Ce texte est publié après deux années d’hésitations, deux années au cours desquelles les raisons de le publier se sont pourtant multipliées.

Ne pas oublier de lire les notes de bas de page !

Remise en contexte

Désarmons-les ! est un collectif qui a émergé il y a exactement dix ans, à l’occasion du lancement de l’opération César à Notre Dame des Landes (2012), bien qu’avant lui, certain-e-s membres du collectif s’organisaient déjà contre les violences policières, notamment dans le cadre d’une initiative dont on peut parler aujourd’hui sans crainte, du fait de la prescription, à savoir Copwatch Nord-IDF (1).

Dés 2011, nous avions donc vu se mettre en place le combat des familles de victimes de crimes policiers, à l’époque où Ramata Dieng et son collectif, Vies Volées, battaient déjà le pavé dans les rues de Paris, à chaque mois de mars. En 2012, nous avons vu se constituer Urgence Notre Police Assassine sous l’impulsion d’Amal Bentounsi et de Farid El Yamni, puis en 2014, Désarmons-les ! a co-fondé avec plusieurs autres collectifs l’Assemblée des blessé-e-s et de leurs familles (2), constituée à Montreuil en pleine mobilisation suite à la mort de Rémi Fraisse. Et le 22 juillet 2016, alors que nous sortions à peine de plusieurs mois de répression féroce des manifestations contre la Loi El Khomri, nous étions parmi les mille à trois-mille personnes qui sont allées soutenir la famille d’Adama Traoré lors de la marche à Beaumont-sur-Oise (3).

Fort de ce succès, le Comité Adama s’est vite constitué en force politique, avec ses stratégies, ses portes-paroles, mais aussi ses adversaires politiques. La presse et les medias se sont empressés de faire d’Assa Traoré une icône et l’initiatrice d’un mouvement pourtant bien plus ancien qu’elle, renvoyant dans l’ombre celles et ceux, proches de victimes aussi, qui avaient contribué à mettre sur pieds les bases d’une résistance contre les violences d’État depuis de longues années.

Combien de fois a-t-on lu ou entendu que le Comité Adama avait « organisé les autres familles », ce qui est fondamentalement inexact. Nous n’avons rien dit à l’époque, car ce qui importe, c’est la visibilité du combat. Et nous portions le même.

Pour autant, nous portons aussi un autre combat, contre l’Etat et contre les dominations, contre l’individualisme et les compromissions par opportunisme. Et c’est là que nous avons commencé à être en désaccord profond avec l’approche et les méthodes, voire les discours publics du Comité Adama.

Rétrospective sur nos interractions tendues avec le Comité Adama

Le 25 octobre 2019, après qu’un habitant de Mantes-la-Jolie, Amadou, aie été éborgné par la police, un membre de notre collectif avait suggéré sur un groupe de messagerie regroupant familles de victimes et soutiens d’avoir une approche un peu sensible dans cette affaire, sans immédiatement ramener les caméras et dépêcher les « gros avocats du barreau ». Le porte-parole du Comité Adama Youcef Brakni s’était emporté, sans même que son collectif ni leur avocat n’aie été mentionné : « On gère pour Mantes-la-Jolie, pas besoin de personnes qui viennent nous apprendre la vie » (4). A la suite de son message, il avait quitté le groupe, n’ayant visiblement pas besoin de continuer à s’organiser avec les dizaines d’autres familles de victimes présentes sur cet échange.

Le 28 novembre 2019, une semaine après que notre camarade aie interrogé Taha Bouhafs sur Twitter sur l’éventualité d’une redistribution aux blessé-e-s d’un partie de l’énorme somme de 12 000 euros récoltés en 48h suite à sa dernière garde-à-vue (5), Youcef Brakni est revenu à la charge par messagerie après un mois de silence, avec des propos pour le moins offensifs : « En fait t’es un facho, tu t’attaques que aux arabes. Après m’avoir attaqué, tu t’en prends à Taha. […] Je sais reconnaître la haine anti-arabes, j’ai une expérience de ce côté là […] J’ai connu plein de militants soit-disant contre la police qui ne supporte pas la vue d’un arabe. Tu prends position à deux reprises contre deux militants arabes. Chacun ses combats, je te laisse à ta croisade » (6).

Autant dire qu’il a été bloqué. Mais jamais nous n’avons jugé pertinent de mettre au jour cette altercation, qui face aux enjeux de notre combat, n’avait que très peu d’importance.

C’était sans se douter qu’un autre porte-parole du Comité Adama viendrait tapoter sur l’épaule de notre camarade à l’occasion de la commémoration pour Lamine Dieng, le 20 juin 2020, juste après que les sœurs de ce dernier nous aient confié une prise de parole devant le commissariat où servaient les policiers qui ont tué leur frère le 17 juin 2007 (7). Cela pour nous délivrer une convocation : « On a entendu dire que tu disais du mal du Comité Adama. Assa Traoré veut te parler ».

La discussion n’aura finalement lieu qu’un an plus tard, quasiment jour pour jour, le 19 juin 2021, à nouveau lors de la commémoration pour Lamine Dieng. Cette fois-ci, Assa Traoré et Youcef Brakni sont venus intimider notre camarade, toujours sous prétexte qu’il critiquerait le Comité Adama. Alors qu’aucune discussion raisonnable n’était possible, Assa Traoré lui a demandé de manière tout à fait déplacée, et sans le laisser répondre, si il avait « un problème avec Adama », si « Adama avait un problème avec lui » et s’il avait « un problème avec la famille Traoré ». Demandant à ce que la discussion se recentre sur le Comité Adama en tant que collectif politique, il a été répondu au membre de notre collectif que « le Comité Adama ne fait pas de politique », suite à quoi Youcef Brakni l’a qualifié publiquement et à l’emporte-pièce de « jaloux » et de « suprémaciste blanc »

Les mots sont importants. Après l’intimidation, l’injure publique.

D’autres proches de victimes, qui en cette journée de commémoration avaient sans nul doute d’autres préoccupations, ont alors du demander à Youcef Brakni de partir et écouter les accusations stériles et infondées d’Assa Traoré.

Notons, pour faire preuve de transparence et aider à la compréhension, qu’aucune critique publique n’avait jamais été émise à l’encontre du Comité Adama par notre collectif (8), ni par ses membres jusqu’à présent (9).

Nous pensions alors que la goutte avait fait déborder le vase, mais après moultes discussions, nous avons choisi de faire silence encore une fois.

Les raisons du silence

Les arguments principaux justifiant ce silence sont généralement les suivants :

  1. On ne souhaite pas accabler davantage les victimes qui subissent déjà les violences judiciaires et la répression d’État ;
  2. On ne souhaite pas parler à leur place ou en leur nom, tant qu’elles n’ont pas choisi de briser le silence elles-mêmes ;
  3. On ne souhaite pas donner du grain à moudre à la droite et l’extrême droite en exposant publiquement nos contradictions ;
  4. On craint que la notoriété de nos détracteurs ne nous expose, nous, et de subir des attaques violentes et infamantes pour avoir « craché sur l’icône » ;
  5. On ne se sent jamais assez légitime pour parler ou se positionner,

Pourtant, nous sommes tou.te.s concerné.e.s et légitimes face aux injustices et aux violences, qu’elles soient le fait de l’Etat ou des oppresseurs dans nos propres mouvements et collectifs.

Au cours des années, nous avons entendu beaucoup d’histoires, nous avons fait beaucoup de constats, et nous avons avalé beaucoup de couleuvres.

Qu’est-ce qu’on a mis sous le tapis ?

L’une de ces couleuvres était le fait qu’on connaissait depuis 2020 certaines violences passées de Samir Elyes (10). Comme beaucoup, nous respections le militant historique des quartiers populaires, co-fondateur du MIB et soutien actif des victimes de violences policières. A cette époque, nous n’avions pas encore eu connaissance du témoignage de Massica, ancienne membre du Comité Adama, publié le 28 mai 2018 sur le blog de Femmes en lutte 93 (10b), qui visait Samir sans le nommer, et il nous avait été démandé par *Line* (nom d’emprunt utilisé dans l’article de Mediapart du 25 juillet 2022) de ne pas participer à mettre en lumière ni offrir des tribunes publiques à leur agresseur, donc de ne pas l’inviter à des événements dont nous serions à l’initiative. Demande légitime formulée également par Massica dans la publication citée ci-dessus. Nous étions évidemment solidaires et en avons tenu compte, mais n’avons pas pour autant formulé de soutien public envers l’une ni l’autre, et ne savons pas en réalité si celui-ci aurait été compris et bienvenu à ce moment-là et venant de notre collectif.

Les autres couleuvres, nous avons choisi de les libérer aujourd’hui.

Ce qui suit constitue des critiques politiques à l’encontre des choix et des actions du Comité Adama en tant que collectif politique. Il ne s’agit en aucun cas d’attaques envers la famille et les proche d’Adama Traoré, que nous ne connaissions pas.

Nous considérons notamment que l’action du Comité Adama participe à une « révolution instagrammable », faites de dépolitisation, de confusion, de marketing et de double-discours, mais aussi de politique politicienne :

  • Quand le Comité Adama fait cavalier seul et mène sa “révolution” sur les réseaux sociaux, invisibilisant le combat d’autres familles ou en s’en attribuant les mérites, plutôt que de les soutenir de manière effective et dans un intérêt commun au sein d’un réseau d’entraide et de solidarité,
  • Quand Assa Traoré provoque une entrevue avec le président malien Ibrahim Boubacar Keïta (élu en 2013 et 2018, renversé par un coup d’Etat en 2020) et prétend naïvement bénéficier de son soutien [image 1],
  • Quand Assa Traoré rencontre Angela Davis [image 2] et se coiffe du béret des Black Panthers pour un évènement de soutien à elle-même [image 3] et alors que le Comité Adama ne porte aucun discours anticapitaliste ni abolitionniste,
  • Quand Assa Traoré se complait dans le rôle de “reine anarchiste” dans le cadre d’une campagne de charity business portée par Stella MacCartney et soutenue par Jean Paul Gaultier, portant un tee-shirt à 450 euros arborant un A sanglant tout en levant le poing [images 4 à 7],
  • Quand Assa Traoré réitère dans le cadre d’une autre campagne de charity business de la marque de luxe Louboutin (11), s’affichant avec des escarpins à 700 euros [image 8],
  • Quand régulièrement les réseaux sociaux du Comité Adama diffusent des messages dépourvus de toute humilité et entretenant le culte de la personne autour d’Assa Traoré, faisant d’elle une icône, une reine, voire une semi-divinité, invisibilisant du même fait toutes les victimes et militant.e.s sincères qui n’ont pas son charisme [image 9],
  • Quand Assa Traoré fait la Une de magazines et quotidiens nationaux et internationaux, dont un certain nombre de magazines de mode et à visée purement commerciale, en adoptant des poses d’égérie de mode tout en parlant de violences policières (ou juste de l’affaire de son frère) [images 10 à 19],
  • Quand le Comité Adama imprime des tote bags à l’effigie de Assa Traoré plutôt que de son frère assassiné [image 20],
  • Quand le Comité Adama fait des alliances ou des rapprochements opportunistes avec la gauche d’appareil et ses égéries intellectuelles (12) [images 21 à 28],  tout en adoptant des postures révolutionnaires factices (13) et en boycottant des événements organisés par d’autres collectifs en lutte et proches de victimes,
  • Quand le Comité Adama dénigre et boycotte la « marche des mères », manifestation organisée le 8 décembre 2019 à Paris par le Collectif de Défense des Jeunes du Mantois un an après que 151 lycéens de Mantes-la-Jolie aient été agenouillés durant des heures lors de leur arrestation (14),
  • Quand Assa Traoré donne un entretien sur ses vacances en Guadeloupe à un media communautaire à l’occasion de la commémoration de la mort de Lamine Dieng (2021), illustré par une photo d’elle avec la soeur de celui-ci, sans même toucher un mot sur Lamine dans cet entretien, ni sur l’événement en cours à seulement quelques mètres d’elle (15) [image 29],
  • Quand le Comité Adama s’attribue avec un culot et une prétention sans limite (mais aussi avec la complicité béate des medias de gauche) les mérites du rassemblement de milliers de personnes devant le tribunal de Paris dans la semaine suivant la mort de Georges Floyd le 2 juin 2020 [image 30], tout en méprisant et ignorant les appels lancés par d’autres familles les semaines suivantes (16),
  • Quand le Comité Adama, au même moment, lance une campagne sous le slogan et hashtag « On veut respirer », alors même que le collectif Vies Volées porte depuis plusieurs années une campagne contre les techniques d’immobilisation mortelles sous le slogan « Laissez-nous respirer » : https://www.viesvolees.org/campagnes-lnr/
  • Quand Youcef Brakni intervient en qualité de porte-parole du Comité Adama à des débats avec des représentants de la gauche d’appareil, dans l’intention affichée d’imposer l’antiracisme en priorité de leur agenda électoral (17),
  • Quand ce même porte-parole du Comité Adama s’associe à plusieurs policiers (18) pour témoigner à la barre d’un procès intenté pour “racisme” contre Taha Bouhafs, proche du Comité Adama, par une syndicaliste flic (l’insupportable Linda Kebbab), dans une stratégie bling bling plus que douteuse mettant en scène leurs deux avocats “poids lourds du barreau”, Arié Alimi et Yacine Bouzrou [images 31 à 35],
  • Quand le Comité Adama vient intimider celleux qui osent inviter ses ennemis personnels à des événements publics contre les violences policières (19),
  • Quand le Comité Adama défend qui que ce soit d’émettre une critique contre “leur avocat”, faisant du lobbying actif auprès d’autres familles de victimes pour qu’elles prennent Yassine Bouzrou comme avocat, alors même que ses tarifs sont proprement prohibitifs pour des familles confrontées à l’implacable “machine de l’impunité” qu’est l’appareil policier/judiciaire,
  • Quand le Comité Adama initie tout seul une “marche pour l’égalité” le 12 février 2022 sans concerter les autres collectifs de familles de victimes, alors même que celles-ci s’évertuent à organiser avec difficulté une marche contre le racisme et les violences d’Etat un mois plus tard (à laquelle le Comité Adama ne s’associe pas) en coopération avec une fédération d’associations et de collectifs antiracistes [images 36],
  • Quand le Comité Adama choisit le jour de la commémoration en faveur de Lamine Dieng, le 18 juin 2022, moment fédérateur pour beaucoup de familles de victimes en lutte, pour organiser un tournoi de football à Beaumont-sur-Oise, à deux semaines seulement de la marche et du « Festival Adama » organisée le 2 juillet 2022 (20) [images 37],
  • Quand régulièrement le Comité Adama fait des passages-éclairs lors d’actions et événements organisés par d’autres familles de victimes, juste le temps d’arracher quelques images pour la com’ sur les réseaux sociaux, tout en chronométrant la parole des autres victimes lors de ses propres événements (quand elle ne les place pas carrément au second plan),
  • Et enfin quand, comme l’évoque l’article incriminant de Mediapart, le Comité Adama nie participer à une culture de violence et de silence profitant aux agresseurs, établissant une hiérarchie entre les violences à dénoncer et les violences à « silencier », niant le respect et le statut de victimes à des personnes qui ne sont a priori que des soutiens invisibles.

Image 1 : Assa Traoré en soutien au président du Mali Ibrahim Boubakar Keita

Image 2 : Assa Traoré et Angela Davis

Image 3 : Assa Traoré recyclant la symbolique des Black Panthers

Image 4 : Publication de Jean-Paul Gaultier avec Assa Traoré arborant le « A » anarchiste version haute-couture

Image 8 : Assa Traoré levant le poing pour Louboutin

Image 10 : Assa Traoré en Une de Wandayance, magazine « positiviste » et « élitiste »

Image 13 : Assa Traoré en une du magazine de langue pour adolescent-e-s « ça va ? »

Image 16 : Assa Traoré en Une du magazine de mode « afromoderne » MILC

Image 5 : L’oeuvre originale de Stella MacCartney avec le « A » anarchiste

Image 6 : Assa Traoré arborant le « A » anarchiste et levant le poing pour la haute-couture

Image 11 : Assa Traoré en Une de Vogue, premier magazine de mode au monde

Image 14 : Assa Traoré en Une du magazine de mode Barbès Magazine

Image 17 : Assa Traoré nommée « Guardian of the year » (personnalité de l’année) par le Times

Image 19 : Assa Traoré nommée aux Bet Awards de la chaîne de divertissement américaine Black Entertainment Television

Image 7 : Publication du Comité Adama présentant Assa Traoré comme « Reine anarchiste »

Image 9 : Publication du Comité Adama présentant Assa Traoré en héritière d’Akhenaton (lettre de fan)

Image 12 : Assa Traoré militant pour Vogue

Image 15 : Assa Traoré en Une du magazine de mode Antidote

Image 18 : Assa Traoré en Une du Monde Magazine

Image 20 : Tote Bag à l’effigie d’Assa Traoré

Image 21 : Geoffroy De Lagasnerie communique sur son opportune amitié avec le Comité Adama

Image 22 : Edouard Louis communique sur son opportune amitié avec le Comité Adama

Image 23 : Quand De Lagasnerie ouvre les portes des Editions Lagardère à la révolution des quartiers populaires

Image 25 : Génération Adama + Génération Climat, le greenwashing des luttes de quartiers

Image 27 : Grâce au Comité Adama, les bobos traversent le périphérique (sans violence)

Image 24 : Edouard Louis et Geoffroy De Lagasnerie, le soutien de l’intelligentsia radicale-bobo au Comité Adama

Image 26 : Verdragon, quand le Comité Adama participent au greenwashing des quartiers populaires

Image 28 : Alternatiba affrète des bus pour pouvoir respirer à Beaumont-sur-Oise (toujours sans violence)

Image 29 : Assa Traoré saisit l’opportunité d’une commémoration pour Lamine Dieng pour nous raconter son séjour en Guadeloupe

Image 30 : le Glorieux Comité Adama rappelle que Assa Traoré dirige les troupes de la Révolution… au même titre que la CGT

Image 31 : Assa Traoré avec THE avocat que personne n’osa jamais défier

Image 33 : la Voie de la Révolution nous invite à un concours de plaidoirie de policiers placardisés en faveur de son journaliste

Image 32 : Taha Bouhafs, proche soutien du Comité Adama

Image 34 : Taha Bouhafs défendu bénévolement et de façon désintéressée par le « duo de choc »

Image 35 : Le « trio de choc » : Taha Bouhafs, Arié Alimi et Youcef Brakni

Image 36 : marche pour l’égalité improvisée dans son coin par le Comité Adama à un mois de la marche annuelle internationale et inter-collectifs contre le racisme et les violences d’Etat

Image 37 : tournoi de foot organisé par le Comité Adama le jour-même de la comémoration historique et fédératrice pour Lamine Dieng

Ce que nous sommes et ce que nous assumons

En tant que collectifs de personnes réprimées, blessées et mutilées par les forces de l’ordre, nous faisons partie d’un réseau de solidarité entre familles et collectifs de soutien de personnes victimes de violences d’État (policières et pénitentiaires).

Autour des familles de victimes de violences d’État, il y a en effet des dizaines de militant-e-s et de collectifs qui partout s’organisent, se mobilisent, se solidarisent, communiquent et offrent un soutien moral, logistique et juridique au combat des familles, souvent en toute discrétion et en toute humilité. Un certain nombre de ces militant-e-s sont issu-e-s des collectifs et associations antiracistes, mais aussi beaucoup de la gauche radicale ou des milieux anarchistes. Beaucoup agissent et prennent des coups, subissant la répression d’État au delà de ce que certains idéologues, polémistes et politicien-ne-s hors-sol s’imaginent.

Deux proches (et ex-membres) du Comité Adama sont désormais “dans la tourmente”, accusés de violences sexistes, notamment à l’égard de soutiens actives de nos combats. On pourrait nous accuser, voire nous attaquer (ou nous menacer) d’avoir choisi le moment où le Comité Adama est en « position de faiblesse » pour publier ce texte.

On pourrait. Nous savons que ce n’est pas et que ce ne sera jamais le bon moment.

Comme son porte-parole le fait avec Mediapart aujourd’hui, il suffirait de nous qualifier encore une fois de racistes, un tour de passe-passe qui occulterait ce que nous sommes en réalité. Mais ce que nous dénonçons ici, ce sont des pratiques politiques collectives, et non des comportements individuels, dont le Comité peut s’éxonérer en disant qu’il a “fait son possible” pour nettoyer son linge sale.

Il n’est donc pas question de faire silence davantage sur ces pratiques d’invisibilisation et d’intimidation, ainsi que les stratégies politiciennes et de récupération du Comité Adama, en laissant déstabiliser notre combat, celui des collectifs de militant-e-s en lutte, des victimes de violences d’Etat et leurs familles.

L’hyper-légitimité des un-e-s fait l’invisibilité des autres. On ne peut plus accepter de faire silence face au mépris et à l’invisibilisation de celles-ceux qui n’ont pas les projecteurs pour elles-eux.

A l’heure où justement le fascisme se nourrit de l’individualisme, de l’ignorance et de la confusion pour sortir du bois, nous affirmons la nécessité, pour dépasser les logiques de leadership qui nous empêchent d’avancer :

  1. d’être politiquement clair et de faire correspondre nos actes avec nos paroles ;
  2. de s’opposer à toute starification/icônisation et solidarity-business dans nos luttes ;
  3. de s’opposer à l’individualisme et de penser l’organisation et l’autodéfense (et la défense en justice) de façon collective, sans attendre que les victimes se confient aux journalistes pour agir ;
  4. de ne pas laisser des politiciens réformistes prendre l’ascendant sur nos luttes et parler en notre nom, en feignant d’être révolutionnaires ;

Nous assumerons les conséquences de notre positionnement. La réaction des un.e.s et des autres aura le mérite de rendre la situation plus limpide.

Tout notre soutien et notre solidarité à celles et ceux qui marchent ensemble, ainsi qu’aux personnes victimes de violences invisibles ou indicibles, que celles-ci viennent de nos ennemis ou de nos « camarades » de lutte !

Collectif Désarmons-les! et Assemblée des Blessé.e.s IDF

NOTES :

1) Lire https://desarmons.net/2020/06/04/le-copwatching-doit-renaitre-de-ses-cendres/

2) Lire https://collectif8juillet.wordpress.com/2015/02/28/texte-lu-a-nantes-le-21-fevrier-2015/

3) Notons, puisque certain-e-s préfèrent l’occulter, que le contexte à la sortie du mouvement social ainsi que le soutien actif d’Urgence Notre Police Assassine dés les premiers instants, ont beaucoup contribué à ce que la mobilisation soit forte malgré la distance (40 kilomètres de la capitale).

4) Mantes-la-Jolie a été par la suite le lieu d’une lutte de territoire pour le Comité Adama dans sa rivalité avec le Parti des Indigènes de la République, qui aura une répercussion directe sur la mobilisation du Collectif de Défense des Jeunes du Mantois lors de leur marche à Paris le 8 décembre 2019, boycottée par le Comité Adama (voir plus bas).

5) En deux ans, le crowdfunding de Désarmons-les ! à l’attention des personnes mutilées par des armes de police a atteint péniblement la somme de 21 937 euros : https://www.helloasso.com/associations/on-n-a-qu-un-visage/collectes/soutien-aux-personnes-blessees-par-des-armes-de-police

6) Quand ses détracteurs sont blancs, ils sont anti-arabes, et quand ils sont arabes, alors ils sont négrophobes : visiblement, les filtres d’analyse de Brakni sont plutôt binaires…

7) La prise de parole en question : https://cerveauxnondisponibles.net/2020/06/24/multicolores-sous-nos-cagoules-discours-contre-limperialisme-le-colonialisme-et-le-capitalisme/

8) Dans les faits, personnes ne se risque à critiquer ouvertement le Comité Adama, du fait de sa popularité et de son agressivité envers ses détracteurs, immédiatement accusés de vouloir accabler la famille Traoré, porter préjudice au combat contre les violences policières ou d’être des racistes.

9) Hormis peut-être, de façon très subtile et vaguement suggestive, une petite vidéo publiée en janvier 2021 et à l’audience très limitée (moins de 1000 vues), taclant l’opportunisme de la gauche réformiste dans le cadre de la mobilisation contre la Loi de Sécurité Globale et rappelant l’ancienneté du combat des familles de victimes de violences policières bien avant 2016 : https://youtu.be/2uMqBSTtBEU

10) Lire https://www.mediapart.fr/journal/france/250722/le-comite-pour-adama-traore-couvert-les-violences-sexistes-de-l-un-de-ses-membres et https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/le-comite-adama-accuse-davoir-couvert-les-violences-sexistes-dun-de-ses-membres-20220725/

10b) Lire http://femmesenlutte93.fr/2018/05/soutien-aux-victimes-de-violences-sexistes-dans-les-milieux-militants.html

11) Et l’argument selon lequel l’argent récolté dans le cadre de cette opération marketing bénéficie à des ONG en Afrique n’y change rien : on connaît bien les dessous du charity business, qui participe du néo-colonialisme et des stratégies de dépendance économique dans le cadre du « co-développement ».

12) La France Insoumise et ses intellectuels blancs parisiens, dont les sociologues de l’EHESS Geoffroy de Lagasnerie et l’écrivain Edouard Louis, mais aussi Alternatiba, dans le cadre des tentatives de greenwashing des luttes de quartiers (cf. Maison de « l’écologie populaire » Verdragon à Bagnolet) : https://www.streetpress.com/sujet/1538649961-assa-traore

13) Rappelons à toutes fins utiles que le combat principal du porte-parole du Comité Adama, Youcef Brakni, est de soutenir des listes électorales « autonomes » dans le sillon de la France Insoumise, dont plusieurs proches du Comité Adama sont des militants et/ou électeurs. Un article de 2017 évoque cette vision particulière de la « révolution » :  https://reporterre.net/La-France-insoumise-veut-s-enraciner-dans-l-ecologie-et-dans-les-quartiers

14) Voir l’appel : https://blogs.mediapart.fr/collectif-de-defense-des-jeunes-du-mantois/blog/051119/marche-des-mamans-de-mantes-la-jolie-liste-des-soutiens

15) Voir https://cnewsactusdothy.com/2021/06/21/assa-traore-raconte-son-voyage-en-guadeloupe/

16) Suite à la mort de George Floyd, le Comité Adama s’est exclusivement attribué les mérites de la mobilisation massive devant le tribunal de Paris, évoquant à peine le contexte américain responsable de celle-ci, puis lançant opportunément sa campagne “Génération Adama” en trois actes, occultant la mobilisation des autres familles de victimes les semaines suivantes (ex : 6 juin au Champ de Mars) et reléguant leurs prises de paroles à la fin et de manière précipitée lors de leur marche annuelle à Beaumont-sur-Oise le mois suivant, préférant mettre à l’honneur le réseau écolo-bobo blanc et contre-révolutionnaire Alternatiba (https://alternatiba.eu/generation-adama-generation-climat-on-veut-respirer/)

17) Voir le « débat » très instructif organisé par le media Quartier Général avec Youcef Brakni et François Ruffin le 23/06/2020, dans une mise en scène gênante au cours de laquelle Brakni prend un certain plaisir à ridiculiser Ruffin, qui s’auto-flagelle et bégaie. Derrière la contradiction de façade, on se rend compte que nombre de choses les réunissent, notamment leur réformisme électoraliste et leur attachement à la République.

18) Dont Amar Benmohamed et Noam Anouar, qui a quand-même passé 8 ans dans les services de renseignement (DRPP), notamment au sein du pôle chargé de surveiller la « radicalisation » (notamment liée à l’islam), avant d’être lui-même soupçonné et placardisé. Plus récemment, Noam Anouar, devenu chroniqueur du Media, a été identifié comme l’informateur du journaliste Aziz Zemouri dans le cadre de révélations mensongères sur des élus du parti de Mélenchon…

19) Notamment Amal Bentounsi, sœur de victime elle aussi, qui a pourtant été l’une des premières à conseiller et soutenir la famille Traoré en 2016, ou encore le Parti des Indigènes de la République, qui est pourtant le berceau politique de Youcef Brakni.

20) Après qu’Assa Traoré s’en soit prise à nouveau à notre camarade à l’occasion d’un conflit entre familles autour de l’organisation de cette journée – et alors que ça n’avait aucun lien avec l’objet du différend – plusieurs personnes ont du prendre la défense du camarade en question et contredire ses accusations mensongères et infondées.