Le 5 avril 2021, dans le 19ème arrondissement de Paris, une brigade de police interpelle Tommi suite à des soupçons de recel de vol et un refus d’obtempérer. Circulant au volant d’une voiture de location (qui aurait été déclarée volée), un équipage de police s’approche et lui fait signe de s’arrêter pour un contrôle. Tommi, qui comme beaucoup de jeunes a l’expérience de rapports difficiles avec la police, ainsi que de gardes-à-vue répétitives, tente d’échapper au contrôle, mais est rattrappé quelques centaines de mètres plus loin et son véhicule percuté par celui des policiers. Il se fait interpeller après s’être extrait du véhicule.
Les policiers, portant l’uniforme bleu nuit des GSQ, le menacent de violences physiques tout en le plaçant à l’arrière de leur suv 5008 flambant neuf. Les violences ne se font pas attendre, puisque deux des policiers commencent à le violenter, l’un d’eux l’étranglant depuis le coffre du véhicule (dans lequel il s’est hissé dans le seul but de maintenir Tommi par derrière), tandis qu’un second, assis sur la banquette à côté de lui, le roue de coups de poings à l’abdomen, tout en proférant des insultes racistes.
Arrivés au commissariat, Tommi refuse la fouille à nu (interdite par l’article 63-6 du CPP et l’arrêté du 1er juin 2011 relatif aux mesures de sécurité) et se retrouve à nouveau étranglé et tabassé par les mêmes agents, dont l’un se fait appeler « Le Blond » et semble bénéficier d’une certaine réputation dans ce commissariat. Alors même que Tommi suffoque en raison des coups, l’un des agents lui enfonce le doigt dans l’anus jusqu’à ce que la résistance de Tommi le lui fasse retirer. Amené et menotté à un banc, puis accompagné à une cellule, Tommi subira les moqueries de plusieurs policiers, notamment en mentionnant le viol de Théo.
Le récit détaillé des faits et propos relatés par Tommi ont été retranscrits par Street Press dans les semaines suivantes, alors que l’IGPN avait déjà commencé son enquête sur la base de son dépôt de plainte. L’Unité Médico Judiciaire a également rendu son premier rapport, confirmant les violences et le viol subits par Tommi.
Précisons qu’il n’est pas question ici de discuter la réalité du viol : un policier a volontairement, et avec la complicité amusée de ses collègues, procédé à une pénétration à l’aide de sa main dans l’anus d’une personne privée de son consentement. C’est la définition d’un viol. Un certificat médical en atteste, ce qui n’est pas toujours le cas, tant la médecine légale, et les experts judiciaires, font souvent partie du problème.
Tommi n’a pas été étranglé, tabassé et violé par « des » policiers, mais par « La Police ». Il n’est plus question de parler de bavures. Il faut parler de système.
Ce qu’a subi Tommi le 5 avril 2021 n’est pas une bavure ou un dérapage, ni même vraiment le « fait divers » d’une brigade – le GSQ – s’illustrant par une violence particulière. Ce qu’a subi Tommi s’inscrit dans une interminable litanie de faits violents et racistes commis par les forces de l’ordre sur l’ensemble du territoire et dont les médias se font désormais l’écho quotidiennement. Le commissariat du 19ème arrondissement de Paris n’est que l’un des nombreux épicentres de ces violences structurelles et du racisme institué en système de contrôle, par la violence physique et psychologique.
Car le commissariat du 19ème arrondissement de Paris n’en est pas à son premier fait d’armes.
A ce titre, ce commissariat n’est qu’un échantillon de cette violence, il n’en est que l’expression la plus décomplexée. Au point que même les policiers qui y sont en poste s’oppriment entre eux ou se contraignent mutuellement à devenir complices de violences. Omerta, humiliations sexistes et racistes, pressions psychologiques et menaces, esprit de corps, bizutage, faux en écritures publiques : tous les ingrédients du crime et de l’impunité sont réunis.
En témoignent, entre autres, ces faits révélés au cours des dernières années :
- Le 24 mars 2016, les élèves du lycée Bergson subissait un déferlement de violences de la part de plusieurs policiers rattachés au commissariat du 19 ème arrondissement, et dont deux au moins ont été identifiés et poursuivis malgré la complicité de leurs collègues. On se souvient de ces images honteuses où ces « adultes » en uniforme tabassent des adolescents au vu et au su de tous, l’un sous l’uniforme des compagnies d’intervention, le second en civil et dissimulé derrière son foulard et sous sa capuche.
- Le 26 mars 2017, Shaoyao Liu était froidement abattu sur le seuil de son appartement et devant ses filles par la BAC du 19.
- Le 7 juillet 2020, un ami et allié de l’association Le Paria, Moha, avait été torturé et tabassé durant plus d’une heure par des agents de cette même BAC du 19, à renfort de coups de pieds et de poings dans la tête, le torse et le ventre, lui fracturant une côte. A son témoignage glaçant s’ajoutaient déjà, évoquées dans le même article, une succession de récits émaillés de violences et d’insultes de personnes gardées à vue.
- Le 3 septembre 2020, le livre « Flic » de Valentin Gendrot était publié, revenant sur six mois d’infiltration au sein d’une équipe de jour du commissariat du 19ème, témoignant dans son récit des violences et du racisme de ses « collègues ».
- Le 2 décembre 2020, une vidéo filmée par des voisins révélait non seulement une séance de bizutage à l’encontre d’une nouvelle recrue noire, mais témoignait également de la présence complice du commissaire à cette insupportable et archaïque pratique d’humiliation collective.
Visiblement, rien n’arrête les cognes du 19ème, quand bien même leur commissariat est sous les radars de l’IGPN depuis des années. C’est dire le niveau d’impunité et leur sentiment de toute puissance.
Depuis plusieurs années, la barbarie policière est mise à jour, dans des récits et vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, repris et analysés par une partie de la presse. A tel point que les syndicats policiers s’emploient, d’une part et pour faire diversion, à mener des campagnes grotesques visant à réhabiliter leur image en se présentant en « héros gentils », d’autre part, à faire pression sur les élus et les médias, pour légiférer dans l’objectif d’étendre leur impunité : anonymat sur le terrain (cagoules), anonymat des procès verbaux, interdiction de filmer les policiers, extension des cadres de la légitime défense…
La première arme de ceux qui n’ont pas de dignité : salir les victimes.
Au delà des pressions au sein de l’appareil d’État et sur les réseaux sociaux, les syndicat policiers pratiquent le bashing de leurs victimes dans la sphère médiatique et jusque sur les bancs des tribunaux. Leur première arme, qui est souvent aussi celle des procureurs et des journalistes de préfecture (ou journaflics) est de criminaliser les victimes de leurs propres violences.
Les faux en écritures publiques, assorties du recel d’informations couvertes par le secret de l’enquête – dont les antécédents judiciaires et les fiches de renseignement – sont régulièrement le support de campagnes de bashing dans les médias des victimes qui ont eu le culot de dénoncer publiquement les violences qu’elles ont subit.
L’agression de Tommi nous rappelle celle de Théo Luhaka. Souvenons-nous de la manière dont une certaine presse, appuyée par la fachosphère, a tenté de détruire socialement et psychologiquement Théo en l’accusant d’escroquerie un an après son agression (charges finalement levées), tentant de faire oublier combien ce qu’il avait subi était tout bonnement innommable. Et l’affaire de Théo n’est ici qu’un exemple. On pourrait citer également le harcèlement subit il y a quelques années par la famille Kraiker ou plus récemment par Amélie H, harcèlement généralement agrémenté d’insanités racistes et sexistes…
C’est par ces procédés orduriers que la police maintient sa domination et préserve l’ordre social, « son » ordre social. Et les médias aux ordres ruent dans les brancards, s’empressant de publier des informations mensongères relatives aux victimes, et notamment leur casier judiciaire ou leurs antécédents supposés. La présomption d’innocence vole en éclats quand des journalistes croient qu’être poursuivis pour des faits signifie être coupable. C’est ainsi que la presse-poubelle en vient à invisibiliser les violences et leurs victimes par des grands titres tels que « un délinquant tué », « il était connu des services de police », « mort d’un braqueur »…
Quand BFM prétend que Tommi avait été condamné à deux ans de prison dans une affaire de vol de voiture, non seulement on s’en moque parce que ça ne justifie rien, mais surtout, c’est une affirmation mensongère et diffamante. Le mal est fait, et les journalistes qui sont auteurs de la calomnie dorment tranquille. Ils ne sont que le prolongement des violences policières, participant activement au traumatisme des victimes. Plus grave encore au regard des faits, ils participent à la culture du viol, qui vient justifier l’agression d’une personne par son profil ou son passé, fournissant à l’agresseur une justification à son geste, donc une légitimation de son acte au regard de la loi.
Les victimes de violences ne sont pas des « animaux de foire » qu’on affiche pour servir des ambitions politiciennes.
Dans le traitement médiatique qui est fait des violences policières, il n’est pas rare de voir des politiciens ou des polémistes s’afficher en défenseurs des victimes. Ils viennent s’approprier les affaires, sous couvert de leur statut (journaliste, avocat ou élu de la République) pour mieux détourner la lumière de ce qui est primordial : la protection des victimes et la dénonciation – sincère – du caractère systémique de ces violences, sans compter la manifestation de la vérité (différente de la vérité judiciaire).
Le procédé le plus courant est de pousser les victimes au milieu de la meute pour les regarder s’y débattre, dans le but de servir un discours qui va dans leur sens, et peu importe si la prestation de la victime a donné ce qui était attendu ou non.
Le clientélisme ou le paternalisme à l’oeuvre participe d’un mépris des victimes et de leurs ressentis, mais aussi et surtout des conséquences d’une médiatisation outrancière et non contrôlée par les premiers concernés eux-mêmes. Ces attitudes constituent elles aussi le prolongement des violences policières, et font partie du caractère systémique de ces violences : il n’y a pas que l’agresseur (ici le policier) qui fait du tort.
Dans l’affaire de Tommi, l’ahuri Mounir Mahjoubi, le même qui rêve d’inonder le ciel de Paris de drônes de surveillance et faire de la ville un cauchemar orwellien, a jugé pertinent – dans le cadre de sa campagne électorale – d’écrire une lettre à Darmanin (ce ministre qui sait ce que le viol signifie) pour demander plus de moyens au commissariat du 19ème arrondissement, afin de « protéger l’honneur de tous policiers », considérant que le « problème structurel » vient de l’arrondissement plutôt que de la police. Et selon lui, si les policiers agressent à tour de bras, c’est parce qu’ils sont en burn-out. On ne lui demande pas d’être sociologue, mais en être à ce degré d’analyse, ça relève soit de la politique de l’autruche, soit de l’imbécilité chronique. On se rend vite compte à quel point il se fait lui-même le complice des agresseurs : ce n’est ni les enquêtes réitérées de l’IGPN, ni leur dotation en nouveaux LBD et SUV 5008 de Peugeot, qui semblent avoir mis un terme à la barbarie policière qui règne au commissariat du 19ème… Au contraire. On retiendra que cet élu, au comble du cynisme, utilise le viol d’un jeune homme comme opportunité d’obtenir une allonge sur le budget de la sécurité de son arrondissement. Honte de rien.
Rappelons qu’avant d’être violé à l’occasion d’une fouille illégale, Tommi a été étranglé à l’intérieur d’un SUV 5008. Dotés de nouveaux véhicules plus spacieux, ces policiers semblent y trouver une nouvelle opportunité d’étendre le champ de leur sadisme. Donnez de la confiture aux cochons…
Et, cerise sur le gâteau, dans le bal des opportunistes il ne manquait que SOS Racisme, qui s’est proposé pour être partie civile dans la plainte de Tommi. Quel est leur intérêt à agir, si ce n’est celui de mettre leur nez dans le dossier ? Pour qui et pour quoi ? Cette émanation du Parti socialiste qui depuis 40 ans n’a jamais cessé, avec ce paternalisme condescendant qui les caractérise, de vouloir détourner les premiers concernés de leur combat, en les faisant adhérer à leur réformisme et à leurs efforts de pacification sociale, tout en invisibilisant leur révolte légitime et en évitant tout lien avec les collectifs en lutte contre les violences d’Etat. Par ailleurs, leur contribution n’apporterait rien d’utile à la procédure judiciaire.
Ce dont Tommi a besoin, comme toutes les victimes de violences, c’est de rester maître de ses choix, d’être accompagné dans le respect et la prise en compte de ses ressentis. La quête de vérité qui commence pour lui est primordiale pour réparer le mal qui lui a été infligé.