* si vis pacem para bellum signifie « si tu veux la paix, prépare la guerre »

On nous assène souvent le postulat selon lequel la violence serait en constante augmentation dans nos sociétés contemporaines, justifiant les discours catastrophistes et les mesures sécuritaires qui se succèdent depuis plus de vingt ans. Lorsque certains criminologues, sociologues et politiciens affirment que la société est plus violente aujourd’hui qu’il y a un quart de siècle, c’est pourtant fondamentalement faux : les rapports sociaux ne sont pas plus violents qu’au cours des deux guerres mondiales et des guerres de décolonisation, tandis que les mouvements de contestation ne sont pas plus violents qu’à l’occasion des luttes syndicales et révoltes sociales qui se sont déroulées entre le début de la 3ème République et le début de la 5ème. Et si l’on parle des phénomènes de bandes, du traffic de stupéfiants ou de la délinquance ordinaire, il serait bien exagéré d’affirmer qu’ils font plus de ravages que la pègre des années 1930-1970 ou les « blousons noirs » des années 1950-1960. CQFD.

Ce qui constitue bien plus un phénomène inquiétant, c’est la course en avant réactionnaire dans laquelle se sont engagés l’État français et ses dirigeant-es depuis près de trois décennies, entraînant dans leur sillon une escalade sécuritaire progressive, allant vers un contrôle et une militarisation toujours plus accrue au nom d’un fantasme totalitaire de retour à l’ordre et de reconquête républicaine.

A quelle période doit-on remonter pour établir le début de cette chute en avant ? De quelle militarisation parle-t-on ?

Bref rappel historique

 

Dans le cadre des opérations de sécurité quotidienne, la police a toujours fait usage d’armes à feu, tuant en moyenne une douzaine de personnes par an avant les années 2000. A partir des années 1990, l’arrivée d’armes à munitions cinétiques (armes à projectiles plastiques) transforme fondamentalement les doctrines d’intervention, parallèlement à la mobilisation d’unités plus mobiles et plus agressives. Cette évolution est consécutive au développement des discours sur l’antiterrorisme et l’ensauvagement des banlieues, établissant fallacieusement un lien entre petite délinquance, criminalité et terrorisme (cf. doctrine de la vitre brisée et doctrine de la tolérance zéro) [1]. La stigmatisation de certaines catégories de population et des quartiers où elles résident a banalisé l’utilisation du jargon militaire dans les opérations de police (comme le terme « neutralisation »), entraînant une banalisation du fait même d’ouvrir le feu sur des populations civiles. Avec l’adoption de la LOPSI (29 août 2002) puis de l’article L.435-1 du Code de la Sécurité Intérieure à la veille du mandat d’Emmanuel Macron (28 février 2017), le nombre de personnes abattues par la police a grimpé exponentiellement, faisant passer de 14 à 24 la moyenne de personnes tuées par la police chaque année [2].

Dans le cadre du maintien de l’ordre, les forces de l’ordre utilisent des grenades lacrymogènes et des grenades à effet de souffle (contenant de la TNT) depuis les années 1930. Leur arsenal a été globalement modernisé à partir des années 1970-80 suite à une libéralisation (ouverture à la concurrence) du marché de l’armement et une diversification des fournisseurs. Par ailleurs, et c’est une différence notable, avant 1968 il arrivait aux forces de l’ordre de frapper à mort des manifestants et de tirer à balles réelles sur la foule. Avant les années 2000, plusieurs personnes ont été également tuées ou mutilées pendant ou en marge de manifestations par des armes destinées exclusivement au maintien de l’ordre (grenades à effet de souffle notamment) [3].

Dans le cadre du maintien de l’ordre comme des opérations de sécurité quotidienne, les mutilations par armes à munitions cinétiques et par grenades à effet de souffle ont augmenté exponentiellement, quitte à se systématiser lors de manifestations à partir de 2017 [4] et alors même que l’intensité des affrontements avec les forces de l’ordre n’est pas plus élevée qu’en mai 1968, lors des mouvements sociaux et antinucléaires des années 1970 et 1980, voire lors de la révolte contre l’adoption du CPE en 2006. Dans le cadre d’opérations de sécurité quotidienne, deux à trois jeunes sont éborgnés en moyenne chaque année depuis 2017.

La militarisation progressive des forces de l’ordre, qui s’accompagne d’un « enférocement répressif », est un phénomène qui prend forme au milieu des années 1990 à l’initiative de Charles Pasqua et Claude Guéant (introduction du Flash ball et généralisation des BAC), puis se confirme dans la décennie suivante avec Nicolas Sarkozy (introduction des grenades GMD et des LBD, création des Compagnies d’Intervention). Ce dernier introduit également en France le néoconservatisme à la sauce ultra-libérale ainsi qu’une dialectique guerrière, qui sont devenus avec Manuel Valls puis Emmanuel Macron un mode unique de communication et de gouvernement. Avec les opérations policières et militaires de Notre Dame des Landes (2012 et 2018) et Sivens (2014), les attentats et l’adoption de l’état d’urgence (2015), puis la répression du mouvement contre la réforme du Code du travail (2016) et des Gilets Jaunes (2018-2019), et finalement l’état d’urgence sanitaire (2020-2022), le plafond de verre du tout-sécuritaire a été pulvérisé et on peut dés lors considérer que l’état de guerre invoqué par Macron avant le confinement de mars 2020 est devenu réalité [5].

Vers une économie de guerre ?

Nous avons tenté de dresser un inventaire aussi exhaustif que possible des achats d’armements destinés au maintien de l’ordre effectués par le ministère de l’intérieur depuis 2002, travail de fond qui n’a jamais été mené jusqu’alors, notamment du fait d’une grande opacité en ce qui concerne les marchés relatifs aux armements.

Il convient de noter que le service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) n’a été créé qu’en 2014 et que les archives du Bulletin Officiel des Annonces de Marchés Publics (BOAMP) sont très lacunaires sur la période antérieure à cette même année.

Grâce au recoupement des informations contenues dans les rapports de la Cour des Comptes [6], du Défenseur Des Droits, et dans une moindre mesure ceux du Sénat et dans la presse, il a été possible de restituer partiellement les commandes et dotations d’armement de la période 1995-2022 [7] :

Tableau 1. Commandes et achats d’armements réalisés depuis l’instauration des armes à munitions cinétiques (1995 – 2021)

1. Grenades lacrymogènes

Pour ce qui est des grenades lacrymogènes, nous n’avons trouvé aucune donnée fiable avant la dernière commande de 2018. Cette dernière a été attribuée pour une durée de quatre ans et pour un montant total de 15.661.153€ aux entreprises Nobel Sécurité (grenades MP7 et MP3), Alsetex (grenades CM6 et CM3) et Rheinmetall (systèmes d’allumage / propulsion).

2. Grenades à effet de souffle

Concernant les grenades à effet de souffle ou grenades « explosives » (contenant de la TNT et/ou de l’hexocire), les informations sont également lacunaires. On sait seulement que la grenade offensive (OF37, puis OF F1) a cessée d’être utilisée en 2014, tandis que sa remplaçante, la grenade dite « lacrymogène instantanée » (GLI F4) a été suspendue à son tour en 2020. Bien que cette dernière aie cessé d’être produite dés 2014 en raison de son instabilité, les forces de l’ordre ont continué de l’utiliser au moins jusqu’en 2019. L’année précédente, le ministère de l’intérieur avait commandé pour 1.883.000€ de grenades dites « modulaires à double effet lacrymogène » (GM2L), sensiblement plus puissante que la GLI F4.

3. Lance-grenades

Une source évoque l’achat entre 2003 et 2007 de 1235 lanceurs « Cougar » (LGGM G1) pour un montant de 1.080.000€, mais aucune autre acquisition par la suite. En 2016, le ministère de l’intérieur fait l’acquisition d’un échantillon de 100 lanceurs de grenades multicoups de 40 mm dits « riot-gun Penn Arms » (PGL65) auprès de l’entreprise américaine Combined Systems, pour un montant de 300.000€. Trois ans plus tard, 450 nouveaux lanceurs multicoups étaient commandés pour un montant de 727.450€ auprès du distributeur et équipementier Rivolier, le bénéficiaire du contrat en bout de chaîne étant certainement Combined Systems.

4. Pistolets Flash-ball

Une première commande de 500 pistolets Flash-ball Compact est évoquée en 1995, puis une seconde commande de 1270 Flash-balls SuperPro entre 2003 et 2007 pour un montant de 1.180.000€. Sur toute la durée de son utilisation, ou en tout cas avant son remplacement progressif par le LBD 40X46 à partir de 2009, les inventaires font état d’un peu plus de 3200 pistolets Flash Ball en dotation chez les forces de l’ordre entre 1995 et 2014, date à laquelle le gouvernement semble avoir cessé d’en commander des nouveaux.

5. Pistolets à impulsions électriques (PIE)

Les pistolets à impulsions électriques ont fait leur apparition en France en 2006, avec une première commande de 1900 tasers X26 réalisée auprès de SMPT Taser France pour un montant de 3.100.000€. Au moins deux autres commandes auraient été passées en 2014 et 2020 pour plus de 600 autres tasers. Une source évoque une dotation globale en 2020 de l’ordre de 15.000 Tasers, sans que l’on puisse déterminer s’il ne s’agit que de la police nationale et de la gendarmerie.

6. Lanceurs de balles de défense (LBD)

Le LBD 40 prenait le relais avec une première commande en 2007 auprès de l’entreprise suisse Brüger & Thomet pour un montant de 1.080.250€ correspondant à environ 500 armes (les « GL-06 »). En 2009, le ministère de l’intérieur se fournissait en munitions correspondantes (entre 200.000 et 1.200.000) auprès de l’entreprise américaine Combined Systems pour un montant de 2.680.870€. En 2012, on comptait plus 3083 armes en dotation, avant qu’une nouvelle commande de 1280 LBD « Cougar 40 » soit effectuée auprès de l’entreprise Alsetex en 2019 pour un montant de 1.638.400€. Trois ans plus tôt, en 2016, l’entreprise Combined Systems perdait le marché des munitions détenu jusqu’alors et ses « Balles de défense à létalité réduite » (BDLR) étaient remplacées progressivement par les « munitions de défense à courte portée » (MDCP) de l’entreprise française Alsetex, pour un montant de 5.570.600€, soit 115.000 munitions. Un nouvel appel d’offre a finalement été lancé en 2021 pour se doter de 170.000 munitions supplémentaires, dont 10.000 « marquantes ». Sans surprise, le marché sera certainement attribué à Alsetex courant 2022.

Nota bene : Les Flash Ball, les Tasers et LBD de catégorie B (ex : Lanceur 40 de Verney-Carron), donc classés hors catégorie « armes de guerre », peuvent être acquis par les municipalités sans que ces commandes ne soient incluses dans les marchés publics « défense et sécurité », rendant leur inventaire à l’échelle nationale beaucoup plus complexe. Dans une certaine mesure, le ministère de l’intérieur peut néanmoins « prêter » des armes aux polices municipales.

6. Grenades de désencerclement (GMD)

Arrivée peu avant le LBD, la grenade à main dite « de désencerclement » (GMD) a fait son entrée à partir de 2004, avec une première commande de 5000 « dispositifs manuel de protection » (DMP) et/ou « dispositifs balistiques de dispersion » (DBD), pour un montant de 220.000€. Il y a eu incontestablement d’autres commandes de ce type de grenades entre 2004 et 2018 auprès de ses principaux fabricants français SAPL et Alsetex, mais aucune archive ouverte ne subsiste pour attester de ces marchés. Quoi qu’il en soit, en 2018 le ministère de l’intérieur passait un nouveau marché pour 40.000 nouvelles grenades dites « à éclats non létaux » (GENL) auprès d’Alsetex, pour un montant de 1.840.000€, prévoyant un usage de 10.000 grenades par an.

7. Armes à feu

En 2007, une commande de 138.049 pistolets SIG SAUER venait renouveler l’arsenal du ministère de l’intérieur pour un montant de 69.220.000€, ainsi qu’une commande de 20 millions de cartouches correspondantes pour un montant de 2.200.000€. A la même période, l’État commandait 150 fusils mitrailleurs G36 pour un montant de 230.000€. Les munitions SIG SAUER occasionnant trop de « victimes collatérales » en raison de leur propriété transfixiante, une nouvelle commande portant sur 48 millions de munitions de type Speer Gold Dot était passée en 2009 pour 5.800.000€. En 2017, près de 66 millions de munitions 9X19 et 5,56X45 étaient commandées auprès des entreprises RUAG AMMOTEC et HUMBERT CTTS pour un montant de 20.000.000€. A peine trois ans plus tard, Humbert CTTS se voyait honoré d’un nouveau contrat à hauteur de 7.191.297€ pour 19 millions de munitions pour fusil mitrailleur 5,56X45. L’année précédente, le ministère de l’intérieur avait également commandé 140000 munitions de calibre 12X70 auprès de Rivolier pour un montant de 99.400€. Enfin, en 2018, le ministère de l’intérieur commandait pour 3.215.460€ de fusils mitrailleurs HKG36 auprès de l’allemand Heckler&Koch. Enfin, à raison de deux commandes successives en 2018 et 2020, près de 10 000 pistolets Sub Contact étaient commandés auprès de BGM pour un montant total de 3.068.123€. Il va de soi qu’entre 2009 et 2017, un certain nombre d’autres marchés ont été passés en terme d’armes à feu et de munitions, mais celles-ci n’apparaissent pas dans la liste des annonces de marchés publics.

Si l’on se risque à calculer le total des dépenses en terme d’armement à partir des données incomplètes en notre possession, on arrive à un minimum de 153,4 millions d’euros sur 17 ans, soit une moyenne basse de 9 millions d’euros par an consacrés à la militarisation continue des forces de l’ordre. Précisons à toute fin utile que ce montant n’inclue pas les dépenses consacrées à la Défense (armée), mais uniquement à la sécurité intérieure.

Un usage toujours plus massif des armes contre les populations civiles

Les données extrêment lacunaires en terme d’utilisation des armes ne permettent pas de se rendre compte totalement de l’escalade répressive qui se joue depuis deux décennies. Nous savons par exemple, comme évoqué plus haut concernant les commandes, que l’utilisation massive de grenades lacrymogènes n’est pas officiellement documenté, entretenant une sorte d’omerta sur la question. Le seul rapport officiel qui en fait état est le rapport conjoint de l’IGPN et de l’IGGN faisant suite à la mort de Rémi Fraisse le 26 octobre 2014, mais les données qu’il contient ne sont pas sérieuses et disent combien le suivi des armes par le ministère de l’intérieur est défaillant. Le rapport de la Cour des Comptes de 2018 pointe d’ailleurs du doigt cette carence. On sait notamment que sur des événements tels que les interventions de 2012 et 2018 à Notre Dame des Landes, ainsi que durant la révolte contre la Loi Travail en 2016 ou lors de celle des Gilets Jaunes entre 2018 et 2019, ce sont des dizaines de milliers de grenades lacrymogènes et à effet de souffle qui ont été projetées sur les populations civiles, parfois en l’espace d’une seule journée [8].

Pour autant, la première courbe réalisée ci-dessous et correspondant aux tirs de LBD et aux lancers de grenades de désencerclement (GMD) permet de se faire une idée claire de la hausse de ces violences, tandis que les irrégularités de la courbe témoignent fidèlement des périodes de tensions sociales évoquées ci-dessus. On peut considérer sans risquer de se tromper qu’une courbe rapportant l’usage des grenades lacrymogènes et à effet de souffle suivraient la même tendance. C’est d’ailleurs dommage que nous n’ayons pas de données pour 2009, car elles auraient pu nous permettre d’établir l’ampleur de la répression à l’occasion du sommet de l’OTAN à Strasbourg.

La seconde courbe relative à l’usage du pistolet à impulsion électrique (PIE) est aussi parlante, dans la mesure où le Taser X26 n’est pas une arme employée dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre, mais uniquement dans des opérations de sécurité quotidienne. La hausse est régulière et ne se laisse pas influencer par les mouvements sociaux, démontrant de façon limpide combien l’escalade dans l’usage de la force est de l’initiative des forces de l’ordre : il ne peut s’agir ici ni de « riposte graduée », ni de légitime défense.

Plus les forces de l’ordre sont armées, plus elles font usage de leurs armes. Le surarmement de la police ne répond pas à une logique rationnelle face à de nouveaux enjeux de société, mais à la satisfaction d’une culture paranoïaque de la sécurité.

L’équation n’est pourtant pas simple à résoudre : plus de flingues = plus de tirs = plus de blessés et plus de morts. Par conséquent, soit la société s’habitue à l’augmentation du nombre de morts, comme aux Etats-Unis, soit on met un terme à cette escalade militariste, il n’y a pas d’autre alternative viable.

Tableau 2. Utilisation par années des différentes armes de maintien de l’ordre en dotation des forces de l’ordre sur la période 2009-2020.

Figure 1. Evolution de l’usage des Lanceurs de balles de défense (LBD 40) et grenades à main de désencerclement (GMD) entre 2009 et 2020.

Figure 2. Evolution de l’usage des pistolets à impulsion électrique (PIE) « Taser X26 » entre 2009 et 2020.

Pendant qu’on se serre la ceinture, Darmanin joue aux petites voitures

Suivant les recommandations de la Cour des Comptes déplorant le vieillissement de la flotte du ministère de l’intérieur, et toujours à l’écoute des caprices de ses agents, qui bénéficient d’une hotline à la SAELSI pour faire remonter des suggestions d’investissements, Darmanin a décidé d’attribuer 400 millions d’euros au renouvellement du parc automobile de son ministère.

Le parc automobile à la veille de ce renouvellement comptait entre 27 000 et 29 000 véhicules, dont l’âge moyen était de 7,4 ans et le taux d’indisponibilité de 6%. Les critères considérés pour le renouvellement d’un véhicule reposent sur l’ancienneté et le kilométrage, à savoir 200 000 km et huit ans d’âge pour ce qui est du parc lourd de la police, 150 000 km et huit ans d’âge pour les véhicules légers de la gendarmerie.

En septembre 2020, le ministère de l’intérieur commandait 1263 Peugeot 5008, 1020 Renault Zoé et 230 Kangoo ZE.

En novembre 2021, le ministère de l’intérieur commandait 90 blindés à la SOFRAME, les ARIVE (ARmoured Infanty VEhicle), rebaptisés « Centaures » par la Gendarmerie.

En décembre 2021, le ministère de l’intérieur commandait 26 voitures de sport Alpine 110.

On se demande bien ce que la gendarmerie peut faire avec 90 blindés de type militaire. L’ancienne flotte de blindés qu’ils viennent remplacer était constituée de 60 Berliet VXB 170. La commande initiale de ce modèle en 1974 comptait 155 véhicules. Sachant que jamais plus de 6 blindés de ce type n’ont été déployés simultanément dans le cadre d’opérations de rétablissement de l’ordre [9], leur achat semble obéir à des principes ineptes et poussiéreux de dissuasion qu’on croyait révolus avec le démantellement de la ligne Maginot puis la fin de la guerre froide. Ne parlons même pas des voitures de course Alpine 110, qui ne laissent présager rien de mieux que des courses poursuites mortelles…

Il y a sans doute d’autres choses plus urgentes et nécessaire à faire avec l’argent « public ».

Si l’on s’intéresse au budget alloué aux dépenses de fonctionnement et d’investissement, et notamment à celles relatives à l’achat et l’entretien de l’équipement, de l’habillement, de l’armement et des véhicules, on constate la même augmentation exponentielle (voir graphique et tableau). Là encore, la transparence du budget est toute relative et les données de 2018 et 2019 ne sont pas entièrement fiables, dans la mesure où ces dépenses ne sont pas accessibles au public dans le détail : pour 2018 et 2019, aucun document n’est disponible en ligne sur la plateforme des finances publiques, du budget de l’État et de la performance publique, ni sur celui du ministère de l’Intérieur.

Entre 2012 et 2017, ces dépenses ont augmenté de 181%, tandis qu’au cours du mandat d’Emmanuel Macron, elles ont subi une nouvelle hausse de 64,37%. Au total, en 10 ans le budget a augmenté de 362%.

Figure 3. Evolution du budget alloué aux dépenses d’équipement et de véhicules entre 2012 et 2022.

Tableau 3. Budget en millions d’euros alloué à l’achat et l’entretien de l’équipement, l’habillement, l’armement et les véhicules des deux forces (gendarmerie et police), sur la période 2012-2022.

Par leurs frasques infantiles et leur absence d’intelligence du monde en dehors des schémas de pensée propre à l’économie de marché et au conservatisme moral, les dirigeants s’emploient à exploser les budgets de la Sécurité et de la Défense pour satisfaire leurs gardes prétoriennes, aux détriments des besoins humains les plus élémentaires : l’instruction et la culture, la santé et la survie de l’espèce (et donc de son écosystème). Il y a dans cette frénésie sécuritaire l’un des symptômes d’une pathologie propre aux personnes de pouvoir, à la fois terrifiés à l’idée que leur règne puisse se terminer sous la pression d’une population lassée d’être perpétuellement humiliée et exploitée, tout en étant excités de façon puérile par les « progrès » technologiques et par les jeux de conquêtes que le pouvoir induit.

Il n’y a pas d’issue de secours tant que des enfants continuent d’être chargés d’administrer nos vies…

NOTES

[1] Lire notre article « De 1945 à nos jours : Comment l’État moderne s’est réalisé dans une violence sans limites« 

[2] Voir notre recensement des personnes mortes aux mains des forces de l’ordre

[3] idem [1]

[4] Voir notre recensement des personnes mutilées par les forces de l’ordre

[5] Lire notre article « Comment la république s’est muée en dictature« 

[6] Voir notamment le Rapport de mai 2018 « L’équipement des forces de l’ordre, Un effort de mutualisation et de rationalisation à poursuivre« 

[7] Pour en savoir plus sur les armements, voir notre inventaire de décembre 2020.

[8] Du 9 au 30 avril 2018, 11 000 grenades ont été lancées lors de l’évacuation de la ZAD de Notre Dame des Landes, dont 3000 grenades à effet de souffle (GLI F4 et GM2L). Pour la seule journée du 1er décembre 2018 à Paris, ce sont 13 500 grenades qui ont été lancées sur les Gilets Jaunes, dont 1380 grenades de désencerclement (GMD) et 339 grenades GLI F4, sans compter 840 tirs de LBD.

[9] Les VBRG ont été notamment déployés à Plogoff (1980) et Chooz (1982) contre les militants antinucléaires, à Notre Dame des Landes (2018) et durant la révolte des Gilets Jaunes (2018-2019), mais aussi et surtout lors de révoltes dans les territoires occupés par la France : Corse (1975, 1980 et 2005), Nouvelle-Calédonie (1984-1988), Mayotte (2016), La Réunion (2018), Guadeloupe et Martinique (2021).