« Les viols et les violences faites aux femmes dans ce pays et sur le reste de la planète sont innombrables, mais ne sont quasiment jamais présentés comme un problème de droits civiques ou de droits humains. À leur sujet, on ne parle jamais de crise ou de schéma récurrent. Cette violence n’a ni race ni classe ni religion, mais elle est genrée. »

Rebecca Solnit, Ces hommes qui m’expliquent la vie, 2018

Tout d’abord il y a les chiffres qu’on se prend à chaque fois en pleine face : 9 viols par heure, soit 205 par jour. En France, on estime à 198 000 le nombre de tentatives de viol, 75 000 le nombre de viols par an et 10 % des agressions sexuelles qui donnent lieu à un dépôt de plainte.

Puis il y a la violence d’un passage au commissariat pour celles qui en font le choix et la sidération quasi rituelle de faire face à des OPJ hommes, qui induisent un rapport de force et suscitent des incompréhensions.

Enfin, il y a les requalifications, les confrontations avec l’agresseur, les 3/4 des plaintes classées sans suite et toutes celles qui se taisent pour ne pas « faire de vagues ».

À l’heure où certaines féministes en appellent à une police « mieux formée », il est bon de rappeler différents exemples qui démontrent combien les forces de l’ordre profitent de leur fonction pour soumettre définitivement celles qu’ils considèrent, dans leur for intérieur, comme inférieures. 

Les violences du corps policier à l’encontre des femmes sont avant tout autoritaires, alliage entre un pouvoir universel et socialement admis de contrôle et de punition de la part des hommes, qui les amène à s’arroger le droit de jugement, mais également de vie ou de mort sur la victime, moyen de contrôle absolu et définitif démontrant la toute puissance de la sauvagerie masculine.

Les femmes doivent être à la disposition des hommes et doivent être soumises à leurs injonctions, à leurs désirs, et ce qu’elles refusent de donner, les hommes peuvent le prendre par la violence. Ce qui est vrai pour les hommes en général l’est vrai pour les hommes de l’Ordre en particulier. Il est nécessaire de rappeler que les violences policières sexistes sont interdépendantes de la structure et de l’histoire de l’institution policière, mais aussi du systeme judiciaire et carcéral.

Pour analyser cette domination, nous proposons de partir des violences individuelles des hommes de l’Ordre, puis de l’affirmation de leur toute puissance au sein de l’appareil d’Etat, pour aboutir sur les violences dans les lieux de privation de liberté et élargir sur cette question éminemment contemporaine : comment s’affranchir des forces de l’ordre dans nos luttes ? 

Avertissement / Trigger Warning : certains passages de cet article font la description de féminicides, de viols, d’incestes, de violences sexuelles et sexistes et racistes. Nous préférons prévenir afin de ne pas heurter la sensibilité de certain.e.s.

Sexisme systémique : comment l’institution se fait complice

 

On a décidé de partir d’un premier constat simple et documenté : il y a des exemples à n‘en plus finir de fonctionnaires en exercice accusés de violences sexistes et de viols. 

De ce constat découle naturellement la question de leur légitimité : comment peut-on confier des affaires de violences sexistes et de viols à des flics eux-même violents, ou en tout état de cause, à une institution totalement incapable de se prémunir de l’existence en son sein de multiples agresseurs et violeurs ?

Une chose est certaine : il est impossible pour des hommes violents d’être en capacité de traiter des violences sexistes.  

Dépôts de plaintes : nier la qualité de victime

La première étape de cette domination est de nier aux femmes leur qualité de victime lors de dépôts de plainte ou d’interrogatoires malaisants ou de confrontations insupportables avec l’agresseur. 

Nier à une personne survivante son statut de victime, le remettre en cause, l’ironiser, c’est disqualifier le traumatisme vécu. La personne doit faire « ses preuves », prouver que c’est bien ELLE la victime et qu’elle n’est pas là pour détruire la vie « d’un pauvre homme qui n’a rien demandé ». On assiste à une inversion peu subtile des rôles.

La victime se retrouve à devoir se justifier de ne pas avoir “fait déraper l’homme”. D’emblée elle est préjugée coupable : la suspicion est de rigueur, il faut enquêter. Les agents de l’Ordre recherchent toujours un élément déclencheur qui expliquerait la violence : vêtements, comportement jugé provocateur , infidélité, insultes, présence dans l’espace public la nuit, etc. C’est ce que souligne une femme qui, après avoir subi 45 minutes de déchaînement de coups et blessures de la part de son conjoint, s’est faite condamner par la justice à suivre un stage de « responsabilités pour violences conjuguales ». Elle s’était défendue d’une gifle.

Ce comportement n’est peut être que le juste reflet d’une construction sociétale patriarcale. Combien de fois avons nous toutes et tous entendu, lorsqu’il s’agit d’une agression sexuelle ou d’un viol, l’expression du doute « si c’est vrai« . Ces trois petits mots qui remettent tout en question, et qui impliquent que la victime devra démontrer chacune de ses affirmations. L’incontournable – et souvent insupportable – régime de la preuve.

Ne devrait on pas inverser les rôles ? Croire d’emblée les victimes et faire les procès populaires des accusés ? Pourquoi est-il impossible de croire une femme ou un.e enfant qui dénonce une agression sexuelle ? Quel intéret auraient ils à inventer de telles choses ?

Toujours est il que la société, et par conséquent les forces de l’ordre, partent systématiquement du postulat que tout pourrait n’être qu’invention et qu’il faut protéger l’homme de fausses accusations qui nuiraient à sa réputation et à sa vie.

Dans l’affaire d’un viol subi par une jeune femme de 16 ans à Nîme en 2020, le récit de la victime est qualifié de « fiction inventée » par Eric Maurel, procureur de Nîmes, qui se glorifie dans un article phallocentrique de la lumière faite sur de supposées « incohérences et contradictions du témoignage de l’adolescente« . Le magistrat affirme par ailleurs que « si le viol est dramatique pour une vraie victime, il peut l’être tout autant pour une personne injustement accusée.« . Nous pouvons expliquer à Monsieur Maurel et à France TV info en quoi le viol est un traumatisme laissant des marques à vie, leur rappeler le nombre de violeurs qui jouissent de l’impunité sans être dérangés, et nous pouvons leur parler des amnésies traumatiques et de la difficulté à restituer les faits. Nous pouvons également leur demander de ne pas comparer cela à un simple mensonge, et ensuite les remercier du discrédit qu’ils jettent sur chaque victime de viol en publiant un tel article…

En terme de dialectique de l’excuse, les médias ne sont donc pas en reste.

Confrontation avec le corps policier et interrogatoires à charge

De nombreux témoignages relatent des interrogatoires froids, des questions irrespectueuses et irrévérencieuses pouvant aller jusqu’à estimer la taille du sexe de l’agresseur sur un double décimètre ou savoir si la victime « a lubrifié » pendant le viol, si elle a bien dit non et si elle l’a répété, etc. Les policiers vont également s’employer à établir le portrait psychologique et sexuel de la victime, souvent avant même que l’agresseur – s’il est identifié – ne soit convoqué…

Lire et écouter l’émission de France Culture « Violé-es : une histoire de domination« 

Après le traumatisme intime qu’elle a vécu, des agents vont donc lui poser des questions intrusives sur ses relations et sur sa sexualité d’avant-viol : orientation sexuelle, nombre de partenaires sexuels, nature des pratiques sexuelles, type de relations intimes… et d’après-viol : modification des pratiques sexuelles, absence de désir… Il s’agit d’un processus récurrent de déshumanisation de la victime et de ce qu’elle a vécu.

En effet, il y a des cases à cocher pour être reconnue victime. C’est donc par le truchement des stéréotypes masculins – produits par des hommes pour des hommes – que s’organise la classification des victimes et que se décide le discrédit qui va être jeté sur certaines d’entre elles.

Le “stéréotype policier de la victime de viol” – de préférence une femme blanche, de classe moyenne, avec une sexualité conservatrice – se doit d’être dévastée par le viol et incapable de ressentir d’envie ou de plaisir sexuel depuis. La victime se doit également d’être ignorante de ses droits, de ne pas faire de vagues, d’être discrète comme toujours, de savoir rester à sa place. Il n’est pas question d’avoir la force de se battre, y compris pour obtenir justice. Être juste docile, soumise, silencieuse, traumatisée.

Lorsque la personne souhaite entamer une procédure, ce premier contact avec le commissariat est nécessaire et constitue bien souvent une violence institutionnelle qui va reste ancrée dans la mémoire des victimes. Cette étape est considérée comme obligatoire si l’on espère une mise en marche de la machine judiciaire (médecin légiste, avocat.e, jugement ou autres demarches administratives, visant à faire reconnaître sa qualité de victime et obtenir des indemnisations par exemple). 

De nombreuses voix sont déconsidérées – comme en témoigne le site « Paye ta police » – car la légitimité de la victime et de son témoignage est soumise au bon jugement de la police ou de la gendarmerie, dans la mesure où l’agent qui auditionne la victime a le pouvoir de qualifier juridiquement l’infraction et de désigner le texte du code pénal applicable. Certains récits ne donneront donc lieu ni à une plainte ni à une main courante. Une requalification peut être effectuée à la demande du procureur.

Le paroxysme du mépris de l’institution à l’égard des femmes est atteint lorsque la victime de violences sexistes se retrouve elle-même mise en cause, voire arrêtée et violentée par les policiers censés prendre sa plainte (Nota Bene : une arrestation est toujours une violence).

C’est ce qui est arrivé à Emily, qui dans la nuit du 24 eu 25 juin 2019 est agressée par un homme qu’elle avait rencontré sur Tinder. Son affaire est relatée par Street Press et le Parisien

Refusant un baiser à l’homme chez lequel elle avait rendez-vous, celui-ci le pousse hors de son appartement, la frappe avec la porte et l’étrangle. Répondant à son appel téléphonique, les policiers se rendent sur place, s’entretiennent en apparté avec son agresseur, puis amènent Emily au commissariat, pour qu’elle puisse déposer plainte. Lors de la tentative du dépôt de plainte, elle verra sa version des faits remise en cause par l’agent censé la prendre : « Vous êtes sûre que vous voulez porter plainte ? Il va prendre 15 ans, ça va ruiner sa vie »Puis elle sera contrainte à un test d’alcoolémie, pour enfin patienter plusieurs heures sur place sans que sa plainte ne soit prise par qui que ce soit. Après un entretien téléphonique avec son avocat, Emily décide de rentrer chez elle et de revenir déposer plainte le lendemain : « Un flic m’attrape par le bras. Une autre policière me prend par derrière et me pousse. Et un troisième me tire sur le côté. Toujours sans m’expliquer ce qu’il se passe. J’essaie de rappeler mon avocat, on m’arrache mon téléphone des mains ! ». Puis, Emily est menotée à un banc, le haut de sa robe déchiré. Choquée, elle se exprime son mécontentement et une policière la menace : « Je vais te faire une palpation, ça va te calmer »Finalement, les policiers décident de la conduire à l’hôpital, ses blessures n’ont jusqu’à lors pas été constatées par un médecin. Ils sont quatre pour l’escorter : « On commence à me diriger vers la sortie du commissariat. Les menottes me sciaient le poignet parce qu’ils ne les avaient pas mises correctement. J’essayais de les remettre et ils ont cru que je me débattais. » Les policiers font alors demi-tour et Emily est placée en cellule brutalement. Plusieurs heures plus tard, on lui signifiera son placement en garde à vue pour « violences volontaires sur personnes dépositaires de l’ordre public ».

Requalification et classement

En 2019, 3 plaintes pour viol sur 4 étaient classées sans suite, c’est à dire qu’elles ont été considérées par le Procureur comme des plaintes simples ne nécessitant pas de poursuites faute de preuves à charge. L’Inspection Générale de la Justice (IGJ) elle-même estime que cela représente 80% des cas.  

Les plaintes faisant l’objet de poursuites sont quant à elles le plus souvent requalifiées par le Procureur de la République. Les crimes sont ainsi requalifiés en simple délits : une plainte pour viol peut ainsi être requalifiée en « simple » agression sexuelle » ou « atteinte sexuelle », quand ils estiment qu’il y a une forme de consentement.

C’est notamment le cas de Julie, qui a accusé 22 pompiers de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (unité de l’armée de terre française, placée sous l’autorité du préfet de police de Paris) de l’avoir violée entre 2009 et 2010, certains alors qu’elle avait moins de 15 ans, tous alors qu’elle était mineure. Les faits de « viol en réunion sur mineur » sont finalement requalifiés en 2019 en « atteinte sexuelle », requalification confirmée par la Cour d’Appel de Versailles. Saisie par Julie et sa mère, la Cour de Cassation doit rendre son verdict le 17 mars 2021. Après plus de 10 années de calvaire.

Pour pouvoir qualifier judiciairement un viol, le procureur et les juges s’appuient sur trois éléments :

  • l’élément légal (entrave à la loi et plus précisément aux articles 222-23 à 222-26 du Code Pénal), 
  • l’élement matériel (acte de pénétration de la victime et prouver le caractère sexuel des circonstances dans lesquelles les faits ont été commis)
  • l’élément intentionnel (va être caractérisé l’état de contrainte de la victime autrement dit le non consentement (Cass. Crim 21 octobre 1998, n°98-83.843, Cass.Crim, 28 avril 2011, n°11-80.617)

À titre d’exemple, la Cour de Cassation a rejeté la qualification de viol dans le cas d’une pénétration anale infligée à un jeune homme dans le but de lui extorquer une somme d’argent, car la pénétration n’était pas réalisée dans un contexte sexuel (Cass. Crim, 9 décembre 1993, n°93-81.044)

Tout ce processus interne polico-judiciaire ne consulte pas la victime. C’est sur la base des auditions menées que seront prises les décisions d’entamer ou non des poursuites, de qualifier de crimes ou de délits, et d’ouvrir ou pas une information judiciaire avec la saisine d’un juge d’instruction, qui a le pouvoir d’envoyer ou non l’agresseur devant une cour d’assises.

Ensuite viendra la confrontation avec l’agresseur. Il est inconcevable pour un système machiste d’entendre la parole d’une femme sans la confronter à celle de l’Homme, niant au passage le traumatisme que celle-ci subira en étant confronté une nouvelle fois à son agresseur. Les confrontations seront douloureuses et le système masculiniste en faveur de l’agresseur, donc complaisant avec celui-ci. 

Suite à une plainte classée sans suite, la victime peut engager une nouvelle procédure en déposant une nouvelle plainte avec constitution de partie civile devant le Doyen des juges d’instruction du Tribunal judiciaire du lieu où les faits ont été commis. Pour pouvoir avoir accès à cela, il faut que la victime verse une « consignation » – donc une somme d’argent – dont le montant est déterminé en fonction des revenus de la plaignante et qui est censé couvrir les frais de la procédure. Il faut également noter qu’une instruction peut durer plusieurs années avant que le juge ne décide de renvoyer, ou pas, l’agresseur devant un tribunal (cour d’assises si le crime est retenu, correctionnelle si les faits sont requalifiés en délit).

Autres situations complexes que la femme victime devra affronter : le rapport aux médecins.

Des témoignages ont mis en avant le fait que des médecins généralistes refusent d’établir des certificats circonstanciés qui reprennent le détail des lésions constatées ainsi qu’un descriptif de l’état psychique de la personne après son agression.

Vient ensuite la question des « interruptions temporaires de travail » (ITT). Pour qu’un statut de victime soit reconnu, la justice a mis en place une sorte d’échelle de gravité (physique ou psychique) qui se matérialise par un nombre de jours d’ITT. Les constats effectués par un médecin généraliste n’ont pas « force probante » dans une affaire judiciaire, il faut donc que l’examen médical fixant le jours d’ITT judiciaires soit effectué par la médecine légale. Cette dernière ne peut pas être directement sollicitée par la victime, c’est à l’institution judiciaire de la saisir mais seulement après un dépôt de plainte. Si bien que la victime est très souvent incitée à aller porte plainte dans un commissariat pour espérer décrocher un rendez-vous avec un médecin légiste. Si la confrontation avec la police est redoutée (et il y a bien des raisons de le redouter!), il est parfois plus prudent de faire constater ses premières blessures par un médecin généraliste (même si les jours d’ITT ne seront qu’indicatifs et pas probants), porter plainte avec son avocat en écrivant directement au procureur de la République et ensuite attendre d’être convoquée à la médecine légale une fois que la justice est saisie. Mais il faut avouer que très souvent, après un viol il faut porter plainte au plus vite et la visite au commissariait apparait comme l’option la plus souvent retenue… 

C’est donc un long parcours semé d’embûches qu’il est donné aux survivantes de subir si elles décident de s’en remettre à la justice. S’ajoute, à toutes les étapes du processus, la froideur psychologique des institutions à laquelle les victimes devront se confronter. Dans une logique patriarcale qui n’est plus à démontrer, les flics, procureurs, juges et médecins sont le plus souvent des hommes qui sont les seuls maîtres des “punitions” prononcées dans un système éminemment brutal et déshumanisant pour les femmes elle-mêmes et souvent complaisant avec les agresseurs.

– Un exemple récent de sexisme institutionnel –

Enfin, et ce serait un tort de ne pas l’évoquer ici, le paroxysme de la caution institutionnelle au sexisme et aux violences qui en découlent est atteint lorsque le haut de la hiérarchie de l’Etat, c’est-à-dire le gouvernement lui-même ou l’un de ses membres – de surcroît s’il s’agit du ministre de l’intérieur, « premier policier de France » – fait l’objet d’accusations sérieuses de viol ou de harcèlement sexuel.

Hélas, il ne s’agit pas ici d’une projection fantasmée au coeur d’une obscure dystopie, mais de la triste réalité depuis que Gérald Darmanin a été nommé au poste de ministre de l’intérieur le 6 juillet 2020. En effet, entre 2017 et 2018, trois plaintes ont été déposées contre l’actuel ministre pour « viol », « harcèlement sexuel » et « abus de faiblesse », suite à des faits remontant à 2009, alors qu’il était un jeune conseiller municipal de 26 ans. Les plaintes, adressées par la victime et son mari au ministre de la Justice, l’accusent d’avoir accepté d’intervenir dans un dossier – pour annuler une ancienne condamnation pour chantage de la victime – en échange de « faveurs sexuelles ».  La victime dénonçait alors des rapports sexuels non consentis, donc d’un viol, puisque ceux-ci avaient été obtenus « par la surprise » (cf. définition juridique du viol). Sans surprise, les plaintes successives ont été classées sans suite, avant qu’un vice de forme ne contraigne un juge à réouvrir le dossier en juin 2020. Un mois à peine après, Darmanin était nommé ministre de l’intérieur, comme pour lui accorder l’immunité qui lui manquait…

Le juge  a scandaleusement motivé le classement sans suite comme suit : « Le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d’imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise ». Si l’agresseur présumé se défend bien évidemment sur la base d’un imaginaire consentement de la victime, les échanges téléphoniques avec celle-ci a posteriori (révélés par Mediapart dans deux articles : 1, 2) démontrent de manière éloquente l’incapacité du premier policier de France à définir et comprendre la notion-même de consentement :

Le 27 octobre 2009, à 21 h 49, Darmanin écrit :
– ‘Libre pour prendre un verre? Gérald’.
– ‘Ne me contactez plus !!!!’, répond-elle.
– ‘Si tu veux, meme si jaurais aime prendre un dernier verre’. ‘Jaimerai que tu me rappelles sil te plais… Gérald’.

Quelques jours plus tard, le 4 novembre, à minuit, Darmanin lui écrit à nouveau :
– ‘Bonne nuit a toi. Gérald’.
– ‘Oublie mon numero !!!!!!’, rétorque-t-elle.
– ‘Ok mais prenons un dernier verre’. »

 Encore un homme qui ne comprend pas que non veut dire NON.

Quant au reste du Gouvernement, il fait preuve d’une solidarité sans faille envers son ministre de l’Intérieur, mettant en avant l’argument de la présomption d’innocence. L’innocence du ministre est pourtant d’autant difficile à croire lorsqu’on sait qu’il avait été accusé une première fois d’abus de faiblesse (le mot est doux) en 2018, pour des faits remontant à 2015 – lorsqu’il était conseiller municipal à Tourcoing – et qui évoquaient alors l’obtention de relations sexuelles en échange d’un emploi et d’un logement. La plaignante, bénéficiant entre-temps d’un logement social et d’un emploi public, s’était finalement rétractée.

Faut-il s’étonner que la culture du viol règne au sein d’une institution aux commandes de laquelle se place un violeur « présumé » ?

La violence structurelle des hommes de l’Ordre

Accordez au genre masculin une fonction de pouvoir et il n’aura qu’un désir : imposer sa domination. Il n’est peut être pas utile de rappeler ici l’omniprésence de la police dans nos sociétés (jusque dans nos esprits), la violence pure de cette corporation masculiniste et l’impunité dont elle jouit, tant ces aspects ont été moultes fois démontrés, au delà même des seuls articles disponibles sur notre site.

Violences hors-service ou la domestication des violences institutionnelles

Une fois sa journée de service terminée, ce n’est pas en passant le seuil du foyer familial que la violence pure du flic mâle disparaît comme dans le monde des bisounours. 

 

En effet de nombreuses conjointes de fonctionnaires de police, de matons ou de militaires osent maintenant parler pour décrire les dérives autoritaires et violentes de leurs maris ou conjoints, quand il ne s’agit pas de leur ex-partenaire. 

 

En 2017, 10% des suicides de policiers (7% si l’on élargit aux gendarmes) sont survenus dans le cadre de violences conjugales meurtrières (féminicides). Sur 50 suicides de policiers, 5 ont en effet été précédés d’un féminicide ou d’un infanticide. Au total, 10 femmes ou enfants ont été tuées et passées sous silence par le suicide ultérieur du policier.

 

Notons aussi que ces suicides accompagnés de meurtres sont  majoritairement commis avec l’arme de service de l’agent de police ou du gendarme. L’article 25 de la loi de sécurité globale, qui va entrer en vigueur en 2021, “autorisera les agents à conserver leur arme en dehors de leur service dans les établissements recevant du public”. Cette banalisation de la violence quotidienne a des répercussions dans tous les aspects de la vie civile des personnes qui en font leur métier.

 

Sans même évoquer les dégâts causés par « l’arme de service » à la maison, la culture du viol et de l’agression sexuelle s’entretient dans les violences intrafamiliales commises par des agents des forces de l’ordre. Quelques exemples cités par la presse :

  • Le 30 Novembre 1994 à Niort, un fonctionnaire du commissariat est mis en examen pour « attentat à la pudeur » sur sa fille de 15 ans. Laquelle a tenté de se suicider. Il ne sera pas poursuivi pour viol qualifié.  (Source la Nouvelle République du Centre Ouest 5 décembre 1994)
  • Le 21 Octobre 1995 à Aix en Provence, un policier du GIGN est poursuivi pour un viol organisé par ses soins sur la personne de son ancienne maîtresse en compagnie de deux autres policiers. (Source Libération 25 Novembre 1995)
  • Le 19 novembre 1996, un brigadier de police parisien est condamné pour des viols répétés sur la fille de sa compagne âgée de 10 à 15 ans au moment des faits. (Source Ouest France 22 novembre 1996)
  • Le 22 Juin 1997, un CRS à la retraite est condamné pour viol et agression sexuelle sur une enfant de 11 ans qu’il avait accueilli à son domicile durant l’été 1996. (Libération, 23 juin 1997)
  • Le 17 février 1998, un sous brigadier en poste à Beauvais est condamné pour avoir agressé sexuellement la fille de sa compagne durant plusieurs années (Source Le Parisien 18 février 1998)
  • En février 2000, un policier du commissariat d’Evry tue et découpe sa femme gendarme en morceaux, en raison d’une dispute portant sur le fait qu’elle l’aie incité à demander sa mutation en île-de-France (sic).
  • En décembre 2008, un policier en poste à Perpignan tue sa femme dans leur domicile familial, avant de retourner contre lui son arme de service.- En avril 2009, un policier soupçonné tue sa femme et ses deux enfants à Cabanac, près de Tarbes, et tente de se suicider avant d’être interpellé. Blessé, il succombe à ses blessures.
  • En janvier 2013, un policier retraité est condamné pour des agressions sexuelles et des viols répétées sur une enfant dans les années 1980-1990 alors qu’il était en poste dans l’Essonne. L’instruction a duré une quizaine d’années. ( Source : Bulletin Que fait la police ? de Maurice Rasjfus)
  • Le 19 Janvier 2015, un policier des Sables-d’Olonnes est condamné pour « viol » et « agressions sexuelles » sur sa fille.
  • En septembre 2017, un policier en poste à Paris tue avec son arme de service sa femme et ses deux enfants en pleine gare de Noyon avant de se suicider.
  • En mars 2018un policier de 34 ans qui exercait à Nanterre sera jugé à Versailles en 2021 pour « viols sur mineurs et détention, diffusion et enregistrement d’images pédopornographiques ». Les faits se sont déroulés entre 2012 et 2018, concernant au moins 12 enfants victimes âgés de 2 à 8 ans, tous proches du suspect, membres de sa famille ou enfants d’amis. Un autre policier âgé de 27 ans est également mise en cause, il se sont échangés des images pédopornographiques. Trois autres personnes sont impliquées. Elles seront jugées en 2021.
  • En octobre 2019, un policier d’Alès est jugé pour avoir tué de trois balles son ex-compagne au volant de sa voiture, après avoir bloqué son véhicule sur un rond-point.
  • En janvier 2020, l’ex-directeur de la police municipale de Roubais est condamné à un an de prison avec sursis pour des violences conjugales commises sur quatre de ses anciennes compagnes.
  • Le 2 février 2020, un policier en poste à Suresne se suicide après avoir tué sa maîtresse, elle aussi policière, à La Celle-Saint-Cloud dans les Yvelines.
  • Le 23 février 2020, un policier de la brigade anti-criminalité (BAC) de Toulon tue sa compagne avec son arme de service dans la commune du Val, près de Brignoles dans le Var.

Dans un article très complet publié en 2018 par Mediapart, Sophie Boutboul revient sur une partie de son livre « Silence on cogne », enquête approfondie sur les violences conjugales commises par des hommes de l’Ordre, dans lequel elle relate le témoignage de cinq épouses de policiers et de gendarmes. Dans celui-ci, Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, livre son analyse : « La violence est toujours une question de pouvoir, d’assujettissement. L’uniforme, l’arme et le fait que les policiers et gendarmes soient garants de l’ordre public les placent notamment en situation de puissance. Il y a en plus une présomption de bonne foi de leur parole. Les femmes violentées intègrent ce que leur compagnon leur dit, que c’est lui qui sera cru, qu’il va intercéder dans la procédure… »

Sans surprise, la presse régionale relate régulièrement les affaires de violences conjugales impliquant des policiers ou des gendarmes avec un légèreté déconcertante, s’employant le plus souvent à relativiser la gravité des faits, à mettre en avant l’exemplarité professionnelle de l’agresseur, voire à le présenter comme vulnérable ou sur la voie de la repentance [1, 2]. On est bien loin des gros titres piétinant la présomption d’innocence quand il s’agit de « personnes connues des services de police ». Pourtant, qui peut être mieux connu des services de police qu’un policier lui-même…

La récurence de ces violences, qui ne sont que la transposition dans la sphère privée d’une violence légale et légitimée au nom de l’ordre et de la sécurité publique, remet fondamentalement en question la probité d’une institution à laquelle est confié le sort des victimes de violences conjugales, des victimes de viols, d’agression sexuelle, sexiste, homophobe et/ou raciste.

Toute puissance : quand l’uniforme permet à l’agresseur de s’accomplir

Habillez un homme d’un uniforme bleu et vous produirez les conditions de cette impunité qui permet à certains hommes de se réaliser en tant qu’agresseurs, tandis que d’autres se feront leurs complices en les couvrant ou en déniant aux victimes leur droit d’être prises en considération : la mysoginie à l’état pur, couvert par le sceau du serment.

Être craint ou respecté (la nuance est subtile) ou mettre au pas la population et ses corps indociles, tel est l’objectif premier de la police, de l’administration pénitentiaire et de l’armée, toutes ces administrations régaliennes qui incarnent l’autorité de l’État. Ces métiers sont majoritairement masculins et le recrutement se fonde sur les codes de la “masculinité” : virilité, protection (sic), force, courage, bravoure, etc. 

Récemment, la société française a semblé découvrir avec effroi les groupes Facebook ou Whatsapp réservés aux flics, dans lesquels un déchainement de violence verbale et d’insultes ouvertement racistes voire suprémacistes se superposent avec des MEMES glorifiant des homicides policiers.

Ces groupes ont été dénoncés depuis des années aux instances de contrôle des pratiques policières (IGPN/IGGN), évidemment sans suites. Récemment, un acharnement terrible s’était retourné contre une femme qui avait mis en lumière ces groupes, Amélie. Rappelons qu’Amélie a subi plus de deux ans de harcèlement policier, des violences sexistes, physiques, des menaces de viols et de mort : notre article à ce propos.

L’existence d’un nombre incalculable de policiers s’illustrant par leur zèle brutal est un fait établi. On ne parle pas d’un phénomène rare ou de “dérive”, encore moins de « bavures », ces hommes de l’Ordre ne représentent pas quelques “brebis galeuses” qu’il s’agirait de sortir du troupeau pour préserver les autres. 

L’uniforme incarne la domination de toutes et tous tout le temps, pour quelque motif que ce soit, il assoie la normalité du contrôle éventuel, et surtout la peur : peur de l’escalade possible, peur des conséquences, peur des violences et peur de la mort. Cet uniforme est le symbole de la toute puissance affirmée par l’État, qui octroie à ses hommes de l’Ordre toute liberté d’action au détriment de la liberté des autres. 

Cette toute puissance s’exercera forcément en premier lieu sur les premières victimes du système patriarcal : les femmes, les enfants, les personnes homosexuelles, transgenres, intersexes, travailleu.se.s du sexe… Violence qui s’abat avec plus de force dès que les victimes sont des personnes racisées, car cette toute puissance revêt forcément une dimension raciste et suprémaciste.

La hiérarchie des dominations est complexe. Citons la sale histoire de Christian Frey, ex-médecin chef de la police pour le Grand Est à Metz. Ce médecin s’est cru autorisé – car la culture du viol le lui a inculqué comme à beaucoup d’autres hommes – à effectuer de longues palpations mamaires et des parties génitales sur des jeunes recrues de la police lors d’examens de santé professionnels. Poursuivi par onze plaignant-es (neuf femmes et deux hommes) pour « agression sexuelles par personne ayant autorité », l’agresseur se justifiera au tribunal en mai 2019 d’une manière on ne peut plus éloquente : « Depuis quarante ans je fais comme ça et je n’ai jamais eu d’histoires ». Cette déclaration en dit long à la fois sur l’étendue du mal commis, mais également sur le sentiment d’impunité absolu de l’agresseur agissant sous couverture de l’autorité. On apprendra par ailleurs que le ministre Castaner avait été informé, mais qu’il n’a pas jugé utile d’intervenir… 

 Viols individuels et collectifs

Les policiers ont recours à la domination masculine de façon différente selon qu’ils veulent soumettre des hommes et des femmes. Ils emploient des techniques de vexation à l’égard de ceux qu’ils pensent pouvoir blesser en mettant en doute leur virilité, en les désignant comme féminin, homosexuels, dévirilisés“. 

Mathieu Rigouste, La domination policière, une violence industrielle, 2012

Il ne s’agit pas ici de détailler de manière exhaustive les affaires de viols commis par des hommes de l’Ordre, d’une part car ils ne sont pas tous connus mais également car nous n’aurions pas assez de quelques chapitres pour détailler chacun de ces crimes. Pour autant, nous avons listé un certain nombre d’agressions sexuelles et de viols qui nous ont semblé être le reflet d’un mal systémique dont l’appareil d’Etat n’est pas exempt, bien loin de là. 

Les cas sont nombreux et symptômatiques de la culture du viol régnant dans les institutions, qui ne sont rien de moins que le reflet de celle régnant dans la société, à la seule différence près que les agresseurs bénéficient dans la police d’un statut leur permettant de se penser légitimes ou impunis. Ce qui frappe notamment, c’est le recours à des pratiques de viol collectif, qui rappellent le viol comme arme de guerre ou les « tournantes », tant médiatisées lors du règne de Nicolas Sarkozy [1, 2] et attribuées alors à une catégorie de population que l’opportunisme de droite de l’époque prétendait « karcheriser ».

Il y a dans cette forme de « viol punitif » une dimension émeutière (au sens étymologique du terme) qui interroge à la fois cette masculinité ensauvagée qui peut régner dans les groupes d’hommes en général, mais également les groupes d’hommes de l’Ordre en particulier.

Le corporatisme syndical et le sentiment d’impunité amènent des policiers à être témoins silencieux et finalement complices, sans avoir à participer activement aux violences en tant que telles.

Ces processus, conscients ou inconscients, semblent découler d’un mélange diffus fait de jouissance inavouée, d’adhésion passive et silencieuse, d’acceptation, voire d’une idiotie patente. En définitive, assister aux viols sans s’y opposer procède de la banalisation de la violence sexiste et de la domination masculine.

Ce que l’on constate également, c’est la prévalence de viols commis sur les personnes travailleuses du sexe (TDS) et  les personnes de la communauté LGBTQIA+.

Nous ne souhaitons pas parler à la place des concernées et de fait nous ne ferons pas de suppositions quant aux raisons qui amènent les hommes de l’Ordre à violer préférentiellement des personnes TDS ou LGBTQIA+. Nous n’avons pas non plus envie d’analyser le cerveau détraqué de ces hommes violents mais apportons de part ces nombreux exemples un constat sans appel.

Nous pouvons seulement constater que dans leurs déclarations, lors des auditions et des audiences au tribunal, les agresseurs mettent en avant le caractère “consentante de facto” des personnes TDS qu’ils ont violé : ils estiment que le sexe tarifé constituent une invitation ou une incitation, le rapport sexuel étant perçu comme un dû et les corps comme étant à disposition.

Lorsque ces agresseurs sont des policiers ou des gendarmes, leur fonction vient se superposer à ces préjugés, leur procurant – de leur point de vue toujours – une forme de “passe-droit”, notamment à l’égard des prostituées, du fait qu’ils disent “les fréquenter régulièrement” et qu’ils se croient par conséquent autorisés à bénéficier de “faveurs sexuelles” (terme qui révèle en soi le caractère non consenti). 

Il est également important de rappeler que les personnes TDS en situation irrégulière subissent d’autant plus ces agressions dont la défense semble insurmontable. En effet, comme le souligne la sociologue Gwenola Ricordeau dans son livre Pour elles toutes :  » la possibilité de recourir au pénal est pourtant lié à certains privilèges, à commencer par la citoyenneté et la validité d’un titre de séjour. Ces privilèges reposent sur des caractéristiques et des compétences sociales qui permettent de se conformer à ce qui est attendu d’une victime. (…) Le système pénal est loin d’offrir des solutions auxquelles tout le monde peut recourir – sans compter qu’il ne fait rien pour changer les conditions sociales qui ont rendu possible le préjudice.« .

C’est pourquoi il est nécessaire de réfléchir et d’agir collectivement pour s’affranchir du recours systématique aux institutions policières et judiciaires dans nos luttes car nous ne sommes pas égales face aux violences.

Fichage génétique et délits à caractère sexuel : le paradoxe policier…

Le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) a été créé par la loi Guigou du 18 juin 1998, dans le contexte de l’affaire du violeur et tueur en série Guy Georges. Il ne concernait alors que les personnes condamnées dans des délits à caractère sexuel. Entre 2001 et 2007, six lois en ont élargi le champ à la quasi-totalité des délits. 

La plupart des personnes qui se sont opposées au prélèvement génétique se sont déjà vues opposer le fait qu’elles se rendaient indirectement complices de viols, en n’acceptant pas d’être « blanchies » par cette grosse « machine à confondre les violeurs ». Cette remarque tout à fait déplacée et choquante, qui part du principe que toute personne est potentiellement coupable à moins de prouver son innocence, donc de se prêter au fichage et à la surveillance (même logique que le « si vous n’avez rien à vous reprocher » justifiant la vidéosurveillance généralisée), répond à la finalité même de ce type de fichier : pour être efficace, il faut que tout le monde y soit enregistré (c’est la théorie).

C’est sans compter deux bémols : le premier, c’est que la preuve génétique est faillible, comme plusieurs études l’ont démontré. La seconde, c’est que la plupart des fonctionnaires ne sont probablement pas inscrits au FNAEG, dans la mesure où pour être prélevé il faut avoir commis ou été suspecté d’avoir commis un délit, ce qui n’est compatible ni avec la fonction de policier (être fonctionnaire implique généralement de ne pas avoir été condamné), ni avec les logiques d’impunités régnant au sein de l’institution. On peut bien rétorquer qu’être suspecté ne signifie pas avoir été condamné, ni-même que cette condamnation soit inscrite au casier judiciaire – barrage pour l’accès à la fonction publique – mais en définitive chacun se doute que peu de policiers et de gendarmes sont en réalité inscrits au FNAEG, quand bien même ils auraient été, à un moment ou un autre de leur vie, suspectés d’avoir commis un quelconque délit, y compris mineur.

On en déduit que les forces de l’ordre, ayant autorité pour accomplir le fichage de l’ensemble de la population, sont une catégorie sociale exempte de tout soupçon, et donc exemptée de ce même fichage…

De toute façon, qu’on se le dise, il n’y a aucune logique rationnelle au fichage génétique : briser une vitre, dealer du shit ou voler dans un magasin ne signifie pas qu’on est un violeur en puissance…

Moyens et arguments au service de la culture du viol

La culture du viol doit être analysée comme un cadre de pensée et de comportement structurellement ancré dans la société, ainsi que dans la plupart des communautés qui la constituent. Le viol et sa culture font système par l’intermédiaire d’un panel d’arguments et de moyens mis à la disposition des hommes pour justifier leurs actes de violence sexiste et pour faciliter leur commission. Quand ces hommes sont habillés de l’uniforme, c’est l’institution elle-même – ou à minima la corporation à laquelle ils appartiennent, toujours avec la complicité active ou passive de leur hiérarchie – qui leur octroie les outils et arguments nécessaires à la réalisation et à la légitimation de ces actes.

La matraque comme objet de la domination masculine

« La fonction crée l’organe. Cette affirmation se vérifie largement en ce qui concerne les fonctionnaires de police. Un homme (ou une femme) normalement constitué ne peut changer de nature dès lors qu’il endosse l’uniforme qui lui donne du pouvoir. Aussi loin qu’il nous est possible de remonter dans l’histoire des forces de l’ordre, il faut bien constater que le bras qui tient la matraque ne tremble pas.« 

Maurice Rajsfus, Portrait physique et mental du policier ordinaire, 2008

En 2016, un père de famille de 28 ans portait plainte après avoir été violé à l’aide d’une matraque par un policier municipal lors de son interpellation le 25 octobre 2015 à Drancy, alors que les policiers le plaçaient de force à l’intérieur de leur véhicule dont les sièges arrière avaient été rabbatus. Le déni régnant dans la société actuelle pourrait nous amener à penser qu’il s’agirait d’un accident si ce type de faits ne se reproduisaient pas régulièrement. L’affaire Théo en 2017 est venu nous rappeler combien ces « glissements » de matraques ne sont ni exceptionnels ni fortuits : pour rappel, Théo était interpellé le 2 février 2017 à Aulnay sous Bois et violé à l’aide d’une matraque par l’un des trois policiers procédant à son interpellation.

Etonnament, il semblerait qu’on ait oublié que l’un des policiers mis en examen dans l’affaire Théo, le commissaire Vincent Lafon, avait déjà été mis en cause et condamné en 2008 pour avoir laissé ses hommes enfoncer un enjoliveur dans les fesses d’un homme interpellé le 19 février 2004. Extrait de sa voiture et tabassé, l’homme interpellé avait finit sur le goudron, pantalon et slip baissés, un cerceau d’enjoliveur entre les fesses. Bilan : un nez cassé, sept jours d’ITT. Les policiers l’avaient alors « menacé de sodomie ». La scène avait aussi été filmée… mais les images avaient été détruites, et la police des polices ne les a pas retrouvées.

Le 1er Mai 2019, un policier avait introduit une matraque télescopique dans le pantalon d’un manifestant maîtrisé par plusieurs membres des forces de l’ordre, devant “Le Dôme”, une brasserie du boulevard du Montparnasse à Paris.

Si l’on remonte dans le temps, on peut s’arrêter à une affaire qui s’est déroulée en octobre 1975 à Marseille, lorsque cinq policiers du SRPJ ont violé à l’aide d’une matraque une personne interpellée lors d’un interrogatoire, afin de lui extorquer des aveux : «Ils m’ont déshabillé et ont commencé à me frapper de coups de poing. Ils m’ont ensuite contraint de me courber, le torse plaqué contre le bureau. Deux d’entre eux me tenaient les bras et la tête. Un autre m’a alors enfoncé une matraque dans l’anus à plusieurs reprises. La douleur fut terrible. J’ai avoué tout ce que l’on me demandait d’avouer.».  Notons que le 9 juin 1980, deux des cinq agents ont été condamnés à trois ans de prison avec sursis et 5 000 francs de dommages et intérêts. En conséquence, plusieurs centaines de policiers ont manifesté à Marseille, avant que la cour d’appel de Montpellier n’apporte un point final, en janvier 1981, à l’affaire : elle a disqualifié les violences commises par les policiers en les considérant comme «légères» et a estimé donc que les faits étaient prescrits.

Les violences sexuelles exercées par la police sont pourtant loin d’être prescrites.

Le 28 Juillet 1999, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a conclu à la violation des articles 3 (interdiction de la torture et des mauvais traitements) et 6 (droit à un procès dans un délai raisonnable) dans l’affaire d’Ahmed Selmouni. Il avait été placé en garde à vue de 72 heures en 1991 et avait subi des humiliations, des tortures et un viol avec une matraque durant sa garde à vue : 

« Ils m’ont fait entrer dans un bureau où se trouvait une femme, ils m’ont obligé à m’agenouiller et ils m’ont tiré les cheveux en disant à cette femme « Tiens, tu vas entendre quelqu’un chanter ». Je suis resté à cet endroit durant une dizaine de minutes. Je suis dans l’incapacité de vous décrire cette femme qui me paraissait jeune. Ensuite je fus ramené dans le couloir, et l’un des policiers a sorti son sexe et s’est approché de moi en disant « Tiens, suce-le » ; à ce moment là, j’étais à genoux. J’ai refusé tout en gardant la bouche fermée étant donné qu’il avait approché son sexe de mes lèvres. Devant mon refus, cet inspecteur a uriné sur moi, sur les conseils d’un de ses collègues. Après ces faits, je fus conduit dans un bureau et là, ils m’ont menacé de me brûler si je ne parlais pas. Devant mes réponses négatives, ils ont allumé deux chalumeaux, reliés à deux petites bonbonnes de gaz de couleur bleue. Ils m’ont fait asseoir et ont placé près de mes pieds, où je n’avais plus les chaussures, les chalumeaux, à une distance d’un mètre environ. Dans le même temps, je recevais des coups. A la suite de ces mauvais traitements, ils m’ont menacé tout en brandissant une seringue, de me faire une piqûre. Voyant cela j’ai déchiré la manche de ma chemise en leur disant « Allez-y, vous n’oserez pas » ; effectivement ils n’ont pas été au bout de leur projet. Cette réaction a provoqué chez les policiers un nouvel accès de violence et de nouveau je fus malmené. Ces inspecteurs m’ont laissé en paix pendant une quinzaine de minutes, puis l’un d’eux m’a dit « Vous les arabes, vous aimez être baisés ». Ils m’ont pris, ils m’ont fait déshabiller et l’un d’eux m’a introduit dans l’anus une petite matraque noire.  » 

La personne arrêtée avec lui, Abdelmadjid Madi, a subi lui aussi des tortures durant sa garde à vue. La CEDH a rendu deux décisions séparées, concernant la requête de Ahmed Selmouni et concernant la requête de Abdelmadjid Madi

Beaucoup plus récemment, un militant du mouvement écologiste Extinction Rebellion portait plainte pour viol à l’encontre de policiers de la BRAV, suite à des faits commis à l’occasion de la répression d’une action écologiste à Paris le 19 septembre 2020 : “Ils se sont tous mis sur moi et m’ont alors frappé au niveau des côtes puis dans le bas du dos. Alors que j’étais à terre, l’un d’eux a baissé mon short de bain et m’a mis un coup de tonfa (matraque, ndlr) dans le cul. J’ai essayé de me recroqueviller mais un policier a mis son pied sur l’omoplate pour me maintenir allongé à plat ventre. Il s’y est pris à deux ou trois reprises pour réussir à rentrer, puis un coup qui est entré dans l’anus sur plusieurs centimètres. Pendant ce temps, les autres m’envoyaient des insultes du genre ‘ça va te plaire petit pédé ».

Tout ce qui apparaît comme contraire à la force virile incarnée par les hommes de l’Ordre est alors soumis à des formes de rituels d’humiliation et de “dévirilisation”, qui passent notamment par le viol à proprement parler, souvent à l’aide d’objet contondants tels que leur matraque.

Palpations et fouilles, premier degré de l’attouchement sexuel

En deça du viol, on oublie souvent d’évoquer et de détailler ce qui est du ressort des palpations et fouilles, à savoir des pratiques ordinaires de contrôle tactile sur des corps non consentants. Les policiers ne préviennent ni ne demandent que rarement aux personnes placées sous leur contrôle si celles-ci acceptent d’être fouillées et palpées, du fait que ce geste policier est communément admis au nom de la sécurité publique et de l’élucidation des infractions.

Jusqu’à récemment, la « fouille à nu » lors du placement en garde-à-vue était une pratique courante qu’un certain nombre d’entre nous ont subi, et qui laisse un profond sentiment d’humiliation. La motivation de cette pratique barbare – qui se perpétue en prison malgré la loi pénitentiaire de 2009 qui les interdit – est la détection d’objets ou de drogues dissimulés dans l’anus : « Tu t’accroupis et tu tousses ! »

Dans un article à ce sujet, une personne détenue témoignait en ces termes de cette insupportable pratique : « Certaines nous faisaient prendre des positions illégales comme le squat qui consiste à vous faire accroupir penchée en avant et à vous faire tousser. Lorsque j’avais mes règles, il m’est arrivé que la surveillante me fasse attendre debout jusqu’à ce que le sang coule le long de mes cuisses.»

On peut sans détours affirmer que les agents de l’Administation Pénitentiaire, de par ces pratiques de fouilles à nu, violent quotidiennement des milliers de personnes incarcérées au simple motif de la « sécurité ». 

En dehors du cadre carcéral et notamment lors de contrôles d’identité sur la base de soupçons liés à la consommation ou la vente de produits stupéfiants, les fouilles prennent la forme de “palpations de sécurité” qui sont, dans de très nombreux cas, l’occasion d’attouchements et d’humiliations à caractère sexiste et raciste. Les formes les plus répandues sont les “mains dans le slip” pour effectuer des fouilles au niveau des parties génitales et de l’anus.

Des affaires emblématiques ont permis de faire la lumière sur les vices pervers d’un certain nombre de policiers, notamment à l’égard de jeunes habitant-es des quartiers populaires. Ca a été le cas de 18 jeunes filles et garçons résident-es de la dalle Rozanoff à Paris, qui en 2015 ont porté plainte pour « violences volontaires aggravées », « agression sexuelle aggravée », « discrimination » et « abus d’autorité » à l’encontre de la Brigade de Soutien de Quartier (BSQ), suite à des agressions répétées de leur part, dont des « doigts dans les fesses ». 

Dans un article de décembre 2020, Libération relatait le témoignage d’un lycéen à l’occasion d’un atelier d’écriture mené dans un lycée à Paris (XVIIIe) en 2019 : «Ils roulent doucement, parfois se posent au feu rouge et regardent s’il y a des gens qui fument du cannabis. Parfois ils contrôlent des élèves. Ils mettent des gants et regardent leurs parties intimes. Ce n’est pas violent en général. De toute façon, on est habitués quand on est arabes ou noirs.»

Quand on se plonge dans les très nombreux témoignages de « contrôles ordinaires », qui sont tout autant de contrôles au faciès, l’évocation de « palpations génitales » apparaît régulièrement. Le collectif Stop Le Contrôle Au Faciès a ainsi effectué un relevé statistique du nombre d’attouchements sexuels dans le cadre de contrôle, établissant ce chiffre à plus de 9% des témoignages recueillis. 

Un autre exemple suffira sans doute à laisser imaginer l’étendue de ce type de pratiques, qui dépasse le cadre des banlieues et quartiers populaires : un manifestant témoignait le 12 décembre 2020, de façon fortuite à la caméra du media engagé Cerveaux Non Disponible, de l’agression sexuelle « ordinaire » qu’il venait de subir de la part d’un policier à l’occasion d’une fouille avec « palpation de sécurité » : « Le policier qui m’a fouillé m’a franchement fouillé le slip, le sexe, l’anus. » 

Cette fouille anale peut être qualifiée de viol, dans la mesure où la définition de celui-ci implique un acte de pénétration sexuelle commis sur une victime avec violence, contrainte, menace ou surprise. Tout acte de pénétration sexuelle est visé : vaginale, anale ou buccale.

En janvier 2021, une étudiante de la faculté de lettres de Nancy témoigne d’attouchements au cours d’un contrôle de police dans le cadre du confinement : « Au loin, j’ai vu deux voitures de police. Je n’ai pas cherché à fuir ou autre car j’étais en règle, j’avais un masque et une attestation valable. Lorsque j’ai donc commencé à avancer, un policier est arrivé et s’est mis directement devant moi. […] Un troisième policier est arrivé et il a commencé à me pousser contre le mur. J’ai eu très mal au dos et à la tête. Quand il a voulu me fouiller, je lui ai dit qu’il n’avait pas le droit car c’est un homme. Mais, il ne m’a pas écouté. Le problème c’est qu’il ne m’a pas fouillé. Il a touché mes formes, mes seins, mes fesses, mes hanches. Je n’ai pas essayé de me débattre, j’étais paralysée. »

Ce qui attire l’attention dans la suite donnée à cette affaire, ce sont les rétractations de la victime, et notamment le retrait de sa plainte, qui sera communiqué à la presse par le Procureur en ces termes lapidaires : « Elle a assuré à la police nationale que le contrôle s’est bien déroulé, sans incident et avoir été contrôlée par un policier homme et une policière qui avait procédé à une palpation de ses poches, ne pas avoir subi d’attouchements au cours de ce contrôle, ne pas avoir été bousculée ou violentée au cours de ce contrôle, ne pas souhaiter déposer plainte et ne présenter aucune blessure à la tête ou ailleurs ». On ne peut que s’interroger sur ce brusque revirement après un témoignage pourtant circonstancié. Il n’est pas à exclure qu’au regard de l’exposition médiatique, mais aussi par peur ou en raison d’éventuelles intimidations, des victimes refusent de se manifester ou se rétractent, notamment quand les agresseurs sont des policiers. La victime, dans le cas présent, est âgée de 19 ans seulement…

Il y a dans ces violences sexuelles le révélateur d’un besoin compulsif chez le mâle policier, qui se manifeste par le désir d’atteindre ou de violer l’intimité des personnes placées sous son contrôle, et notamment lorsqu’il s’agit de personnes que celui-ci perçoit comme “non viriles”.

– Infographie du Collectif Stop le Contrôle au Faciès –

Le sexisme comme corolaire du racisme : pourquoi suprémacie blanche rime avec misogynie

« Aux insultes et aux tabassages, aux charges et aux gaz, aux brimades qu’elles endurent comme toute proie de la police, les femmes subissent les menaces de viol, les intimidations sexuelles et toutes sortes de violence à caractère sexiste, violences qu’elles subissent des hommes en général mais qui sont renforcées par la sécurité de l’uniforme. Ce principe culmine dans le rapport des policiers prédateurs avec les femmes qu’ils considèrent les plus inférieures, les femmes non-blanches des quartiers populaires »

Mathieu Rigouste, La domination policière, 2012

Dans notre analyse, nous avons fait le choix de considérer le racisme comme un outil ou un dispositif mis à disposition des violences structurelles, plutôt que comme une idée ou une opinion qui pourrait être discutée sur le « marché des idées » (voir à ce propos l’excellent one-man-show – en anglais – de Aamer Rahman, « Is it really ok to punch nazis ?« , 2017), voire justifiée d’une quelconque manière par un débat d’idée. A ce titre le racisme est un instrument qui, au même titre que les armes, bénéficie d’un cadre règlementaire pour pouvoir s’appliquer. A ce titre, racisme et sexisme sont les deux revers d’une même médaille.

La loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, dite « loi sur le voile », a rendu légale une oppression de genre et de race en se dissimulant derrière le paravent – grand classique – de la laïcité, de la République et du droit des femmes. On a affaire là à une vision bien masculiniste du droit : protéger en interdisant (vous savez, celle-là même qui fait dire à des machistes qu’enfermer son épouse, sa fille ou sa soeur à la maison consiste à la protéger et la respecter). Sans surprise, c’est aussi la même logique qui justifie l’encadrement et la répression des manifestations par la police : frapper les manifestant-e-s s’insère dans ces dispositifs censés protéger les bon-ne-s manifestant-e-s des mauvais-e-s… et du terrorisme. 

Dans sa toute puissance virile, l’homme de l’Ordre est incité par le législateur à se penser comme le garant privilégié d’une certaine moralité et de certaines libertés, qu’il est par ailleurs libre d’interpréter comme il lui convient. Autant dire que, laissé à l’appréciation d’une institution gangrénée par le virilisme, la misogynie et les préjugés racistes, le droit devient alors une arme formidable pour dominer les catégories sociales qui cochent le plus de cases sur le barême policier de l’asocialité et de l’incivilité : les femmes et les personnes queer et les personnes racisées. 

Immédiatement après le vote de cette loi, le harcèlement et les violences à l’égard de femmes musulmanes ont commencé à se multiplier (plus de 27 femmes verbalisées dans le seul mois qui a suivi les décrets d’application de la loi), comme pour servir de message à la fois aux femmes qui n’entrent pas dans les standards et normes que la société française impose, ainsi qu’à des communautés entières de populations perçues comme allogènes. Quelques exemples d’affaires :

  • En 2011 à Paris, deux femmes portant le voile sont interpellées sur le parvis de Notre Dame alors qu’elles protestent contre la loi interdisant le port du voile.
  • En 2012 à Marseille, le contrôle par deux policiers municipaux d’une femme portant un voile tourne mal lorsque des passant-e-s s’interposent.
  • En 2013 à Trappesun policier ayant participé au contrôle d’une femme portant un voile – qui a dégénéré et engendré plusieurs soirs de violences à Trappes au cours desquelles un jeune homme de 14 ans, Salim, a perdu un oeil à cause d’un tir de Flashball – a été placé en garde à vue par l’IGPN dans le cadre d’une enquête sur des faits d’«injures et incitation à la haine en raison de la religion», ouverte à la suite de deux plaintes déposées par des habitant-e-s de Trappes pour des propos islamophobes. Il avait entre autre publié sur son compte Facebook la photo d’un femme en niqab avec le commentaire « les femmes blanches sont les plus belles ».
  • En 2016, un commissaire du Val de Marne félicite dans une lettre un policier après le contrôle d’une femme portant un voile et « l’encourage vivement à poursuivre dans cette voie, la seule permettant de sauvegarder les valeurs de l’Occident ».
  • En 2018 à Toulouse, des policiers en poste au commissariat du Mirail interpellent une femme portant le voile alors qu’elle utilise des équipements sportifs et après qu’elle ai refusé de leur montrer son visage (les policiers jugeaient que la photocopie de sa pièce d’identité était de mauvaise qualité)
  • En 2019 à Saint-Denis, des policiers interpellent au volant de sa voiture une femme portant le voile, accusée d’avoir commis un excès de vitesse, puis de les avoir invectivé, avant que son chien démuselé ne les attaque. Au cours de l’interpellation, filmée depuis un immeuble voisin, les policiers abattent le chien et extraient la conductrice de force de son véhicule (Nota Bene : les sources disponibles sont essentiellement celles du syndicat policier d’extrême droite Alliance et de la Préfecture de Police).

Ce que racontent ces contrôles, qui s’accompagnent souvent d’altercations, c’est leur dimension profondément discriminante : ne sont ciblées que des femmes, majoritairement musulmanes. Au delà de la question philosophique du voile en tant que vecteur d’oppression ou résultant d’un choix libre et conscient (controverse qui ne trouvera jamais d’issue tant qu’on croira dicter aux autres, et notamment au premier-e-s concern-e-s, ce qui est moral ou ne l’est pas, ce qui est légitime ou non…), ce qui est mis en lumière, c’est l’exutoire raciste et sexiste que la loi a accordé à des policiers déjà enclins à s’en prendre aux femmes, racisées et/ou musulmanes de surcroît. Factuellement, elle amène des femmes à se « dévêtir » devant des hommes policiers et sur leur injonction, ce qui symboliquement constitue à la fois une humiliation et une offense à caractère sexiste. Un certain nombre de femmes confirment que c’est aussi l’occasion pour eux de les intimider, voire de les insulter, comme le révèle une enquête réalisée en 2013. Il n’est pas inutile de préciser – pour celles et ceux qui aiment mesurer la longueur du tissu – que la libre interprétation de cette loi amène les policiers à contrôler aussi des femmes ne portant pas un voile intégral (burqa ou niqab) : sur 705 femmes contrôlées en deux ans (chiffres de 2013 dans l’article en lien ci-dessus), près de 280 ne portaient pas de voile intégral.

Il n’est pas indispensable de dresser une liste exhaustive de femmes racisées non voilées faisant l’objet de violences de la part des forces de l’ordre, dans la mesure où l’analyse du racisme systémique (traité dans nombre d’autres études approfondies) combinée à celle du sexisme systémique décrit dans le présent article suffisent à se représenter la violence spécifique que peuvent subir des femmes non-blanches lors de leurs interactions avec les hommes de l’Ordre. La phrase citée plus haut, relatant le trait d’esprit d’un policier de Trappes sur sa page Facebook, permet de réaliser combien les deux phénomènes sont liés au sein d’une même structure de domination : « les femmes blanches sont les plus belles ». Le mâle policier suprématiste ne comprend pas qu’en affirmant cela, il réifie et donc dénigre ces femmes (catégorie fantasmée) qu’il croit honorer… 

Néanmoins, on retrouvera ces récits de violences sexistes et racistes tout au long de cet article, dans la mesure où une partie non négligeable des références mobilisées comprennent des témoignages de femmes racisées. 

Lieux de privation de liberté : violences sexuelles à huis clos

Dans les lieux de privation de liberté, la lattitude d’action de ceux qui gardent les clés et se trouvent ainsi en position de toute puissance sur des corps privés de liberté, engendre naturellement un certain nombre d’abus et de violences qui resteront à la discrétion de ceux qui les commettent. Encore une fois, le corporatisme et la solidarité masculine favorisent un contexte de déni, d’omerta et de mensonge qui bénéficient à l’impunité des agresseurs. 

Il ne se passe pas six mois désormais sans que nous ayons vent d’une mort suspecte en prison ou entre les murs d’une cellule de garde-à-vue. On le sait, ces espaces de relégation ne sont pas exemptés de la violence institutionnelle. Au contraire, elle s’y abat avec un silence d’autant plus féroce qu’il empêche souvent tout témoin de se manifester. Dans la liste ci-dessus, un certain nombre d’exemple d’agressions et de viols commis entre les murs d’une cellule, ou dans des espaces perçus comme privatifs de liberté par les personnes qui y sont enfermées à leur corps défendants, participent à penser que nombre de violences y sont commises sans même que la société ne le sâche ou ne s’y intéresse.

Comme dans l’intimité du domicile familial, la violence subie dans l’espace carcéral ne sortira souvent jamais des murs où elle a été commise. C’est à l’abri du regard de la société que le contrôle social et la violence hégémonique des hommes de l’Ordre se font les plus assourdissants. 

  • Commissariat d’Ajaccio, 1992 VIOL EN GARDE-A-VUE – un lieutenant de police est condamné pour avoir violé une femme durant sa garde à vue en novembre 1992. (Source : Le Monde 3 Novembre 1998)
  • Comissariat de L’Isle-Adam, 1996 VIOL COMMISSARIAT – un jeune mineur est convoqué au commissariat par un officier de police judiciaire pour un interrogatoire. Il est dénudé, palpé puis relaché. Il est de nouveau convoqué deux semaines plus tard, cette fois l’OPJ l’agresse sexuellement et le viole. L’OPJ a été condamné par le tribunal correctionnel (Libération, 27 Mars 1997)
  • Préfecture de Paris, 1996VIOL EN RETENTION – un policier est condamné pour le viol d’une femme en situation de rétention administrative à la préfecture de police de Paris. (Source Libération 12 Septembre 1998).
  • Commissariat de Nîmes, 1998VIOL COMMISSARIAT – un lieutenant de police viole une femme dans les locaux de son service. (Source Le Journal du Dimanche 27 septembre 1998).
  • Rétention administrative, Nanterre, 1998AGRESSION SEXUELLE EN RETENTION ADMINISTRTATIVE – Quatre policiers font irruption dans la chambre d’une femme d’origine Marocaine, un d’entre eux se mabsturbe devant elle pendant que les trois autres se livrent à des attouchements et du harcélement sexuels qui dureront une heure. (Source Libération 28 Septembre 1998)
  • Commissariat d’Arpajon, 1998AGRESSIONS SEXUELLES EN GARDE-A-VUE – un commandant de police agresse sexuellement plusieurs hommes détenus sous sa responsabilité. (Source Libération 9 Novembre 1998, Le Monde 10 Novembre 1998)
  • Commissariat de Paris, 1999VIOL COLLECTIF EN CELLULE DE DEGRISEMENT – une femme est violée et torturée pendant 4 heures par quatre CRS dans une cellule de dégrisement (Source Libération 24 Mai 2000)
  • Prison de Fleury-Mérogis, 1999VIOLS EN PRISON – Trois surveillants pénitentiaires étaient condamnés pour des viols répétés sur les personnes trans incarcérées au D3 de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis.
  • 2000 – VIOL EN GARDE-A-VUE – Un policier est poursuivi pour avoir violé une jeune femme zaïroise alors qu’elle était placée en garde-à-vue. (Source : Bulletin Que fait la police ? de Maurice Rasjfus)
  • Commissariat de Marseille, 2008VIOL EN GARDE-A-VUE – Un policier de Marseille est poursuivi pour avoir violé une femme alors qu’elle était placée en garde-à-vue.
  • Commissariat de Mantes, 2012 VIOL EN GARDE-A-VUE – Un brigadier de police en poste à Mantes-la-Jolie est poursuivi pour avoir violé une femme de 45 ans retenue en cellule de dégrisement au commissariat de Mantes.
  • Prison de Meaux, 2017 – VIOL EN PRISON – Trois surveillants sont poursuivis pour avoir violé avec une matraque une personne détenue à la prison de Meaux, suite à une immobilisation pour « tentative de rebellion ».
  • Commissariat de Lyon, 2019 – AGRESSION SEXUELLE SUR MINEUR – Un capitaine de Police travaillant à la Direction départementale de la sécurité publique du Rhône est poursuivi pour agression et harcèlement sexuel sur un jeune mineur. Il a convoqué le mineur sur son lieu de travail avant de l’agresser. Une information judiciaire a été ouverte en juillet 2020. 
  • CRA du Mesnil Amelot, 2020AGRESSIONS SEXUELLES EN CRA – Le collectif « A bas les CRA » publiait plusieurs témoignages de fouilles à nu et d’agressions sexuelles au Centre de Rétention Administrative du Mesnil Amelot.

Au delà des violences commises par les gardiens, il y a les violences symboliques commises par l’administration pénitentiaire, qui aboutissent bien souvent sur des violences physiques de la part de co-détenus. C’est notamment le cas pour les femmes transgenre incarcérées avec des hommes, faute d’avoir pu changer d’état civil. Femmes enfermées avec des hommes, contrôlées et fouillées à nu par des matons hommes, elles subissent leur incarcération à l’isolement sous couvert de « protection ». En témoigne le cas de Jennifer, placée en détention provisoire depuis juin 2020 à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysse pour des faits d’homicide volontaire sur un homme qu’elle accuse de viol, ainsi que celui de Chloë, révélé dans un article de Libération du 19 février 2010.

Il serait indispensable de mener une enquête exhaustive sur les violences sexistes et sexuelles commises dans l’ensemble des différents les lieux d’enfermements tels que les Centres de Rétention Administrative (CRA), les Centres Educatifs Fermés (CEF), les Hôpitaux Psychiatriques (HP) ou les Infirmeries Psychiatriques des Préfectures de Police (I3P ou IPPP), si l’on voulait pouvoir dessiner un paysage complet des violences institutionnelles sous l’égide des Ministères de la Justice et de l’Intérieur. 

Autonomie et abolitionnisme : s’affranchir des forces de l’Ordre face aux agressions sexistes

 

« En général, le recours à la justice pénale pour les violences faites aux femmes est peu contesté. Certaines associations qui accompagnent les victimes se gardent bien de se mêler de leur décision d’engager ou non des procédures judiciaires, mais la plupart les encouragent à le faire. Même à l’extrême gauche, où sont développées des critiques radicales de l’État, le recours au pénal ou à des institutions étatiques (par exemple : saisie de la « police des polices ») est rarement l’objet de débats en cas de violences policières ou fascistes. Audre Lorde, souvent citée, n’est curieusement pas convoquée au sujet du système judiciaire : « les outils du maître ne détruiront pas la maison du maître. »
Gwenola Ricordeau, Pour elles toutes, 2019

La police viole, c’est un fait, et les viols sont considérés comme l’un des outils punitifs de la gamme mise à disposition des forces de l’ordre, mais aussi comme le moment ultime de l’assise d’un pouvoir d’une personne sur une autre. La violence passe par le corps, le pénètre pour le détruire. 

Il n’est pas question de porter un jugement à l’encontre des personnes pour qui la reconnaissance du statut de victime est un préalable nécessaire au dépassement de l’acte subit, néanmoins il est indispensable de réfléchir à d’autres formes d’autonomisation de nos luttes, afin de s’affranchir du système pénal et carcéral dans le traitement de ces affaires.

À l’heure où les féministes institutionnelles en appellent à une meilleure formation du corps policier dans le traitement des violences faites aux femmes, nous affirmons que les femmes présentes dans ces institutions sont complices (celles qui ne le sont pas les quittent) et qu’il est vital de construire nos rapports sur la confiance mutuelle, de garder en ligne de mire l’abolition de la police et de la prison comme objectifs politiques, tout en élaborant les possibilités et moyens de s’organiser sans elles, de construire des alternatives concrètes.

Nous ne sommes pas égales face à la violence. On pourrait sortir toute une série de chiffres à l’appui pour vous affirmer ce que tout le monde sait déjà :

Les hommes violent les femmes

Les hommes violent les hommes

Les hommes violent les personnes trans

Les hommes violent des enfants

Les hommes tabassent les femmes

Les hommes se tapent entre eux

Les flics et les matons sont majoritairement des hommes

À ce titre, ils ne peuvent être exempts des rapports de domination, du sexisme et de la violence. Au contraire, elle est exacerbée par l’uniforme, l’effet de groupe et l’impunité.

Cette violence patriarcale est systémique et les violences policières le sont tout autant.

Alors pourquoi nous demande t’on d’accorder notre récit et notre confiance à une institution qui, intrinsèquement, nous oppresse ?

 

Nota Bene : Un article à venir traitera de la question de l’abolition de la police et du système carcéral.

 

Quelques liens d’articles, de livres et de brochures pour s’affranchir des forces de l’Ordre dans nos luttes :

 

  • Gwenola Ricordeau, Pour elles toutes, 2019, LUX
  • La Caisse de solidarité de Lyon, Pas de recettes miracles – perspectives extra judiciaire , Rebellyon.info
  • Chi-Chi SHI, “La souffrance individuelle (et collective) est-elle un critère politique ?”, revue Période (dispo sur internet)
  • Jack (Judith) Halberstam, « Tu me fais violence ! » La rhétorique néolibérale de la blessure, du danger et du traumatisme, dans Vacarme, n°72 (consultable en ligne)
  • La brochure Paranormal Tabou (qui contient : Le féminisme du ressenti, et Safety is an illusion), sur infokiosques.net
  • La brochure “Premiers pas sur une corde raide” (infokiosques.net)
  • Que se déchaînent les victimes” (décembre 2018) et “Le néolibéralisme c’est trigger” (janvier 2017), émissions de radio de : On est pas des cadeaux ! (dispo en ligne sur leur blog)
  • Maya Dukmasova, “Tout le monde peut se passer de la police, organisations communautaires pour abolir la police à Chicago”, in Jefklak, janvier 2017 (dispo en ligne)
  • Elsa Dorlin, Se défendre, une philosophie de la violence (la partie : Autodéfense et politique de la rage)
  • Bell Hooks, Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme, 1981 (traduction française 2015, Cambourakis)
  • “Défaire le radicalisme rigide”, IAATA, janvier 2019 (dispo ici)
  • Jour après jour : violences entre proches, apporter du soutien et changer les choses collectivement”, 2016, brochure dispo sur infokiosques.net
  • Laurence Ingenito et Geneviève Pagé, “Entre justice pour les victimes et transformation des communautés : des alternatives à la police qui épuisent les féministes”, Mouvements, n°92, p. 62-75 (dispo sur Internet)
  • L’abolitionnisme pénal : une lutte féministe ? Entretien avec Gwenola Ricordeau, autour du livre Pour elles toutes. Femmes contre la prison.” sur contretemps.eu (novembre 2019)
  • La justice : la connaître, y faire face, vivre sans”, 2018, disponible sur https://facealajustice.wordpress.com 
  • Victoire Tuaillon / Binge Audio, “Qui sont les violeurs ?”, Les couilles sur la table #18, (disponible en ligne)
  • Aurore Koechlin, Quelle stratégie pour le mouvement féministe ?, extrait de La révolution féministe, éd. Amsterdam, 2019.