Au cours de la manifestation contre l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, des affrontements ont éclatés entre opposantEs au projet Cigéo et gendarmes sur les champs entourrant la commune de Saudron (Meuse). Peu avant la fin des hostilités, les gendarmes ont fait un usage intensif des grenades GLI F4, dite « grenades assourdissantes », occasionnant plusieurs blesséEs grave, dont l’un risque aujourd’hui une amputation des orteils.

Le contexte de la manifestation du 15 août

Mardi 15 août, alors que la manifestation contre le projet Cigéo arrive à son terme après avoir déjà été durement réprimée dans le village de Saudron, une assemblée se réunit sur les hauteurs au-dessus du village, où les manifestant.es se sont réfugié.es pour déterminer les suites. La décision est prise de tenter une dernière fois de rejoindre le point d’arrivée initiaiement prévu, en drection des gardes mobiles, positionnés en petits groupes alignés le long d’un champ situé exactement sur la limite entre la Meuse et la Haute-Marne, entre les villages de Bure et de Saudron. Il s’agissait de mettre un dernier coup de pression avant de rentrer. La plupart des manifestantEs étaient fatiguéEs, après avoir été acculéEs loin de l’objectif initial de la manifestation et canardéEs avec des grenades lacrymogènes depuis bien une heure. Presque tout le monde s’est laissé entraîner, y voyant une manière de décompresser avant de rentrer bredouilles.

L’impensé de ce baroud d’honneur, c’est que les gendarmes ont riposté aussitôt avec un tir de barrage très dense de grenades de désencerclement (DMP) et balles de gomme (LBD 40 mm), ainsi qu’une vingtaine de grenades lacrymogènes instantanées, montant d’un palier dans la doctrine du maintien de l’ordre. Tirées à 50 et 100 mètres, les grenades GLI F4 sont retombées essentiellement sur les personnes situées en arrière-plan, dont certaines se repliaient déjà en appelant les autres à faire de même.

Robin est parmi ces personnes là. Quand la grenade retombe, elle a déjà dégagé son nuage de gaz lacrymogène dans les airs et sa charge de tolite (équivalent de la TNT) explose au moment où l’ogive touche le pied de Robin. La botte est pulvérisée, le pantalon déchiqueté, et le dessus du pied de Robin instantanément arraché par l’impact. Aussitôt porté par une demi-douzaine de manifestantEs, il est transporté vers l’ambulance partisane qui attend sur le chemin, à 500 mètres de là.

Une semaine après, Robin risque de perdre l’usage de son pied gauche. Hospitalisé à Nancy, ses médecins attendent d’écarter le risque infectieux pour l’opérer.

Les précédents

Ce n’est pas la première fois que la GLI F4 occasionne des blessures graves. Quelques exemples connus :

Le 25 janvier 2001, Édouard Walczak participe à une manifestation de pompiers sur la place de la République à Lille. Les pompiers s’affrontent aux CRS, qui lancent des grenades lacrymogènes et des GLI F4. Edouard ramasse une GLI F4, qu’il confond avec une grenade lacrymogène et qui explose entre ses doigts. Sa main est arrachée sur le coup.

Le 29 janvier 2009, Pascal Vaillant manifeste pour le système de retraites dans les rues de Saint Nazaire. Il quitte la manifestation plus tôt que prévu et s’apprête à faire des courses avant de rentrer chez lui. Passant à proximité de la sous-préfecture où des affrontements se poursuivent, il reçoit une grenade GLI F4 sur le pied. La blessure nécessitera l’amputation de deux orteils. Il reste handicapé à 75 %.

Le 26 octobre 2013, Mickaël Cueff manifestait contre l’instauration des bornes écotaxes sur la RN 165 près de Pont de Buis. AttaquéEs par les gendarmes, les manifestantEs répliquent. Mickaël essaye de relancer une grenade qu’il pense être une grenade lacrymogène. La GLI F4 lui explose dans la main, qui est arrachée sur le coup.

Beaucoup plus régulièrement, la GLI F4 a occasionné des plaies multiples en raison d’éclats, ainsi que des acouphènes, voire entraîné la surdité de manifestantEs.

La grenade offensive suspendue, la GLI F4 maintenue

Le 26 octobre 2014, lorsque Rémi Fraisse est tué dans le dos par une grenade offensive OF F1 à Sivens, l’inspection de la gendarmerie et de la police tergiversent longuement sur le maintien des deux grenades, sous-pesant les arguments en faveur de l’une et de l’autre (ce soir là, les gendarmes ont lancé 23 grenades offensives et 38 GLI F4, de quoi s’y perdre). Finalement, la GLI F4 est maintenue et l’OF F1 suspendue, pour des considérations purement stratégiques. La police n’utilisant que les GLI F4, elle se fiche éperdument du maintien en service des grenades offensives, mais exerce un lobbying évident pour que la GLI F4 continue de doter les forces de l’ordre. A l’époque, Cazeneuve lui-même s’en fait le défenseur, estimant que les GLI F4 sont « nécessaires pour le maintien à distance ». « Elles sont, en outre, indispensables à la gradation de la réponse pour protéger tout à la fois les forces de l’ordre et les manifestants violents contre les conséquences dommageables d’un contact ».

Le gouvernement se contente alors de « durcir les modalités d’emploi des grenades lacrymogènes à effet de souffle, dites “GLI” pour grenade lacrymogène instantanée », proposant que l’utilisation de ces munitions se fasse « en binôme, un binôme composé du lanceur lui-même et d’un superviseur ayant le recul nécessaire pour évaluer la situation et guider l’opération ».

À Bure ce 15 août, il est certain que le ou les superviseurs n’avaient pas le « recul nécessaire » pour les deux dizaines de grenades lancées en moins de 3 minutes…

C’est quoi cette grenade lacrymogene instantanée ?

La grenade GLI F4, de calibre 56 mm, pèse 190 grammes, dont 41,2 grammes de masse active. Grenade dite « à effet combiné », elle est composée de 10 grammes de gaz lacrymogène CS pur et de 24 grammes de tolite (équivalent de la TNT) + 4 grammes d’hexocire. Elle peut être lancée à la main, ou propulsée à l’aide de dispositifs propulseurs DPR de 50, 100 ou 200 mètres et grâce à des lance-grenades Chouka ou Cougar.

La GLI F4 est constituée d’une ogive en plastique rigide de couleur grise, contenant une cartouche en polystirène blanc dans laquelle on trouve le détonateur et le dispositif d’allumage, ainsi qu’une cartouche en carton avec un couvercle de couleurs rouge et jaune, contenant la masse active de gaz (poudre jaune) et de tonite (poudre noire). Généralement, les deux cartouches sont pulvérisées lors de l’explosion et on ne trouve sur le sol que l’ogive en plastique et le propulseur qui a permis de l’envoyer, ou le bouchon et la goupille si la grenade a été envoyée à la main.

Produite par l’entreprise LACROIX – ALSETEX sous le code SAE 810, la grenade GLI F4 est classée parmi les grenades à effet de souffle (explosive). La détonation produite par la grenade, dont le niveau sonore peut atteindre jusqu’à 165 décibels (à 5 mètres de l’impact), vise à effrayer l’adversaire. C’est la raison pour laquelle la GLI F4 a toute sa place dans la panoplie des armes à effet psychologique mise en service depuis le début des années 2000. Elle est souvent appelée pour cette raison « grenade assourdissante », bien que la grenade assourdissante corresponde à un autre modèle de grenade produite par Alsetex, la SAE 430, qui n’est pas employée dans le cadre du maintien de l’ordre en France.

Encadré par l’article R. 431-3 du code pénal et l’article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure, l’usage de la Grenade Lacrymogène Instanée (GLI F4) est prévu dans le cadre d’une riposte graduée, jaugée au regard de la violence réelle ou supposée des manifestantEs faisant face aux forces de l’ordre. Son usage intervient si les moyens basiques du maintien de l’ordre, à savoir les matraques, les canons à eau et les grenades lacrymogènes, sont jugés inefficients. Elle est utilisée sur le palier « usage des armes » qui succède au palier « emploi de la force ». Elle précède le palier « riposte » prévoyant l’usage d’armes à feu individuelles.

Utilisée allègrement lors d’affrontements de moindre intensité, et sans que les manifestantEs n’aient utilisé autre chose que des pierres, la grenade GLI F4 impose un haut niveau de violence et entraîne des blessures de guerre qui sont difficilement prises en charge par les services d’urgence classiques.

Entre Saudron et Bure ce 15 août, la préfecture a volontairement augmenté par trois le niveau de la répression, employant pour la première fois un canon à eau pour empêcher la manifestation alors qu’aucune altercation n’était encore à signaler, arrosant ensuite la foule de gaz lacrymogène alors qu’elle se trouvait à plus de 200 mètres des gendarmes et usant de grenades de désencerclement et de grenades GLI F4 alors que les forces de l’ordre n’étaient ni encerclées, ni acculées, ni mises en difficulté par les manifestantEs.

Lire ICI le communiqué des équipes medics, automedia et légales de Bure suite à la manifestation du 15 août

L’État, encore une fois, déclare la guerre aux opposantEs, employant envers elleux les moyens d’un combat symétrique.