La famille Verney Carron produit des armes de chasse depuis 1820 et se prévaut d’un héritage de « faiseurs de fusils » depuis 1650 (le premier ancêtre connu associé à ce commerce est Guy Verney). La manufacture familiale, dont les dirigeants actuels sont Jean, Guillaume et Pierre Verney Carron, est installée à Saint Etienne, au 54 boulevard Thiers.
Entre 1985 et 1990, l’expert en balistique à la retraite Pierre Richert développe dans son garage une nouvelle arme, le Flashball, et la propose au marchand de fusil stéphanois. Il la présente comme une arme « de gros calibre et de faible vitesse, qui tape fort sans blesser ».
La première version du Flash-ball, entièrement en plastique, présente deux canons juxtaposés horizontalement et deux gâchettes. La douille de la balle est en plastique également et la balle est en caoutchouc-mousse de forme sphérique et de calibre 44 mm. L’arme tire à une distance de 15 à 20 mètres en émettant une forte détonation. Brevetée et commercialisée par Verney-Carron, elle sera baptisée Flash-ball Compact et mise entre les mains du GIGN et du RAID, puis vendue à l’étranger, avant d’être distribuée aux Brigades Anti Criminalité à partir de 1995, sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. Les brigades de Metz et Albi sont parmi les premières à en être équipées.
Les médias la présentent alors comme l’arme miracle, donnant du crédit à son inventeur lorsqu’il affirme qu’elle ne peut pas tuer, ni engendrer de traumatisme permanent. Les règles d’encadrement de l’arme précisent néanmoins qu’elle doit être utilisée à au moins 7 mètres de la cible et viser sous les épaules. Par ailleurs, le Flash-ball Compact est en vente grand public dans la plupart des armurerie, présentée comme un arme anti agression au même titre que les shockers électriques.
Peu à peu retoquée pour renforcer sa résistance au choc, en 1999 Verney Carron met entre les mains de la police une nouvelle version de l’arme, le Flash-ball SuperPro. Désormais entièrement en métal, il présente deux canons superposés et une seule gâchette. La douille de la balle est elle aussi en métal, mais la balle reste la même. Elle est logée dans un sabot en plastique souple qui vient s’insérer dans la douille métallique. Le tir est plus silencieux que l’ancien modèle. La marge d’erreur de l’arme quant à elle est estimée à 60 cm pour une distance de 15 mètres, ce qui en fait une arme totalement imprécise.
Les caractéristiques du Flash ball Super Pro et de sa munition sont les suivantes :
- Longueur du pistolet : 33 cm
- Poids du pistolet : 1550 g
- Portée : 15 – 20 m
- Poids de la balle : 28 g
- Diamètre de la balle : 44 mm
- Diamètre à l’impact : 67 mm
- Surface d’impact : 35 cm2
- Énergie : 200 joules
- Énergie cinétique : 5,71 joules / cm2
- Vitesse : 429 km/h
Le 17 juillet 1999, la BAC de Villiers-sur-Marne éborgne un habitant de la cité des Hautes-Noues, Ali Alexis, alors qu’il rentre chez lui avec deux sacs de courses à la main. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le procureur classe le dossier sans suite et les autorités enterrent l’affaire. Le maire exerce du chantage sur la victime et la police intimide les témoins. Il n’y aura jamais de suite. Il faudra attendre le film documentaire de Benoît Grimont, « La tentation de l’émeute » sorti en 2010, pour découvrir son affaire au détour d’un entretien sur les révoltes des quartiers populaires. Le collectif Désarmons-les! rencontre Ali Alexis en 2016 et diffuse un long entretien avec lui revenant sur les circonstances de sa blessure.
Le Flash-ball ne cessera de faire des victimes au cours des 20 années qui suivront. Sur les 55 personnes éborgnées répertoriées entre 1999 et 2019, au moins 15 l’ont été à cause de tirs de Flash-ball :
- Ali Alexis, le 17 juillet 1999 à Villiers sur Marne
- Sékou, le 6 juillet 2005 aux Mureaux
- Jiade El Hadi, le 29 octobre 2006 à Clichy sous Bois
- Joan Celsis, le 19 mars 2009 à Toulouse
- Halil Kiraz, le 17 avril 2009 à Compiègne
- Alexandre, le 9 mai 2009 à Villiers le Bel
- Bruno, le 9 mai 2009 à Villiers le Bel
- Joachim Gatti, le 8 juillet 2009 à Montreuil
- Dean, le 26 mars 2010 à Fort de France
- Guillaume Laurent, le 5 décembre 2010 à Nice
- Ayoub Boutahra, le 7 février 2011 à Audincourt
- Florent Castineira, le 21 septembre 2012 à Montpellier
- Salim, le 19 juillet 2013 à Trappes
- Alexandre Meunier, le 19 octobre 2014 à Lyon
- Bilal Bouchiba, le 30 octobre 2014 à Blois
En 2002 et 2004, Nicolas Sarkozy décide de doter l’ensemble des forces de police et de gendarmerie du Flash-ball SuperPro, mais également de grenades de « désencerclement » (Dispositif Manuel de Protection) et de pistolets à impulsions électriques Taser X26. 1270 Flash-balls sont alors distribués en 3 ans.
Cela n’empêchera pas les policiers d’en demander davantage lors des émeutes en banlieues fin 2005, mais également d’exiger peu à peu d’être dotés d’une arme plus efficace et plus précise. C’est ce qui amènera l’État à se fournir à partir de 2005 auprès de la firme suisse Brügger & Thomet en lance-grenades de 40 mm, les GL-06. Arme de guerre réadaptée pour le maintien de l’ordre, le GL-06 sera rebaptisé Lanceur de Balles de Défense (LBD 40) pour le marché français et mis entre les mains des forces de l’ordre en 2007.
Le 27 novembre 2007, la version expérimentale de la nouvelle arme, le LL-06 (de couleur jaune), effectivement beaucoup plus précise grâce à un viseur holographique et avec une portée deux fois supérieure (50 mètres), est utilisée pour mater simultanément la révolte de Villiers le Bel et le mouvement lycéen contre la réforme des universités à Nantes. La première victime recensée du LBD 40 est Pierre Douillard, lycéen mutilé au visage devant le rectorat de Nantes. Il perdra la vue d’un œil et deviendra l’un des pionniers du combat contre ces armes, publiant en 2016 un livre édifiant sur les violences d’Etat, L’Arme à l’œil. Pour autant, le gouvernement jugera l’expérience concluante et commandera au fabricant suisse plusieurs centaines de ses GL-06 (de couleur noire) et les utilisera dans un premier temps avec des munitions de fabrication américaine, achetées auprès de l’entreprise Combined Tactical System (munitions de 10 cm de long avec douilles en plastique beige), puis à partir de 2016, avec des munitions de fabrication française, achetées auprès de SAE Alsetex (munitions de 9 cm de long avec douilles en plastique noir).
Mais l’histoire du Flash-ball ne s’arrête pas avec l’arrivée de son concurrent suisse. Le Flash-ball, après avoir été l’arme néocoloniale par excellence, puisque utilisée uniquement par la BAC et donc destinée presque exclusivement aux populations des quartiers populaires, est distribuée à d’autres forces de police, et notamment aux nouvelles Compagnies de Sécurisation et d’Intervention (CSI et CDI), à partir de 2007. Or ces Compagnies interviennent dans le cadre du maintien de l’ordre, à savoir en police administrative, auprès des CRS et des Gardes Mobiles, ce qui a amené le Flash-ball à être utilisé dans le cadre de manifestations jusqu’aux alentours de 2014. C’est donc en 2007 que s’opère le glissement et le mélange des genres entre police judiciaire et police administrative, entraînant l’insertion des armes dites « non létales » introduites par Pasqua et Sarkozy dans l’arsenal du maintien de l’ordre. Les Flash-ball, les grenades de désencerclement et les lanceurs de balles de défense viennent s’intercaler entre les grenades dites à effet de souffle (grenades contenant de la TNT telles que l’OF F1 et la GLI F4) et les armes à feu (pistolet individuel, fusils Famas et Tikka, puis HK G36 depuis 2016).
Jusqu’en 2019, le terme « Flash-ball » servira communément à désigner toutes les armes tirant des balles de caoutchouc. Dans les affaires impliquant des tirs de LBD 40, les journalistes ne cesseront d’utiliser l’appellation Flash-ball, créant une confusion propice au déni des autorités sur la dangerosité de ces armes. Ils affirmaient ainsi en décembre 2018 qu’il ne pouvait y avoir de blessures par Flash-ball, dans la mesure où celui-ci n’était plus utilisé en maintien de l’ordre (manifestations). C’est évidemment d’une affreuse mauvaise foi et profite de la confusion et de l’ignorance générale sur la question.
C’est cette confusion qui amènera le PDG Guillaume Verney Carron début décembre 2018 à se plaindre dans la presse (sources : 1, 2, 3) d’être accusé à tort des nombreuses blessures et mutilations occasionnées par les forces de l’ordre à l’encontre des manifestants gilets jaunes, ce qui est vrai, mais ne le lave pas de tout soupçon concernant la dangerosité du Flash-ball. En janvier 2019, le fabricant du LBD, Karl Brügger, lui emboîte le pas et se plaint à son tour dans la presse (source : 1, 2, 3) de la polémique suscitée par les nombreuses blessures occasionnées par son arme et accuse le gouvernement français d’utiliser d’autres balles que celles produites par son entreprise (munitions SIR), expliquant que les autres munitions ne serait pas adaptées au canon de son arme…
Si ces armes sont bien différentes d’un point de vue technique, et même si leur finalité reste la même, nous avons l’obligation d’être précis, car toute imprécision participe à l’impunité des forces de l’ordre et permet aux magistrats de prononcer des non-lieux en ayant recours à une logique imparable : pas de flash-ball, pas de victime.
Si l’intégralité des personnes blessées et mutilées durant le mouvement des gilets jaunes par des balles de caoutchouc l’ont été par des LBD 40, cela ne signifie pas que le Flash-ball a disparu, ni qu’il est inoffensif.
Rappelons notamment que le flash-ball a tué à au moins deux reprises (en France) :
- Mostafa Ziani, tué d’un tir de flash-ball le 14 décembre 2010 à Marseille (source Libération)
- Cyrille Faussadier, tué d’un tir de flash-ball le 6 janvier 2017 à Auxerre (voir notre article)
Par ailleurs, Verney Carron n’a pas pour intention de continuer à rester à la traîne et d’attendre que son Flash-ball devienne obsolète sans chercher à en proposer une nouvelle version. Depuis plusieurs années déjà, il propose sur son site de nouveaux modèles de Flash-ball, mais également de lanceurs de 40 et 56 mm (liens vers le site du fabricant) du même type que le LBD 40 de son concurrent suisse :
Au salon de l’armement Milipol fin 2017, Verney Carron présentait ses nouveaux bijoux sur son stand, mettant en avant une nouvelle balle de caoutchouc, plus dure et couverte de fibres textiles de couleur verte, ressemblant à une balle de tennis de 44 mm. Le vendeur sur le stand faisait la promotion de cette balle en des termes éloquents : « elle fait plus mal mais laisse moins de traces »…
De nombreuses polices municipales sont déjà équipées des nouveaux Flash-balls Super Pro de Verney Carron…
Quelques vidéos d’archives :
Autres articles sur les flash-ball et Verney Carron :
- Oeil pour oeil – Une histoire du flashball
- PAS DE PAIX – 7 ans après, 3 policiers et leurs flashballs comparaissent devant le TGI de Bobigny.
- Retour sur le forum de Saint-Etienne
- Un article de la presse mainstream qui fustige les balles de caoutchouc (rare)
- L’inventeur du Flash-Ball innove pour survivre