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Mohammed Helmi Gabsi, 34 ans est mort au commissariat de Béziers vers 23h30 ce mercredi 8 avril, après son interpellation par la police municipale pour “non respect du couvre-feu”.

Selon le récit publié par France Bleu jeudi, trois policiers municipaux décident, vers 22h30, de contrôler Mohamed, qui marchait dans les rues de Béziers, alors que son maire Robert Ménard, qu’on ne présente plus — raciste, islamophobe et adepte de la théorie extrémiste du “grand remplacement” — avait été parmi les trois premiers maires, dès le 21 mars, à décréter un couvre-feu interdisant tout déplacement de 20h à 6h (*).

L’interpellation est brutale. Le procureur de Béziers fera cette déclaration jeudi 9 avril :

Les policiers municipaux entendus dans la nuit en audition libre ont expliqué avoir eu des difficultés à le menotter puis à le faire entrer à l’arrière de leur véhicule en le maintenant sur le ventre. Un policier municipal se serait alors assis sur les fesses de l’individu encore très excité dans le but de le maintenir jusqu’à sa conduite au commissariat de police à quelques centaines de mètres du lieu d’interpellation. Il se serait calmé au cours du bref transport, les trois policiers affirmant l’avoir entendu “ronfler”, leur laissant penser qu’il s’était endormi.

Procureur de Béziers

Pourtant, à leur arrivée au commissariat, Mohamed ne respire plus et son décès est constaté à 23h30.

Très rapidement, comme toujours, les premières dépêches et les articles mettent le paquet pour criminaliser la victime. Comme si avoir un casier judiciaire justifiait de mourir étouffé dans une voiture de police. La machine à fabriquer l’impunité se met rapidement en marche.

De plus, selon les premiers éléments, Mohamed est d’abord présenté comme sans domicile fixe avant que, étrangement, cette mention ne disparaisse progressivement de tous les articles relatant sa mort. Serait-ce pour éviter tout lien entre sa mort et l’action municipale, qui, ce même jour (source France 3), a fait enlever l’ensemble des bancs publics de la ville? Une ville où la “police”, sous toutes ses formes, est particulièrement choyée. En 2015, la ville se vantait déjà de ses nouvelles armes à feu en dotation pour les policiers municipaux en en faisant la publicité dans les rues de la ville (photo de une). Bien avant le confinement, en février 2020, Ménard était fier de communiquer sur le lancement de “patrouilles mixtes” composées de policiers nationaux et municipaux. “Les agents partagent les mêmes locaux. Une mutualisation des moyens pour une meilleure proximité” (source France Bleu).

Pourtant, de nombreuses personnes vivent des conditions de confinement difficile voire misérables. S’appliquer à rendre aussi invivable l’extérieur que l’intérieur relève du pur cynisme. La ville de Béziers a, depuis longtemps, une longueur d’avance sur le devenir fasciste de notre société. Le 8 avril, ce n’est pas une des armes à feu dont sont équipées la police municipale de Béziers qui a tué un homme, mais bien, une nouvelle fois, une “technique d’immobilisation” : au moins un des agents s’est assis sur l’homme allongé à plat ventre et menotté dans la voiture. Ces techniques détestables sont responsables d’un nombre conséquent de décès, provoqués par des interventions des forces de l’ordre, comme le rappelle la campagne “Laissez-nous respirer!” du Collectif vies volées qui lutte depuis des années pour leur interdiction totale.

(*) Couvre-feu rectifié peu après par le préfet de l’Hérault, pour le fixer de 21h à 5h, comme à Sète et Montpellier

Je m’appelle Mohamed Helmi Gabsi.

J’ai 34 ans à peine, je suis père de trois enfants.

Hier soir, j’ai rencontré la police municipale de Béziers… Le couvre-feu avait déjà sonné…

J’en suis mort.

Comme à leur habitude, les policiers n’y sont pas allés de main tendre…

J’ai été violenté par plusieurs hommes, bien trop nombreux, puis porté comme un objet dans la voiture… Des vidéos insoutenables montrent mes derniers instants…

Une violence inouïe, j’appelais au secours, mais… J’étais seul.

Le policier municipal l’avouera plus tard: ils m’ont mis sur le ventre dans la voiture, et il s’est assis sur moi tout le long du trajet… Il dira tout simplement qu’il croyait “que je dormais”.

Arrivé au commissariat, la police nationale m’a récupéré inconscient de leurs mains, eux et les pompiers ont essayé de me prodiguer les premiers soins pour sauver ce qu’il restait de ma vie…

Trop tard.

Ces mêmes policiers savent que la municipale est violente, qu’elle ne sait pas gérer les situations, qu’elle excite et provoque au lieu de calmer, qu’elle n’est pas formée pour maîtriser les dangers… Je le savais déjà mais aujourd’hui : j’en suis mort.

J’ai fait des erreurs dans ma vie, car elle n’était pas aussi simple que la vôtre… Mais malgré ça : j’étais très aimé dans ma ville.

J’ai perdu ma mère jeune, j’ai perdu un frère, j’ai vécu des choses atroces que vous ne pouvez pas connaître, loin de mon environnement et pourtant si proches. J’ai vécu des choses qui vous auraient fait sombrer dans la folie… Mais les médias ne vous le diront pas.

Pour justifier l’horreur, pour minimiser l’injustifiable : ils feront tout pour me salir… Ils feront tout pour noircir ma vie plus qu’elle ne l’était déjà… Et comme d’habitude : vous les croirez… Mais aucun de vous n’a porté mes chaussures, aucun de vous n’a vécu ce que j’ai vécu et ça… Ils ne vous le diront pas.

Il est peut-être normal pour eux qu’un homme soit mort dans les mains de la police municipale, sans avocat ni jugement, sans foi ni loi, condamné à une violence mortelle… Juste parce qu’il était dehors…

Plus jeune, je jouais tout le temps au foot avec tout le monde, j’étais heureux, plein d’ambition, toujours souriant… C’est comme ça que je me suis fait connaître des plus jeunes et des moins jeunes. C’est comme ça qu’on m’a aimé.

Puis la noirceur de la vie a eu raison de moi, les malheurs, la difficulté, des épreuves insurmontables, même pour vous…

Les policiers municipaux n’ont jamais été tendres avec moi… Lors de leur dernière interpellation violente envers moi il y a quelques jours, je l’annonçais déjà comme une prémonition : “aidez-moi, ils vont me tuer”…

Quelques jours plus tard… Hier soir… C’était chose faite.

S’en souviendront-ils ? Penseront-ils à ma famille ? S’occuperont-ils de ceux que j’aime ? De mes enfants ?

Je ne les verrai pas grandir…

Je le répète, ils font tout pour me salir, se protègent les uns les autres… Ils iront jusqu’à mentir et utiliser les termes les plus déshumanisants contre moi, pour vous faire oublier que moi aussi… J’avais une âme. Moi aussi, j’avais un cœur… Moi aussi, j’avais le droit de vivre…

Oui… Ils font tout pour me salir, comme pour faire oublier l’horreur de leurs propres actes, comme pour détourner l’attention de ce qu’ils m’ont fait… Ils font tout pour me salir…

Mais ils ne connaissent rien de ma vie, ils ne savent rien des mes épreuves rencontrées et endurées, ils ne savent rien de l’amour que j’ai reçu et que j’ai donné… S’ils sont toujours heureux au même âge que moi : c’est juste que leur vie a été beaucoup plus rose que la mienne. Pensez-vous réellement que je l’ai choisi ?

Qu’est ce qui méritait que je sois mort à même la rue, sans aucun jugement, sans la moindre loi ?

Qu’est ce qui méritait que je sois traité bien pire que la manière dont ils traitent les meurtriers et les pires criminels ?

Je n’ai jamais enlevé la vie, et mes amis vous le diront: j’étais un homme bon, j’avais du cœur, et j’aimais aussi.

Mes enfants seront sans père… Car hier… J’ai rencontré la police municipale.

Ecrit par un proche de Mohamed Helmi Gabsi