Ibrahima, un jeune habitant de Sarcelles, a été assassiné par la police dimanche 6 octobre 2019 dans le quartier de la Cerisaie à Villiers-le-Bel (95). 

Comme nous l’écrivions trois jours après les faits, les médias ont très vite relayé une version arrangée en faisant passer les policiers pour des sauveurs. Le story telling policier tourne alors en boucle : ils étaient sur place en train de contrôler un véhicule lorsqu’arrive en moto Ibrahima; l’un des flics aurait alors esquissé un geste de ralentissement de la main mais Ibrahima aurait, selon eux, accéléré en vue d’échapper au contrôle et, par malchance, percuté un poteau métallique qui lui aurait été fatal. Les policiers se seraient alors précipités à son secours pour lui prodiguer les premiers soins. Comme d’habitude, cette version n’avait pas pour autre objectif que de criminaliser la victime.

Dès le lendemain une marche de soutien était organisée dans le quartier.

« Au micro, Diané Bah retient ses larmes. Son frère de 22 ans, Ibrahima Ba, est décédé la veille, ce dimanche 6 octobre. Le cadet d’une famille de cinq est tombé en moto, lors d’une intervention de police, et a violemment percuté un poteau métallique. Malgré les massages cardiaques, il est mort avant d’arriver à l’hôpital. « Est-ce qu’il est normal qu’aucun élu, qu’aucune personne de la mairie, ne soit venue nous donner ses condoléances ? » « Non », réitère l’assistance. Lorsqu’il est arrivé à l’hôpital, Diané raconte que le personnel médical riait. Il a cru que tout allait bien, que son frère s’en était sorti. « Personne ne nous respecte. Pourquoi ces gens riaient ? Pourquoi personne n’est jamais là pour nous ? On est humain non ?! On est citoyen ?! Pourquoi toujours ici ? »

Streetpress, 7/10/2019

En ces temps de remise en cause policière, de dénonciation des exactions, d’ouverture des yeux générale sur leur barbarie, un nouveau meurtre n’était pas le bienvenu… La version des témoins diffère totalement de la version « officielle » et met en cause directement la police qui, voyant une moto approcher, a décidé de lui couper la route. Ibrahima a tenté de dévier sa trajectoire pour ne pas percuter le véhicule. Il en est mort. La famille veut que justice soit rendue et, pour cela, demande dans un premier temps à pouvoir accéder aux images de vidéo surveillance afin d’éclairer les circonstances réelles de la mort d’Ibrahima. Deux mois après les faits, la famille n’a toujours aucune garantie que ces images seront versé au dossier et qu’ils pourront y avoir accès.

Jeudi 19 décembre, la famille, qui s’est constituée partie civile et a créée l’association « Paix et Justice pour Ibrahima Bah », a en effet donné une conférence de presse afin d’apporter de nouveaux éléments sur l’avancée de l’enquête, ayant eu accès au dossier judiciaire — instruction pour homicide involontaire ouverte le 10 octobre par le parquet de Pontoise.  

« Après la criminalisation automatique des victimes des forces de l’ordre, il y a ce procédé où le système essaye d’enterrer la victime avec les preuves. En effet les jours suivants le décès de notre frère, les forces de l’ordre ont appelé sur le fixe de nos parents en leur indiquant qu’ils allaient restituer le corps de notre frère avant même de nous avoir communiqué les résultats de l’autopsie. Nous avions refusé. Il y a une négligence absolue dans cette affaire. »

Diané, frère d’Ibrahima, conférence de presse du 19 décembre.

La suite nous le prouve : l’accès aux images de la caméra présente sur place n’est pas permis à la famille. Il est souligné que la caméra rotative n’aurait filmé que le début et la fin du drame occultant formellement les minutes fatales. 

Cela fait écho à l’histoire d’autres victimes, notamment à celle de Zineb Redouane à Marseille, morte suite à des blessures survenues lors d’une manifestation le 1er décembre 2018. La caméra qui aurait filmé le moment de sa mort, et donc celui du tir fatal, a été déclarée inopérante. Le 5 juin 2019, Yassine Bouzrou, avocat de la famille de Zineb Redouane — il est devenu entre-temps celui de la famille de Ibrahima Bah –, déposait plainte pour « faux en écriture publique aggravé » après avoir été informé que l’une des 4 caméras censée être la plus proche de l’endroit où a été effectué le tir serait inopérante : « Il est particulièrement surprenant que ce soit justement cette caméra qui ait été déclarée inopérante. La thèse malheureuse du défaut de fonctionnement de la caméra la plus proche des lieux des faits n’est pas crédible, et ce notamment au regard des manœuvres employées […]. ».

Caméras inopérantes, ou ne filmant pas les faits, un tas d’excuses pour ne pas fournir cet élément fondamental à la famille. Les seules images des faits qui ont conduits à la mort de leur enfant et frère, et qui constituent les preuves des exactions commises.

Il n’existe aucun doute sur le fait que les policiers ont conscience d’être filmés lors de leurs interventions. Pourtant, il semble qu’ils ne se sentent pas inquiétés ou qu’ils ne sont pas sur leurs gardes lorsqu’ils agissent, sachant par avance que leurs actes ne seront pas punis et que les bandes disparaîtront de la circulation si besoin, comme souvent. L’impunité offerte sur un plateau…

« Comment faire le deuil si on nous refuse le droit légitime de connaître les circonstances de la mort de notre frère ? »,

Diané, frère d’Ibrahima, conférence de presse du 19 décembre.

Priver la famille de ces images essentielles à la compréhension des faits, c’est la priver des derniers moments de l’être cher, c’est lui voler son deuil.

Au delà des images, il y a les témoignages et les preuves matérielles apportés dans le dossier. Tous les témoignages recueillis sur place dénoncent le rôle actif du fourgon de police, qui aurait percuté la moto ou lui aurait volontairement barré le passage. 

Après le décès de Ibrahima, il aurait paru logique que le fourgon impliqué soit immobilisé et placé sous scellés, afin d’être examiné sur le champ dans le cadre de l’instruction judiciaire. Pourtant, le fourgon continuera d’être utilisé pendant deux jours avant que la police daigne le mettre à disposition du juge d’instruction. Le côté avant droit du fourgon est enfoncé et dégradé, et la pédale gauche de la moto d’Ibrahima est endommagée. De plus, l’autopsie révélera sur le corps d’Ibrahima une plaie importante sur la jambe gauche appuyant la thèse d’une collision entre le fourgon et la moto. 

Nous sommes bien loin de la version policière initiale selon laquelle Ibrahima aurait chuté seul après avoir voulu éviter la police.

Proposition 1 : Non, Ibrahima n’a pas voulu échapper à un contrôle de police. La police lui a volontairement barré la route avec un fourgon, ce qui l’a propulsé contre un poteau et l’a tué. L’acte étant délibéré, il serait de rigueur de qualifier cet acte d’homicide volontaire (assassinat).

Proposition 2 : Non, Ibrahima n’a pas voulu échapper à un contrôle de police, la police lui a volontairement foncé dessus avec un fourgon, le propulsant contre un poteau et le tuant. L’acte étant délibéré, il serait là aussi de rigueur de qualifier cet acte d’homicide volontaire (assassinat).

Malgré ces preuves matérielles et les témoignages, les policiers impliqués n’ont « pas été inquiétés et continuent d’exercer impunément. C’est une insulte publique pour la famille. », selon le frère d’Ibrahima lors de la conférence de presse.

2007, Villiers-le-Bel, un autre « accident » de moto causait la mort de Moushin et Laramy, 15 et 16 ans

En 2007, dans la même ville de Villiers-le-Bel, deux adolescents, Moushin et Laramy, ont été tués par la police dans des circonstances qui rappellent la mort d’Ibrahima. Le lien entre les deux drames a été évoqué lors d’un rassemblement en hommage à Ibrahima, le lendemain de sa mort. En 2007, c’est un véhicule de la BAC qui a percuté de plein fouet la mini moto sur laquelle se trouvaient les deux adolescents. Le véhicule de police, qui était soi-disant « en mission urgente », n’arborait pourtant ni gyrophare ni avertisseur sonore réglementaires.

Usant de la même stratégie de criminalisation des victimes, qui n’étaient pourtant que deux adolescents sur une mini moto, le conducteur de la BAC, accusé d’homicides involontaires, avait initialement bénéficié d’un non-lieu en 2009. En avril 2012, le policier était accusé de faux témoignage, l’expertise judiciaire contredisant les témoignages initiaux : « les policiers disaient qu’ils roulaient à 50 km/h, mais l’expertise montre une accélération lors du passage du carrefour avec une pointe jusqu’à 64, voire 69 km/h. », selon un récit de la presse mainstream (Nouvelobs, 20/04/2012). La cour d’appel de Versailles a réclamé un complément d’informations en 2012 qui a conduit le policier devant le tribunal correctionnel de Pontoise. Il encourait 5 ans de prison et 75.000 euros d’amende. Il écopera finalement de 6 mois avec sursis, la responsabilité ayant été jugée partagée avec les deux victimes elles-mêmes… Le flic est donc toujours resté libre, l’enquête n’ayant débuté que quatre ans après les faits.

Est-il utile de préciser que nous n’accordons aucun crédit à la version policière. Moushin et Laramy ont été tués par un choc délibéré de la part de la police, tout comme Ibrahima. Douze ans plus tard, les pratiques policières n’ont pas changé.

Nous connaissons trop la responsabilité de la police lorsqu’elle entame des courses poursuites, tamponne des véhicules ou lorsqu’elle croise le chemin de certains jeunes et qu’elle disparaît en les laissant morts, seuls. Toujours les mêmes victimes, souvent les mêmes lieux. C’est ainsi que la police traite les quartiers populaires, avec violence et haine, s’octroyant le droit de vie ou de mort sur ses habitant.e.s.

N.B. : En novembre 2007, lors des émeutes ayant suivies la mort de Moushin et Laramy, quelques « révoltés » accusés d’avoir tiré sur des policiers à cette occasion et accusés par des témoins sous X dont on ne peut vérifier la probité, ont été condamnés de 3 et 15 ans de prison lors de leur procès en première instance. Lors du second procès en assises, les frères Kamara ont vu leurs peines confirmées (12 et 15 ans de prison), comme le raconte ici le collectif Angles morts (26/05/2012). La Justice n’est pas la même pour tou.te.s.

Comme toujours dans ces affaires qui opposent les victimes à la police, nous soutenons les demandes des proches à obtenir un droit d’accès immédiat et sans condition à l’ensemble des éléments de l’enquête, à la totalité des images de vidéosurveillance et à un accès aux scènes de crime dans le but de pouvoir mener des actes d’investigation indépendante.

Pour Ibrahima, ni oubli, ni pardon. Soutien total à ses proches.