’un des principaux chorégraphes : on ne crache pas dans la main qui nous nourrit. Loyauté ou soumission.
Au procès de l’éborgneur, Liénard a le dernier mot. Il pourra faire de l’emphase ou de la provocation, mentir sur le déroulé des faits ou tirer en épingle un détail insignifiant ou étranger à ces mêmes faits, rien ne changera véritablement la donne : la diffusion de l’image de Paris Match montrant un policier dansant dans les flammes d’un cocktail molotov est son unique stratégie. Il pourra parler de menace terroriste ou de tueurs de flics (N.B. : en France, aucun policier n’a jamais été tué par un manifestant), comme d’autres invoquent le grand complot, l’islamo-gauchisme ou le grand remplacement, aucune caricature même la plus grotesque ne lui sera reprochée, tant que la peur gouvernera ceux auxquels son discours s’adresse : ici, les juré-e-s de la Cour d’Assises.
En guise d’apothéose imbécile, Liénard osera même jeter au visage du tribunal cette métaphore qui en dit long sur la masculinité toxique qui fonde la raison d’Etat (lire à ce propos notre enquête sur la culture du viol dans la police) :
« Condamner mon client, c’est castrer tous les CRS. Quand Paris sera à feu et à sang, ils croiseront les bras et ils auront raison » – Laurent-Franck Liénard, avocat d’Alexandre Mathieu
Les hommes de pouvoir dans cette société sont des forceurs, comme Liénard l’a été tout au long du procès.
Sortis pour ne pas avoir à écouter sa médiocre plaidoirie, les soutiens de Laurent ont commencé à scander dans les couloirs du Palais de Justice :
« Mais que fait la police, ça crève les yeux ! La police assassine, la police mutile !
A 20h12, c’est le coup de massue : l’éborgneur est acquitté. S’il est reconnu coupable des trois chefs d’accusation, il est néanmoins exonéré de sa responsabilité : légitime défense (sic!)
Ce n’était pourtant pas dur de donner droit à la demande de Laurent, qui ne demandait qu’une chose : que le CRS Mathieu soit révoqué.
Dans la salle, entourrés par une vingtaine de gendarmes, les soutiens hurlent leur colère et préviennent le jury et la cour, qui se carapatent déjà par la petite porte, suivis de Liénard et de l’éborgneur, qui regarde Laurent pendant quinze à vingt secondes avec un étrange sourire satisfait :
« Ils continueront de jeter des grenades et de mutiler des gens ! C’est la guerre sociale que vous voulez ! »
Les soutiens de l’éborgneur, qui tout au long du procès ont pu entrer dans la salle sans passer les contrôles, quittent la salle par la porte des témoins, tandis que les soutiens de Laurent sont accompagnés par les gendarmes par la porte du public. Les policiers sont au Palais comme à la maison, ça en dit long sur l’ordre social…
On prend acte de ce verdict, qui va radicalement transformer notre approche. Nous avons été bien trop sages et conciliant-e-s jusque là.
Pas de justice, pas de paix. Donc : pas de paix.
Lire ailleurs :
- CONTRE-ATTAQUE, Collectif + dessin d’Ana Pich’ – https://contre-attaque.net/2022/12/12/tir-de-grenade-et-mutilation-notre-reportage-au-proces-du-crs/ ; https://contre-attaque.net/2022/12/14/tir-de-grenade-recit-du-proces-dun-crs-mutileur/
- CASES REBELLES, Collectif – https://www.cases-rebelles.org/laurent-theron-cest-plus-que-mon-histoire-cest-une-histoire-collective/
- STREET PRESS, Christophe-Cecil Garnier – https://www.streetpress.com/sujet/1670594831-eborgne-policier-laurent-theron-proces-assises-grenade-crime-manifestation-violences-justice ; https://www.streetpress.com/sujet/1671115456-policier-eborgne-laurent-theron-acquitte-justice-violences-manifestations-mutiles-crs
- RADIO PARLEUR, Collectif – https://twitter.com/radioparleur/status/1603073076316569605?s=20&t=5kNOGO2vikNI5MGxfXbzzg
- POLITIS, Maxime Sirvens – https://www.politis.fr/articles/2022/12/le-crs-qui-a-mutile-laurent-theron-acquitte-aux-assises/
- LE MONDE, Henri Seckel – https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/13/a-paris-un-crs-aux-assises-pour-avoir-eborgne-un-manifestant_6154146_3224.html ; https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/14/le-crs-ayant-eborgne-un-syndicaliste-lors-d-une-manifestation-contre-la-loi-travail-acquitte_6154453_3224.html
ANNEXES
Transferts de responsabilités et transmissions radio
Les témoignages successifs des officiers et hommes de troupes de la CRS sont la démonstration éloquente de transferts de responsabilités entre les différents échelons de la hiérarchie. Les officiers du centre opérationnel, depuis leur salle de contrôle, prétendent ne pas avoir de marge de manoeuvre sur les tactiques déployées sur le terrain, qui sont de la responsabilité du commandant d’unité :
« La CRS n’est pas en direct sur ma fréquence radio. Je suis en lien avec l’autorité civile sur place, ce n’est pas mon travail de connaître la logistique tactique de la CRS sur le terrain » – Alexis Marsan, directeur adjoint de la DOPC
Dans l’hypothèse d’un attroupement, le lancer de GMD est ainsi réalisé sur ordre du commandant d’unité, après trois sommations d’usage. Les sommations et l’usage des armes étaient donc de la responsabilité du seul officier qui n’est pas convoqué à la barre comme témoin : le sulfureux Paul Antoine Tomi, dit « le Corse ».
L’usage des armes intervient à la troisième sommation, tandis que la seconde ne concerne que l’usage de la force. Sauf en cas d’impérieuse nécessité ou de légitime défense, qui sortent du cadre du maintien de l’ordre classique et entrent dans le champs de la riposte.
« Il n’y a pas de place pour l’initiative individuelle en maintien de l’ordre » – Alexis Marsan, directeur adjoint de la DOPC
Ceux du bas affirment ainsi que les instructions viennent du Centre Opérationnel, avant d’être transmis aux chefs de groupes, tandis que les officiers de la salle de contrôle affirment que la responsabilité tactique incombe à leurs subalternes sur le terrain. Enfin, les différentes unités déployées ne communiquent pas entre elles…
« Il n’y a pas d’interopérabilité entre CRS et CSI sur les mêmes fréquences » – Léon Rentmeister, commandant de la CRS 07
On comprend mieux pourquoi la CRS 07 peut fantasmer ce qu’il se passe derrière le skatepark avec la CSI 75, puisqu’en réalité ils n’en savent absolument rien.
Malheureusement, toute l’action de la CRS 07 à 16h53 visant à porter secours à la CSI 75, et donc le lancer de grenade de l’éborgneur Mathieu, sont conditionnés par la présence d’une « nébuleuse hostile » derrière le skatepark…
Que dit le PV de contexte ? Laurent aurait-il eu l’oeil crevé en raison du désordre policier ?
Les fiches de Traitement et de Suivi de l’Usage des Armes (TSUA)
Une partie du procès s’est concentré sur un élément central de la procédure, à savoir les formulaires censés permettre le suivi de l’usage des armes, les fiches TSUA. On apprend ainsi qu’elles sont censées être remplies par les policiers ayant fait usage d’armes lors de leur mission de maintien de l’ordre, sous l’autorité du commandant d’unité.
1. Données relatives à l’agent utilisateur et, le cas échéant, à celui qui déclare un ou plusieurs usages d’arme pour son compte :
― matricule ;
― nom ;
― prénom ;
― grade ;
― date d’entrée dans l’administration ou, pour les agents contractuels, date de prise d’effet du contrat ;
― date et service d’affectation administrative et, le cas échéant, opérationnelle.
2. Données relatives aux conditions et au contexte de l’usage de l’arme :
― adresse, éléments contextuels, date et heure de l’événement ;
― position administrative de l’agent utilisateur d’une ou plusieurs armes ;
― type de mission ;
― mode d’intervention ;
― positionnement et fonction de l’agent dans le groupe ;
― positionnement de la personne concernée par le ou les usages d’armes.
3. Données relatives au niveau de formation de l’agent à l’usage de l’arme :
― formation initiale et éventuellement continue ;
― éventuelle habilitation à l’usage.
4. Données concernant l’autorité hiérarchique habilitée à viser la déclaration enregistrée dans le traitement et, le cas échéant, à la supprimer :
― nom et prénom ;
― grade ;
― matricule ;
― direction et service d’affectation ;
― profil d’habilitation.
5. Données concernant l’arme ou les armes utilisées et leurs munitions :
― types et caractéristiques de l’arme ou des armes utilisées ;
― provenance ;
― numéro de série, le cas échéant ;
― nombre de munitions tirées ;
― modes de tir.
6. Données concernant les éventuelles suites apparentes de l’usage de l’arme :
― cause identifiable des éventuelles blessures ;
― état de conscience ou d’inconscience de la personne blessée ;
― identité de la personne blessée ;
― modalités de prise en charge médicale (recours à un service d’urgence, examen médical).
7. Données concernant les suites possibles de l’usage de l’arme :
― informations relatives aux éventuelles enquêtes et procédures judiciaires ou administratives qui pourraient en résulter.
Si elles sont remplies convenablement et en temps et en heure, ces fiches permettent de savoir exactement ce qu’il s’est passé et à quel moment. Elles sont distinctes du Web RTS, qui fait office de registre d’armurerie.
Dans notre affaire, on apprend que la CSI 75 a rempli les formulaires du TSUA le jour-même, le 15 septembre, tandis que les lanceurs de grenades de la CRS 07, dont Alexandre Mathieu, les ont rempli les 22 et 23 septembre suivants, soit le jour-même et le lendemain de leur audition par l’IGPN. D’ailleurs, l’éborgneur a omis de mentionner que sa grenade avait blessé Laurent…
« On les a peut-être activées en lien avec cette audition » – Alexandre Mathieu, CRS responsable de la mutilation de Laurent Théron
On est dans le registre du faux en écriture publique. Problème : il n’y a ni délais règlementaire, ni obligation légale pour les remplir, ce que l’avocat Liénard ne se prive pas de mentionner, quand bien-même l’existence de ces fiches répond à l’obligation de rendre compte. Liénard, c’est la loi et le droit, plutôt que l’éthique et la déontologie.