Suite et fin de nos articles tirés de l‘édition 2025 de notre brochure « Les armements du maintien de l’ordre » à télécharger ici.
Grenades offensives : des armes de guerre contre la foule
L’utilisation d’armes de guerre contre des populations civiles est toujours resté un non-dit des politiques de maintien de l’ordre. Jusqu’en mai 1968, les tirs à balles réelles (euphémisme qui sous-entend que les balles non métalliques ne le sont pas) est la norme, ou en tout cas jugé normal. Il faudra les morts de mai 1968 pour que l’usage d’armes de protection individuelles soient enfin proscrites en maintien de l’ordre. Pour autant, l’utilisation de grenades offensives ne sera pour sa part jamais vraiment remise en question.
Répondant aux vieux principes de la guerre conventionnelle, elles sont utilisées comme des armes de combat et non comme des moyens défensifs. Leur charge de TNT est à la fois conçue pour blesser, voire tuer, mais également pour faire peur, puisqu’elles produit une détonation supérieure à 160 décibels. On entre dans la catégories des armes dites « à effet psychologique », un effet recherché par les acteurs du maintien de l’ordre public.
La première grenade offensive utilisée par la gendarmerie mobile (elle n’était pas en dotation dans la police) est l’OF 37 qui, comme son nom l’indique, est en dotation depuis 1937. Pesant 300 grammes, elle est constituée de 90 grammes de tolite (ou trinitrotoluène = TNT). Surtout, l’OF 37 projette des éclats. Après les morts de mai 1968, elle est remplacée en 1976 par la grenade OF F1 (SAE 410), fabriquée par l’entreprise SAE Alsetex et légèrement moins chargée en tolite : elle en contient 75 grammes. L’OF F1 était aussi censée être « sans éclats », ce qui ne l’empêchera pas de faire des morts. Dernier en date : Rémi Fraisse en octobre 2014, ce qui va entraîner l’interdiction totale des grenades OF, tout en les remplaçant par un modèle très dangereux, la GLI-F4 d’Alsetex, qui contient toujours de la TNT (26 g) et ne sera retirée à son tour qu’en 2020.
A noter que le classement officiel des armes (modifié en 2018 et 2024) place les lance-grenades et grenades (létales ou moins létales) en catégorie A2 (matériel de guerre). Alors que les lanceurs de balles type LBD ou Cougar 40 (lire partie 2) d’abord classées A2 ou B3, ont été rétrogradés pour apparaître dans la catégorie C3 (armes à feu « tirant des projectiles non métalliques »).
Risques sonores
Toutes les grenades que nous décrivons dans cette brochure sont à « effet de souffle », qu’elles soient à effet combiné ou désencerclantes. C’est à dire qu’elles sont « assourdissantes » par défaut, produisant une détonation d’une intensité énorme, entre 145 et 170 db mesuré à 10 m (ajouter environ 5 db à 5 m et 10 db à 2 m). Au-dessus de 140 décibels, de graves lésions auditives peuvent se produire de manière irréversible. Autour de 160 dB, les tympans peuvent éclater. Pour se protéger, penser aux bons vieux bouchons d’oreilles !
Trois mille grenades (surtout des GLI F4) sont tirées lors de leur intervention pour évacuer la ZAD de Notre Dame des Landes (avril-mai 2018), affirmant face aux critiques vouloir « écouler définitivement les stocks » avant de la remplacer par une grenade moins puissante. Au cours de la révolte des gilets jaunes (nov. 2018 – juin 2019), à nouveau des centaines de ces grenades sont utilisées contre les manifestants (339 pour la seule journée du 1er décembre à Paris), mutilant cinq personnes et en blessant grièvement de nombreuses autres. La GLI-F4 ne sera réellement interdite qu’en octobre 2021.
- Dans notre brochure page 17, un recensement des plus graves blessures causées par des grenades offensives en France entre 2001 et 2023.
- Et page 22, une liste des cas d’éborgnements et blessures graves causés par des armes cinétiques (flashball, LBD, grenades désencerclantes (GMD) ou bean bags
Suite à l’explosion de la GLI F4 qui a arraché la main de Maxime Peugeot à Notre Dame des Landes le 22 mai 2018, des officiers de gendarmerie se sont empressé d’affirmer que la GLI F4 était sur le point d’être abandonnée au profit de la GM2 L, tout aussi déflagrante et lacrymogène. L’organe de propagande L’Essor de la Gendarmerie nationale (3/09/2018) reprend de suite les arguments du fabricant pour minimiser ses dangers : « D’une part l’absence d’éclat vulnérant, du fait de l’emploi de plastique polyéthylène élastomère dans sa composition, d’autre part l’abandon de l’explosif brisant en lui substituant un dispositif pyrotechnique déflagrant / détonant (la dispersion du CS est assurée par une charge pyrotechnique déflagrante) » Tout en se contredisant : « Dès lors qu’une munition produit une forte intensité sonore, celle-ci est associée à un phénomène de souffle, c’est à dire de compression de l’air. Il en ressort des risques de lésions auditives pour ceux qui sont à proximité immédiate (…) de sa détonation. Par ailleurs, toute composition pyrotechnique peut causer des lésions cutanées, musculaires, osseuses… Il en est de même pour cette nouvelle grenade. »
Lors de l’évacuation d’une rave party à Redon (Ille-et-Vilaine), le 19 juin 2021, un homme se fait arracher la main suite à l’explosion d’une grenade GM2L lancée par des gendarmes. Le 7 juillet, le ministère de l’Intérieur décide simplement d’interdire le « lancer à main » de la GM2L. D’abord pour protéger les agents d’un lancer trop imprudent… pas vraiment pour prévenir les blessé-es parmi la population civile.
Enfin, une nouvelle commande de GM2L est passée en 2023 dans le cadre de l’énorme appel d’offres à 78 M€ du ministère de l’Intérieur. Alsetex rafle le lot n°5 (« grenades 56 mm à effet sonore et lacrymogène »), d’une valeur de 11 M€, ce qui représente une commande d’environ 300 000 grenades.
Mutiler et assourdir
Suite à la décision de limiter l’usage des GM2L en 2021, l’État a aussitôt trouvé la parade. Un document interne publié par Politis (28/03/2022) indique que « face à la nécessité de disposer de grenades pouvant être lancées à la main lors d’épisodes de violence de haute intensité », le ministère s’est empressé d’acquérir des modèles SAE 430 d’Alsetex (dite ASSD), munition apparue dans son catalogue en 2007.
L’ASSD ne dégage pas de gaz lacrymogène mais déclenche, après un temps de réaction très court (1,5 s.) un blast de 160 db à 10 m. (donc 165-170 db à 5 ou 2 m.), bien plus élevé que ses petites cousines GLI et GM2L. La note poursuit en indiquant que l’ASSD « minimise le dommages aux tiers » par son « absence d’éclat ou projection d’éléments résiduels au moment de l’explosion ». La police reprend sans nuances la notice technique du fabricant (cf site maintiendelordre.fr) : « le corps ovoïde de la grenade en matière plastique présente une amorce de rupture sur le fond destinée à éviter toute fragmentation ou projection vulnérante. » Affirmation trompeuse, car même des débris d’élastomère peuvent mutiler ou blesser gravement, sans parler du bouchon-allumeur, qui contient aussi du métal, propulsé à très haute vitesse après l’explosion.
Pour renforcer son stock, le gouvernement a lancé son fameux appel d’offres à 78,3 millions d’euros portant sur des « grenades de maintien de l’ordre et accessoires » (avis n° 23-155499, nov. 2023). La dernière livraison du même type, en 2018, portait sur seulement 17 M€.
La commande a été divisée en 8 lots différents, selon le type de munitions. Le lot n°7 (« grenade à main à effet sonore ») a été attribué à deux sociétés, Alsetex (pour 3,1 M€) et Rivolier (12,4 M€). La munition d’Alsetex semble correspondre au modèle ASSD. Rivolier, en revanche, ne fabrique aucune grenade. Elle est connue pour importer armes ou équipements divers, dont le fameux lanceur multicoups Penn Arms [partie 2]. Selon Politis (10/11/23), la grenade importée par Rivolier provient d’un fabricant brésilien, Condor Technogias Não Letais, qui dispose de toute la panoplie d’armes de maintien de l’ordre soi-disant « non létales ». Le modèle de Condor concerné semble être la GL-304, une grenade à main « outdoor » dont la dénotation provoque un blast plus intense que toutes les autres jamais utilisées en France (jusqu’à 175 db à 2 m). Rivolier avait dans un premier temps indiqué ce serait la GL-307 (aveuglante, lire plus loin), mais cela ne correspondait pas au cahier des charges de l’appel d’offres.
Comme pour l’ASSD, Condor affirme que son engin ne propulse aucun éclats perforants grâce à sa composition en matière plastique. Elle prétend qu’« afin d’éviter que la gâchette ne se transforme en projectile, un système spécial à deux étages permet d’éjecter la gâchette avant que la grenade n’explose. ». Pourtant des essais effectués par l‘armée brésilienne sur la GL-307 (même carcasse que la 304) ont montré que des fragments avaient été projetés à plus de 10 m, blessant un soldat pendant les tests. La documentation de Condor prévient que ses grenades à main « doivent être lancée à moins de 10 m des personnes », une précaution impossible à respecter pour une munition lancée à la main dans une foule compacte. Condor prétend enfin que la GL-304 possède un « effet moral » (efeito moral), en larguant « une poudre blanche sans produit chimique agressif ».
Un autre type de bombe assourdissante est censée avoir intégré l’arsenal français suite à l’appel d’offre de novembre 2023 : le lot n°6 concernait la fourniture de « cartouches-grenades 40 mm à effet sonore » qui a été attribué à Alsetex pour 4,7 millions d’euros. Fin 2024, aucune information n’a filtré sur le modèle fourni. Il y aurait bien la GM2F, mais elle est aussi aveuglante. A moins ce que le fabricant français n’ait développé d’autres types de bombes déflagrantes comme les « sting » ou « blast balls » qui font déjà fureur dans les unités d’élites aux USA, en Israël ou au Royaume-Uni.
L’escalade du désencerclement
Les grenades à main de désencerclement (GMD) sont distribuées aux forces de l’ordre à partir de 2004 (loi sécurité intérieure de 2003). C’est une arme à triple effet, à la fois déflagrante, assourdissante mais aussi à « impact cinétique ». Appelées aussi, selon la novlangue des fabricants, « Dispositifs manuels de protection » (DMP) ou « Dispositifs balistiques de dispersion » (DBD), elles sont, comme le LBD, censées être des armes défensives utilisées par les policiers pour se dégager lorsqu’ils sont encerclés. C’est pourquoi les précautions d’emploi prévoient de la faire rouler sur le sol et proscrivent tout lancer par dessus l’épaule (en cloche).
Les GMD projettent 18 plots de caoutchouc de 10 grammes sur un rayon de 15 mètres, avec une force de 80 joules et à une distance de 45 mètres du lanceur. Chaque plot est projeté avec une vitesse initiale de plus de 400 km/h. A partir de 2019, la police se dote d’un nouveau modèle d’Alsetex, la GENL (« grenade à éclats non létaux ») censée être moins puissante (36 joules) sur un rayon d’action moins important (10 au lieu de 15 m.). Le ministre Darmanin décide de la généraliser en septembre 2020. Elle n’en reste pas moins très dangereuse.
Depuis l’instauration du Flashball, puis de la grenade de désencerclement et du LBD 40, plus de 60 personnes ont été éborgnées ou gravement blessées à l’œil en l’espace de 20 ans [lire notre recensement ici et une mise à jour publiée dans la brochure p. 22], dont une majorité en l’espace de 6 mois à l’occasion de la révolte des Gilets jaunes (nov.2018 – juin 2019). Selon les signalements du site violencespolicieres.fr, la seule grenade de désencerclement a causé, entre 2019 et octobre 2024, 8 mutilations (œil et main), 29 blessures graves et fait 557 victimes (dont 12 % touchées à la tête).
Le procès 1312
Lorsque la GMD est lancée en cloche (à hauteur de tête), que fait la justice ? Alexandre Mathieu, le CRS qui a jeté une GMD dans la foule en septembre 2016, mutilant Laurent Théron, a été jugé aux Assises de Paris en décembre 2022 : il été acquitté (exempté de responsabilité pour légitime défense), alors que la cour a reconnu que son tir n’était pas réglementaire (en cloche), qu’il n’y avait aucune nécessité à faire feu et qu’il n’était pas habilité à s’en servir.
En 2023, selon le rapport annuel de l’IGPN, les déclarations d’usage de la GMD/GENL ont doublé en un an et le nombre exact de grenades tirées (5273) a presque triplé (+173 %). Seule l’année 2018 a fait pire : 5420 GMD tirées.
En novembre 2024, le gouvernement a lancé une nouvelle commande publique de GMD pour 27 M€ (avis n°24-130151), soit à peu près 300 000 grenades. Quinze fois plus que la précédente, en 2019. Les documents publiés par Politis précisent que l’intensité sonore recherchée (160-163 db à 5 mètres) est largement supérieure à celle de la GENL (144-150 db à 10 et 5 m). Il faudra donc s’attendre à découvrir une nouvelle munition. Le brésilien Condor a dans son catalogue la gamme de bombinettes « muti-impacto » GM-100, qui envoie des dizaines de billes de latex après l’explosion (lire plus bas).
Aveugler pour mieux régner
Dans les pays anglo-saxons, on les surnomme simplement « flashbang » ou « stun grenades ». En France elles sont dites « fulgurantes » ou « incapacitantes ». Comme les « plastic bullets », ancêtres des balles de gomme, elles sont sorties des arsenaux de l’armée britannique. Dans les années 70, les unités de contre-terrorisme déployées en Irlande du Nord (Special Air Service) se servaient de grenades flash bang lors de raids ou de perquisitions à domicile, les lançant au hasard dans une pièce avant d’intervenir. La grenade G60 des SAS déclenchait une détonation de 160 db et un flash de 300 000 Candelas. C’est une poudre composé de mercure et de magnésium qui permet de dégager une telle intensité lumineuse. Il est admis qu’un Candela (cd) correspond à l’intensité d’une flamme de bougie alors que la valeur de 1 millions de cd (Mcd) correspond à peu près à celle des rayons solaires.
Ces bombes tactiques de désorientation ont ensuite été employées par la plupart des unités d’élite policiaro-militaires, pour faire face à toutes sortes de situations insurrectionnelles impliquant des civils. Comme en Ouganda en 1976 (une opération de l’armée israélienne pour libérer des otages), en Somalie en 1977 (intervention du SAS contre des pirates de l’air) ou à Londres en 1980 (assaut lors d’une prise d’otages à l’ambassade d’Iran).
Les polices anti-gangs comme les SWAT aux États-Unis les ont incorporées depuis longtemps dans leur arsenal. Modèle vedette : la M84, de conception militaire et fabriquée par des sous-traitants privés, détonne dans la gamme 170-180 db et émet un flash de 6 à 8 Mcd pendant quelques centièmes de seconde. La masse active contient toujours du magnésium mais a remplacé le mercure par du nitrate d’ammonium. En 2003, une telle arme a causé la mort d’Alberta Spruill, une femme de 57 ans à Harlem (New-York), par arrêt cardiaque (grenade jetée dans son appartement « par erreur » — ce n’était pas la bonne porte… — lors d’un raid anti-drogue), selon un rapport de l’ONG Physicians for Humans Rights publié en 2023.
L’usage de grenades flashbang contre la foule s’est banalisée aux États-Unis en 2014 dans les rues de Fergusson (Missouri) lors des révoltes qui ont suivi la mort de Michael Brown, un jeune de 18 ans abattu par un policier. Et ainsi de suite lors d’insurrections similaires, notamment après le meurtre de George Floyd en 2020. Leader du marché de ces bombinettes meurtrières : l’incontournable société CSI/CTS.
En France, des grenades aveuglantes ont été employées de la même manière pour la première fois en juillet 2023, lors des soulèvements provoqués par un crime policier (mort de Nahel Merzouk à Nanterre). Des grenades de marque allemande (Rheinmetall Defense), dont un modèle qui émet 9 flash lumineux successifs, ont été utilisés, selon le site Maintiendelordre.fr. Ces munitions proviennent des stocks des unités d’élite (RAID et BRI), déployées à l’époque en renfort pour mater les révoltes. Elles ne sont pourtant pas homologuées en maintien de l’ordre. Les autorités affirment que la situation le justifiait, parlant de situation de « rétablissement de l’ordre ». Une notion complètement absente du code de la sécurité intérieure, censé servir de socle légal au déploiement des armes.
Ces grenades explosives opèrent donc un triple effet pour désorienter ses cibles (souffle, sonore et lumineux) et sont capables de blesser toute personne située dans un rayon d’action de plusieurs dizaines de mètres.
AUCUNE ÉTUDE N’EXISTE SUR LES DANGERS DU FLASH LUMINEUX
Les risques de la déflagration sur l’appareil auditif sont bien documentés : seuil de douleur à 120 db, risque de lésions du tympan à partir de 150-160 db et perte d’audition possible au-delà de 170 db [p. 13]. En revanche, les risques liés à leurs capacités « aveuglantes » sont moins connues. L’intensité lumineuse déclenchée par l’explosion atteint des valeurs monstrueuses, plusieurs millions de candelas pendant un laps de 0,03-0,05 seconde.
La dernière grosse commande de grenades de 78 M€ ne comportait pas de modèles aveuglants. Mais les stocks sont prêts. Alsetex possède la GM2 F (F pour « fulgurant »), dont le flash peut atteindre 7 Mcd. Le brésilien Condor produit la flashbang GL-307, sans donner de chiffres sur sa capacité aveuglante, mais elle atteint fatalement les mêmes valeurs. La littérature indique que des modèles récents peuvent atteindre 8 voire 10 millions de candelas.
Quels sont les risques des flash lumineux à haute intensité? Les données sont rares ou inexistantes. Les intensités publiées sont valables à 100 m de l’impact. Il serait intéressant de savoir si les risques sont aggravées à plus proche distance (entre 10 et 2 m par exemple). La GM2F provoquerait, par exemple, « une cécité de 20 secondes dans l’obscurité » (donnée Alsetex reprise par cette source). Quid des personnes plus vulnérables, malvoyantes ou atteintes de maladies ou de troubles oculaires chroniques ? Il n’existe pourtant aucune étude officielle qui évalue exactement les risques d’être confronté à de telles munitions. Surtout que les effets combinés augmentent les risques. Un document de recherche réalisé pour le gouvernement étasunien en 2018 établie que « le réflexe défensif provoqué par le flash peut rendre l’individu plus vulnérable au bruit comme à l’effet de sidération […]. Une lumière intense et ses effets sur la vision a tendance à augmenter la sensation sonore, l’individu aura ainsi l’impression que le bruit est plus puissant lorsqu’il est accompagné d’un flash de lumière, même lorsque le bruit ne dépasse pas les 50 db » [3]. Les verres teintés de masques à soudure vont bientôt faire partie du matériel à emporter en manifestation.
Paradoxalement, les grenades flashbang de la BRI, du RAID ou du GIGN paraissent moins puissantes sur le papier (2,5 Mcd chez Reinmetall). Elles sont en revanche composées essentiellement d’acier, donc sources d’éclats et de débris pouvant perforer les tissus.
A l’avenir, on peut s’attendre à devoir faire face à d’autres gadgets mortifères qui ont déjà fait des ravages après la mort de George Floyd aux USA : les balles explosives (« blast balls » ou « sting balls »), pour ne pas dire « bombes ». Ces sphères en latex ou élastomère de 8×12 cm cumulent trois, quatre voire cinq effets combinés : souffle, assourdissant, aveuglant, lacrymogène/irritant et cinétique (propulsant des billes en latex ou élastomère). La gamme GM-100 de Condor en propose trois variantes, dont deux crachant des dizaines de billes de caoutchouc de 9,5 mm. En 2018, l’armée américaine a développé un mortier de calibre 81 mm capable de balancer d’un seul coup 14 balles explosives à une distance comprise entre 400 et 1500 m.
Taser, le pistolet à « létalité réduite » ? Non, une arme de torture définitivement mortelle
La police française utilise cette arme « électrocutante » depuis 2004. D’abord avec le modèle Taser X26 du fabricant étasunien Axon, remplacé progressivement depuis 2020 par le T7, qui permet 2 tirs simultanés (un seul avec le X26). Le pistolet à impulsion électrique (PIE) propulse deux électrodes, reliées par un câble du pistolet à la cible, et pénètre jusqu’à 5 mm de vêtements. Le pic d’intensité électrique est de 50 000 volts, mais le fabricant ne parle que d’une « moyenne de 1500 volts », sachant qu’un PIE délivre 19 impulsions par secondes pendant 5 secondes. Ces armes peuvent être activées comme un shocker (contact entre l’arme et le corps). Une fois le tir effectué, il faut changer la cartouche. Le T7 en possède deux types, à courte (1,5-3 m) ou longue portée (3-7 m). Chaque PIE est équipé d’une caméra portative, censée se déclencher lors de chaque tir.
D’après le rapport 2023 de l’IGPN, les PIE ont été utilisés à 522 reprises en 2014 et 3675 fois en 2023 (chiffre multiplié par 6). Début 2024, 7500 armes de ce type étaient en circulation, contre 500 en 2014 (multiplié par 15).
Le pistolet à impulsion électrique est l’arme typique du concept orwellien de « létalité réduite ». Plusieurs ONG l’ont déjà jugé comme une arme de torture (« traitement inhumain ou dégradant ») et son potentiel mortel n’est pas une illusion : le taser tue. Notre recensement comptabilise 10 morts en France en moins de quinze ans (2020-2024). Dont Kylian S., 30 ans, torturé à mort le 5 janvier 2024 à Montfermeil. Lors d’une intervention de plusieurs équipes de la police nationale, pour avoir refusé un contrôle d’identité, six agents lui ont asséné 10 décharges de leurs pistolets à impulsion électrique. Seriba, lui, est un survivant. En septembre 2021 à Paris, cet exilé malien, interpellé par la police en état d’ébriété, a été tabassé et a subi des décharges de taser sur ses testicules.
Le fabricant Axon s’est toujours auto-disculpé en affirmant que le choc électrique ne pouvait pas, à lui seul, causer la mort. Mais toutes les analyses indépendantes réalisées depuis une vingtaine d’années contestent son caractère « non létal ». En 2008 déjà, Amnesty International avait recensé 330 personnes mortes après avoir reçu une décharge de taser aux États-Unis depuis 2001. La plupart des décès ont été attribués à d’autres causes. Mais les médecins légistes désignent les PIE comme « cause » ou « facteur contributif » de plus de 40 morts. L’ONG a repris son analyse cinq ans plus tard : 540 morts recensées (2001-2012), dont 90% des victimes étaient non armées, et 60 morts avaient été directement attribuées au choc électrique (cf rapport « Less than lethal? » édition 2008 et 2012).
L’agence de presse Reuters effectue une enquête remarquable, « Shock Tactics », depuis 2017, dans le même décompte de morts suspectes après des coups de taser aux États-Unis depuis 1990, année de son autorisation. Fin octobre 2024, on en était à 1081 cas recensés, 90 % étant des victimes non armées, dans lesquels 163 morts peuvent être directement attribuées (cause ou facteur contributif) aux décharges de taser alors que 46 en sont la conséquence directe (chutes ou incendies mortels causés par l’électrochoc).
La société Axon est passée maître en stratégies d’influence pour détourner l’attention sur les risques réels et avérés de son arme de torture électrique. Le Groupe d’enquête indépendant (GENI) a relevé que la grande majorité des études sur l’évaluation de la dangerosité du taser est réalisée par les propres experts de la compagnie, et la moitié ont bénéficié d’un financement total ou partiel du fabricant. Exemple : Jeffrey D. Ho, éminent médecin urgentiste du Minnesota, est en réalité contractant de Axon depuis 2005 (la société s’appelait encore Taser Inc.), tout en étant shériff adjoint de la police du comté où il réside. Dans ses expertises judiciaires, Ho a suggéré que les victimes étaient atteintes d’une maladie cardiaque d’origine psychiatrique (« excited delirium », ou « délire agité ») [3]. Pathologie non reconnue par les psychiatres. Reuters a pourtant identifié cette cause fantomatique dans 290 cas, soit 27% du total. Preuve que cet influenceur du taser a bien fait le job.
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- Partie 1 – Stock de matraque en hausse, blindés anti-émeutes et canons à eau dernier cri
- Partie 2 – Batteries de grenades lacrymo, la relève du LBD, nouvelles munitions cinétiques
Retrouvez l’ensemble de ces informations dans la 3ème édition de notre brochure « Les armements du maintien de l’ordre« , à télécharger sur cette page