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Le 16 février 2018, la presse quotidienne locale (monopolisée par le journal Le Berry Républicain*) évoque l’intervention de policiers au Prahda du Subdray deux jours plus tôt suite à une bagarre.

Le Prahda du Subdray est un lieu de passage pour nombre de demandeurs d’asile « dublinés » (1) que l’Etat français expulse progressivement vers d’autres pays d’Europe.

Quatre vingt dix neuf personnes y vivent dans des conditions matérielles et psychologiques extrêmement dures. Toutes ces personnes, rejetées par l’Etat français hors de ses frontières, se voient ainsi refuser les soins physiques et psychologiques dont ils ont besoin. Ce contexte constitue un terreau propice aux violences envers soi et les autres.

Ce 14 février, ces tensions se sont donc cristallisées en une bagarre entre deux groupes de personnes résidentes du Prahda. Le premier souhaitait fêter une victoire footballistique et le deuxième réclamait le calme dans un lieu où le sommeil est difficile à trouver.

L’article du Berry Républicain ne donne aucun détail sur les raisons de la bagarre à l’origine de l’intervention policière. Il se borne à rapporter les éléments de communication de la police évoquant la nécessaire utilisation d’un chien policier, « conformément à la procédure », pour neutraliser un individu décrit comme agressif. Aucun recoupement du témoignage de la police avec d’autres, notamment ceux de résidents du Prahda, n’a été effectué par le journal.  Ce n’est pas comme si l’institution policière française était exempte de tous soupçons de violences (2) envers celles et ceux en bas de la hiérarchie sociale. Le Berry Républicain parle donc ici d’une “bagarre” entre “une quinzaine de résidents” utilisant “plusieurs bâtons et barres de fer” qui “n’a pas fait de blessé” mais oublie de souligner que le seul blessé dans l’affaire l’est par les forces de l’ordre.

En réponse à cet article à charge, dénué de toute éthique journalistique et laissant le champ libre à l’exercice du pouvoir, d’autres témoignages ont été glanés.

Craignant que la situation ne s’envenime, plusieurs résidents du Prahda ont pris l’initiative d’appeler la police en pensant trouver de l’aide. Cette dizaine de personnes est donc sortie en partie pour ne pas assister à la bagarre et d’autre part pour composer le 17.

Vers 23h10, environ vingt minutes après l’appel, plusieurs véhicules de la police nationale arrivent sur les lieux. Les policiers sortent de leur véhicule.

Selon plusieurs témoignages, les personnes présentes à l’extérieur du Prahda n’auraient pas eu le temps de s’exprimer ou d’échanger avec les policiers. Un chien policier, sans muselière, est lâché contre un des résidents se dirigeant vers eux pour expliquer les raisons de l’appel téléphonique qu’il venait de leur passer. L’homme est mordu au niveau de son coude droit, morsure d’une longueur d’environ dix centimètres avec une autre lésion plus superficielle plus haut sur le bras. Plusieurs témoignages évoquent les rires des policiers lors de l’attaque du chien.

Les protagonistes de la bagarre s’étant réfugiés dans leurs chambres, les policiers les font sortir de force. Mais des personnes innocentes subissent le même traitement. Un autre demandeur d’asile, très malade, rapporte avoir été sorti violemment de sa chambre en sous-vêtements alors qu’il dormait avant l’arrivée des policiers. Il raconte avoir subi des violences verbales, notamment relatives à son statut d’étranger, de la part des policiers armés et avoir été aligné avec les autres personnes dehors, dénudé par une température glaciale.

Tous dont le résident mordu sont alignés contre la fenêtre à l’entrée de l’établissement les mains levées et sont fouillés. A ce moment là, d’autres résidents essaient de photographier ou de filmer la scène. Ils nous rapportent avoir été tenus en joue pour empêcher ces prises d’images. (3)

La personne mordue, accusée d’avoir été à l’origine de l’attaque des policiers, a été emmenée au commissariat. Après une nuit en garde à vue, sans soins, une ambulance a finalement conduit la victime à l’hôpital. Le personnel de l’hôpital pose des agrafes, administre un vaccin DTP et prescrit des antibiotiques en alertant sur le risque d’infections.

Les travailleur-euses sociales du Prahda témoignent, la victime est un garçon “paisible, souriant, aucunement violent”. Quatre jours plus tard, la victime est transférée vers l’Italie malgré une lettre de la responsable du Prahda à la préfecture demandant un délai de quinze jours pour permettre la cicatrisation de la plaie et l’enlèvement des agrafes. Ce refus de délai catégorique de la part de la préfecture rappelle les nombreux cas de transferts forcés de personnes attendant ou suivant des prises en charges médicales urgentes (soins liés à des stress post-traumatiques ou à des séquelles de tortures, maladies – diabète grave, VIH dans une autre ville française).

La complaisance médiatique à l’égard des discours du pouvoir (4) laisse le champ libre à ce type d’opérations de terreur relatées comme de simples faits divers où la charge du délit est inversée pour criminaliser les victimes. Cela s’inscrit dans le cadre plus large de violences institutionnelles dont les conséquences sur des personnes venues chercher secours en France sont dramatiques. Ce genre d’article participe à la justification, auprès d’une partie de la population, des traitements inhumains envers les migrants et de l’escalade sécuritaire qui les accompagnent.

Des personnes solidaires

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1. En finir avec le règlement Dublin pour un vrai droit d’asile en Europe – stopdublin.fr
2. Collectif contre les violences d’Etat – desarmons.net
3. Il est interdit d’interdire… de filmer la police – taranis.news
4. Lettre ouverte de la préfète du Cher, en réponse à une Berruyère qui héberge un migrant en situation irrégulière – leberry.fr

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Pour aller plus loin :