Crédit photo : Guillaume Cazenave-Lacrouts /
Le 18 décembre 2018, Lola prenait part à une manifestation à Biarritz pour s’opposer à l’organisation du G7 au mois d’août suivant. Alors que les forces de l’ordre acculaient un peu moins de cent manifestant-es vers le bord de mer, un homme jetait une crotte de chien en direction des policiers, avant de s’en retourner. Geste potache effectué dans une ambiance plus que tranquille. Inutile de préciser par ailleurs que la crotte molle n’occasionna aucune blessure aux policiers.
Néanmoins, l’agent de la BAC Sébastien Maréchal jugea utile de mettre en joue son fusil lance-grenades GL-06 (arme de fabrication suisse que l’Etat français a choisi d’affubler de l’euphémisme “Lanceur de Balles de Défense”) pour tirer dans le dos du fuyard, arrachant finalement la moitié de la bouche de Lola qui se trouvait alors au même niveau que celui-ci, c’est à dire à 35 mètres de distance du tireur.
Légitime défense ? Non : il y a absence de menace, le plaisantin lanceur d’excréments est en train de s’éloigner et le tir n’est pas simultané.
Proportionnalité ? Non plus : le policier a recours à une arme de guerre (catégorie A1) face à des personnes désarmées et non menaçantes, dans un contexte sans tension. Excréments versus balle de gomme propulsée à 340 km/h avec une puissance de 220 joules, on est bien loin du principe de riposte graduée.
Imprécision de l’arme ? Toujours pas : les expertises balistiques effectuées dans le cadre d’autres affaires de violences policières avec arme attestent d’une marge d’erreur maximale de 12 centimètres à 30 mètres de distance.
Responsabilité pénale du policier ? Oui, évidemment. Quand on est détenteur d’une arme de ce type, les caractéristiques techniques de celle-ci impliquent l’initiative individuelle et l’appréciation du seul tireur. La chaîne hiérarchique n’intervient pas dans le processus de décision du policier.
Pourtant, Sébastien Maréchal ne sera pas jugé.
Ce 26 juin 2020 à Bayonne, il est simplement convié au tribunal pour un « petit arrangement entre amis ». Le procureur de Bayonne l’a en effet convoqué pour un entretien à huis clos au cours duquel il lui est proposé d’accepter une tape sur la fesse : 90 jours amendes de 15 euros par jour. Soit 1350 euros pour avoir défiguré une personne de 19 ans pour le restant de ses jours, avec les traumatisme évident que cela constitue. La partie civile n’est bien sûr pas conviée à ce tête-à-tête qu’on imagine tout à fait cordial. Ce simulacre de justice, institué par une loi sarkozyste de 2004 s’intitule « Comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité » (CRPC).
La CRPC, en temps normal, ne s’applique pas aux crimes, aux contraventions, ainsi qu’aux délits suivants :
– Infractions punies par une peine de prison de plus de 5 ans (violences, menaces, agressions sexuelles et blessures pour homicides involontaires)
– délits de presse
– délits politiques (participation à une manifestation non autorisée…)
Mais nous ne sommes pas en temps normal et les violences avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique ne semblent pas être considérées par le Parquet et le Tribunal de Bayonne comme entrant dans cette catégorie. Allez, on peut se le permettre : « What the Fuck ?! »
Il existe pourtant au moins un précédent, celui concernant Monji Essanaa, 54 ans, tabassé à coups de matraque par un policier le 26 mai 2016 à Caen à l’occasion d’une manifestation contre la Loi Travail. Victime d’un décollement de la plèvre (12 jours d’arrêt de travail) et d’un préjudice psychologique important, il réclamait 30 000 euros de dommages et intérêts. Lors d’une audience en CRPC en septembre 2016, le policier a reconnu sa culpabilité et écopé de 2 mois de prison avec surcis. Cette peine ridicule n’ayant pas été inscrite au casier judiciaire, c’est comme si elle n’avait jamais existé… Le préjudice a pour sa part été évalué à 786 euros en octobre 2018.
A l’issue de l’entrevue avec le Procureur, et si le mis en cause accepte de « plaider coupable », s’ensuit une audience dite d’homologation au cours de laquelle le juge valide ou non le petit arrangement. Il faut dire ce qui est : dans cette affaire, le juge judiciaire qui accepte le deal vend son âme au diable, court-circuitant tout débat contradictoire et dépossédant la partie civile, donc la victime, de toute possibilité d’engager un débat sur les faits et le fond. Pire, il la prive de toute possibilité de contester la peine prononcée par… le procureur. Le procureur ne se présente d’ailleurs pas à l’audience d’homologation qui suit (1)
Au cours de cette mise en scène, Sébastien Maréchal a émis le souhait d’adresser quelques mots de regrets à la personne qu’il a mutilé. On ne doute pas que l’avocat, Me Guillaume Sapata (2), et peut-être même le Procureur, lui ont suggéré de le faire à grand renfort de tapes dans le dos : « Allez, ça ne te coûte rien, c’est le prix à payer pour ne pas aller en correctionnelle ! Tu lui fais tes excuses et c’est réglé ». Résultat : le policier sort lavé de tout soupçon et sa victime est présentée comme un « dommage collatéral ». Le bon flic peut rentrer chez lui, embrasser ses enfants sans honte et reprendre son LBD le jour suivant…
Les intérêts civils, à savoir le montant de l’indemnisation octroyée à la victime par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (ou FGTI), feront l’objet d’une audience ultérieure. Il n’est pas inutile de préciser que ce fonds d’indemnisation est alimenté par des cotisations sur nos contrats d’assurance, ce qui signifie que ni le policier ni l’État ne va dédommager la victime, mais… nous ! (3) Et pour ce qui est des 1350 euros d’amende demandés au policier, ils ne vont ni à ce fonds ni à Lola, mais au Trésor Public.
A la fin de l’audience, les représentants du syndicat droitard Alliance ont félicité et raccompagné leur avocat pour ses loyaux services, avant de remonter dans leur voiture immatriculée 75, Olivier Hourcau (le chef adjoint du syndicat) ne se privant pas au passage de dire aux journalistes : « on n’est pas là pour remettre en cause les techniques et les doctrines d’emploi du maintien de l’ordre« . C’est très clair : on ne parlera pas du fait qu’un policier a mutilé une jeune femme avec une arme de guerre… Action de com’ réussie.
Désarmons-les !, sans être dupe du jeu malsain joué par le ministère de l’intérieur, les syndicats policiers et leurs alliés au Parquet, ni de l’adhésion voire de la lâcheté des magistrats du siège, dénonce l’utilisation de la CRPC dans le but évident de garantir l’impunité aux policiers auteurs de violences.
Afin que ce type de “réponse judiciaire” ne constitue pas un précédent, nous incitons les avocat-es à refuser toutes les audiences d’homologation et à plaider systématiquement pour l’annulation de ces audiences iniques, qui participent du traumatisme vécu par les victimes, en les privant de toute possibilité de rétablir publiquement les faits qui ont amené à détruire leur vie. La réparation ne passe pas que par l’attribution d’un chèque, mais également par le rétablissement de la vérité et la suspension définitive de tous les policiers auteurs de « négligences » ayant entraîné des mutilations. Qu’ils retournent à la vie civile et soient privés de port d’armes, et tiens, pourquoi pas aussi de leurs droits civiques ! (bien qu’on soit abstentionnistes, dans un certain nombre de cas cela fera toujours moins de votes pour l’extrême-droite)
Distributions de bonbons et tapes sur la fesse des policiers ne nous suffiront pas !
Désarmement, désinvestissement et abolition de la police !
Nous adressons tout notre soutien à Lola, qui a été très affectée par cette affaire et a exprimé néanmoins son soulagement par rapport au fait que le policier aie eu à regretter publiquement son geste.
1. Le rapport du Sénat sur la publicité de l’audience et la présence du Parquet justifie son absence par l’argumentaire suivant, qui en dit long sur la logique d’abattage qui sous-tend la mise en place d’une CRPC : “En effet, en premier lieu, la participation systématique du procureur de la République allongerait le temps consacré par le ministère public à cette procédure. En outre, dans la mesure où elle conduirait à réunir tous les « acteurs » habituels d’un procès classique, elle risquerait également de donner prise à l’ouverture d’un véritable débat contrairement à l’objectif poursuivi. Dès lors, la durée de la procédure serait considérablement allongée sans qu’aucune valeur ajoutée puisse en être attendue puisque l’audience d’homologation répliquerait la comparution devant le procureur.”
2. L’avocat Guillaume Sapata, inscrit au barreau de Bordeaux, est spécialiste en droit des assurances et de la responsabilité civile. Autant dire que le droit pénal n’est pas vraiment son truc, ce qui est plutôt pratique pour un non-procès.
3. Rappelons également la participation au Conseil d’administration du FGTI de Pascale Léglise, sous-directrice du Conseil juridique et du contentieux, adjointe au directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur (DLPAJ) : https://www.fondsdegarantie.fr/fgti/conseil-administration/. Elle est cette personne omnipotente qui signe un certain nombre de mesures administratives telles que les assignations à résidences, avant de venir justifier ces mesures devant le Tribunal administratif en cas de référé contre celles-ci, mais a aussi plaidé pour l’usage du LBD devant le Tribunal administratif de Paris le 24 janvier 2019 : https://desarmons.net/2019/01/25/retranscription-de-laudience-au-tribunal-administratif-contre-les-lanceurs-de-balles-de-defense-24-janvier-2019/. Vous avez dit “conflits d’intérêts” ?