Le président Macron pourra à présent accrocher cette distinction à sa boutonnière. Jamais le nombre de personnes mortes entre les mains de la police n’avait été aussi élevé en une seule année : 55 morts, soit plus d’un par semaine, selon le décompte réalisé par Désarmons-les et le site Anti.média. Le précédent record date de 2021 (52 morts), alors que le cap des 40 morts, presque jamais atteint auparavant, a été dépassé en 2022 (42) et 2023 (43).

Ce chiffre de 55 morts par an, constaté dans des articles de presse, sous réserve d’autres cas passés sous les radars, est le plus haut jamais observé depuis au moins 57 ans. Il faut remonter à 1967 pour faire pire, année d’une énorme répression en Guadeloupe où au moins 87 personnes ont été tuées par balle par les gendarmes à Pointe-à-Pitre.

25 ans de crimes policiers (2000-2024)

(le tableau se déroule horizontalement)
ANNÉE2000200120022003200420052006200720082009201020112012201320142015201620172018201920202021202220232024TOTAL
VICTIMES385786101911691317142117162423243352424355486

Si l’on observe la tendance en moyenne annuelle, ces 25 dernières années ont été les plus meurtrières : près de 500 morts recensés (486 exactement), soit près de 20 par an. Le seul bilan des années Macron est bien plus effroyable. Entre 2018 et 2024, on compte ainsi 272 morts tombés entre les mains de la police, soit près de 39 par an, alors que les cinq ans de pouvoir Hollande (2013-2017), avec 92 tués, représentent en moyenne 18 par an. Quoique cette distinction peut s’avérer politiquement injustifiée, puisque la principale disposition à l’origine d’une telle inflation mortelle est de la responsabilité du gouvernement Hollande-Cazeneuve, le « permis de tuer » qu’a permis la loi n°2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Les 12 ans de pouvoir des années Hollande-Macron (2013-2024) se sont soldés par la mort de 364 personnes entre les mains de la police, soit 30 par an. A comparer au bilan du règne Sarkozy qui affiche au compteur 106 crimes policiers en dix ans (2003-2012), soit près de 11 en moyenne par an, quatre fois moins que le bilan de Macron.

La police tue : tendances et moyennes annuelles

Total 25 ans
2000-2024
MOYENNE
25 ans
2015-24Moyenne 10 ansMACRON (2018-24)Moyenne 8 ansHOLLANDE (2013-17)Moyenne 5 ansMAC-LANDE (2013-24)Moyenne 12 ansSarkozy
(2003-12)
Moyenne 10 ans
48619,432932,927238,99218,436430,310610,6

C’est dans la loi de 2017 que les conditions d’emploi des armes à feu par la police ou la gendarmerie a été assouplie afin d’encourager les agents à faire feu dès la moindre suspicion d’un refus d’obtempérer. Le premier article de ce texte a ainsi modifié l’article 435-1 du code de la sécurité intérieure pour y introduire une disposition autorisant à faire feu sur « des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». Les conséquences de cette disposition sont bien connues : les tirs par balles sur des véhicules soi-disant « en fuite », comme les course-poursuites crapuleuses qui finissent par causer des accidents mortels, que ce soit en voiture, moto ou scooter, ont explosé depuis 2017.

Selon nos chiffres, ces trois dernières années le délit de « refus obtempérer » est devenu l’alibi numéro un des policiers ou gendarmes. Il a été motivé dans un quart ou la moitié des morts constatées : 13 refus constatés en 2024 (25 % des cas) , entraînant 5 décès par balles et 8 accidents ; 20 en 2023 (47%), à l’origine de 2 chutes fatales, 3 tirs par balles et 15 accidents mortels ; 21 en 2022 (50%), 12 par balles, 3 noyades, 2 chutes et 4 accidents mortels.

Cette disposition a donné aux agents de la force publique un nouveau pouvoir qui prolonge la fonction fondamentalement viriliste de la police. L’agent, quelques secondes avant de donner la mort, s’arroge le droit de décider d’assumer seul toutes les responsabilités de la chaîne pénale : il est d’abord « constatateur » de ce qu’il pense être une infraction, il décide alors aussitôt de la qualification du délit, dans le même temps il requiert lui-même la punition à appliquer, rétablissant au passage la peine de mort, et pour finir il s’érige en juge et en bourreau en appuyant sur la détente ou en poursuivant un véhicule qui provoquera un accident mortel.

Rappelons que lorsqu‘un agent tire avec son arme de service en direction d’une personne c’est pour la « neutraliser », traduisez pour la tuer : sa formation lui apprend à tirer « dans la bouteille », c’est à dire la tête et le torse ; à aucun moment on lui apprend à tirer dans d’autres parties du corps pour amoindrir la menace (dans l’épaule ou la jambe, par exemple). Face à un véhicule, il doit tirer en direction de l’habitacle côté conducteur même s’il est positionné sur le côté et risque donc d’atteindre le ou la passagère du véhicule. Hors de question, selon les procédures officielles, de tirer dans les roues pour ralentir une voiture ou un scooter — il est d’ailleurs plus courant qu’un policier soit condamné pour avoir tiré sur les pneus d’un véhicule qu’après avoir visé et tué le conducteur.

Une tendance significative se dégage en 2024 : l’action déterminante des polices municipales. Ses agents ont été à l’origine de 5 morts ces onze derniers mois, dont deux cas flagrant de tirs mortels par balles. Cela s’est passé en juin à Aubervilliers : Yahia Diakaté, un homme de 47 ans, abattu de deux balles, alors qu’il était armé d’un tournevis ; et en novembre à Saint-Étienne : un homme de 31 ans abattu par un agent municipal alors que la victime présentait des « troubles psychiatriques ». Le rôle que joue désormais la police municipale dans ces crimes est là aussi le résultat d’une politique assumée des parlementaires : la loi dite « sécurité globale »  de 2021 a transféré de nouveaux pouvoirs aux municipalités et les incitent à renforcer l’armement lourd de leurs polices, dotées non seulement de LBD ou de taser, mais également d’armes de poing. Il suffit d’un simple agrément préfectoral pour qu’une municipalité puisse armer ses agents de sécurité comme le sont les policiers nationaux.

La mort par balles de personnes perçues ou présentées comme atteintes de troubles psy a été constaté quatre fois en 2024 et deux fois en 2023. Les policiers auteurs des tirs ont tendance à motiver cet argument comme si c’était une circonstance atténuante de leurs crimes. Si une personne est en détresse psychologique pouvant menacer lui-même ou une autre personne, l’intervention de la police ne permet jamais d’apaiser la situation, bien au contraire. Signalons aussi une nouvelle victime du pistolet à impulsion électrique (le fameux Taser sur la société Axon): Kyllian Samathi, 30 ans, est mort après avoir subi une dizaine de décharges, le 5 janvier 2024 à Montfermeil. C’est le 10ème mort suite à une intervention impliquant le taser en France depuis 14 ans, triste bilan pour cette arme électrocutante soi-disant « non létale » (la liste des victimes est présente dans notre brochure « Les armements du maintien de l’ordre » réédité en 2025.

Précisions enfin que notre recensement se limite aux seuls faits pouvant être reliés à l’action des forces de sécurité intérieure au quotidien, y compris les exactions policières en Centre de rétention (CRA), mais ne prend pas en compte les violences pénitentiaires qui mènent à la mort en prison. Tous les ans, ce sont environ 120 cas de « morts suspectes » (comprenant ce qui sera désigné par « suicides ») qui sont recensées par des ONG en prison : 120 en 2020 selon Ban public, un décès tous les deux ou trois trois jour selon l’OIP, des morts pour la plupart passées sous silence. Le site Anti-média rapporte une quarantaine de cas depuis mars 2023. L’emprisonnement de personnes à la santé mentale fragile est tout autant abjecte et inefficace, et pourtant la justice s’entête à enfermer des personnes dont la santé mentale ne pourra que s’empirer en détention (à ce titre, écouter l’émission l’Envolée sur la mort d’Allassane Sangaré en 2022 à Fleury et celle de Tapages sur la répression judiciaire de la souffrance psychique).