Nous avons été informé-es dés samedi 2 mai par plusieurs sources connaissant de près ou de loin Romain B., 31 ans, que celui-ci était mort entre les mains de la police, sans que les circonstances ne soient très claires. Pour autant, nous avions les éléments suivants : Romain avait choisi de rester confiné dans l’appartement d’une amie, en Seine Saint Denis. Les premières informations reçues parlaient d’un appel pour « tapage » de la concierge, ou peut-être de voisin-es, d’un passage à l’hôpital, puis d’un placement en garde-à-vue, au cours duquel Romain serait mort en cellule dans la nuit du 1er au 2. On nous a d’abord parlé d’une « garde-à-vue » et non d’une mesure de dégrisement.
En réalité, Romain n’est pas mort dans la nuit du 1er au 2 mai, mais dans la nuit du 30 avril au 1er mai.
Si nous n’avons pas eu un contact direct avec la famille, ce qui est tout à fait compréhensible du fait qu’ils sont évidemment profondément affecté par ce qui vient d’arriver et certainement sous le choc, nos réseaux nous amènent néanmoins à être régulièrement parmi les premier-es informe-es lorsque quelqu’un décède entre les mains de la police. Nous considérons également que les premières déclarations du Parquet ne font pas davantage foi que les hypothèses formulées par les proches ou soutiens des victimes. Néanmoins, nous ne voulions pas prendre d’initiative avant la communication de la mort par les proches de Romain.
Ce 3 mai, nous avons donc attendu que des proches de Romain confirment sa mort, ce qu’a fait son groupe de musique dans un commentaire public sur sa page Facebook, La Goache Family :
Chers amis,
Comme vous le savez surement, notre Boubaflex national nous a quitté.
Ce poste a pour but d’éclaircir la situation, et de couper court à toute rumeur , ou « telephone arabe ».
Romain aurait été conduit en garde à vue , (j’imagine pour nuisances ) , sur l’appel des voisins de l’appartement dans lequel il était hébergé , en Seine Saint-Denis.
Les serrures de celui-ci, avaient était changées par le prioritaire, avec ses affaires a l’intérieur.
Au commissariat, ne se sentant pas bien, il aurait été consulté par un médecin, qui aurait attesté qu’il était « apte » à être gardé a vue.
Apres 48h, nous apprenons que Romain est décédé dans sa cellule de dégrisement, sans plus de precisions sur les motifs du décès.
Le procureur a demandé une enquête de L’OPJ (Officié de Police Judiciaire, interne au commissariat), pour éclaircir les circonstances du décès de notre ami ,c’est la procedure habituelle, (on se doute du résultat).
La famille de Romain a entamé les procédures pour qu’une enquête judiciaire sérieuse soit menée, une autopsie faite, et une plainte contre X pour homicide involontaire à été posée.
Nous espérons pouvoir nous réunir bientôt pour rendre un hommage « A 2000!!! » a notre champion!
Bisous, force, groove et courage à vous!!!!
Ce n’est qu’après l’officialisation de cette triste nouvelle que nous nous sommes permis de publier cet article à ce sujet.
Se sont posées alors immédiatement les questions suivantes :
- Dans quelles circonstances s’est passée l’interpellation de Romain ? Peut-on attester qu’elle s’est déroulée sans altercation ou sans violences de la part des policiers ? Y a-t-il des témoins ?
- Romain a-t-il été réellement transporté à l’hôpital dans un premier temps ? Le cas échéant, pour quelle raison ?
- Romain a-t-il été réellement placé en garde-à-vue (ou en dégrisement) ? Le cas échéant, pour quel motif, le « tapage » étant un délit contraventionnel ne justifiant pas un placement en GAV ?
- Romain est-il mort en cellule sans que personne ne s’en aperçoive ? Le cas échéant, peut-on établir s’il a tenté d’appeler à l’aide alors qu’il se sentait mal en cellule ?
- Pour quelle raison son état de santé a-t-il été jugé « compatible avec une mesure de privation de liberté » ?
Notre article, comme tous les autres, n’affirme rien, mais émet seulement des hypothèses légitimes lorsqu’une personne meurt aux mains des policiers, en utilisant le conditionnel et en faisant bien intention de n’incriminer personne de prime abord, ni même les policiers.
Ce qu’il faut retenir
Encore une fois, la rencontre entre la police est un jeune homme en bonne santé lui aura été fatale. Etant le neuvième mort pour avoir croisé le chemin de la police en deux mois, il est légitime de se demander ce qu’il s’est réellement passé dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2020 dans les locaux de police de Saint Denis, sous la responsabilité du commissaire Laurent Mercier (voir articles 1 et 2).
S’il s’avère que Romain était en cellule de dégrisement, peut-être serait-il temps d’arrêter d’enfermer dans des cellules des personnes qui ont juste trop bu et ne présentent aucune menace, leur meilleur destination étant leur propre lit ou un service de santé.
Encore une fois, les premiers actes de l’enquête sont confiés aux policiers du commissariat de Saint Denis où la victime est morte, ce qui est proprement scandaleux.
Nous espérons que le corps sera conservé le temps d’effectuer des expertises médico-légales sérieuses, autopsie qui devrait pouvoir être réalisée sous le contrôle des proches de la victime.
Nous espérons également que l’avocat-e choisi-e par les proches de Romain les informera des avancées de l’enquête et les associera pleinement dans les choix stratégiques faits dans le cadre de la procédure judiciaire.
Désarmons-les milite pour que des enquêtes totalement indépendantes puissent être menées, par des personnes n’appartenant pas à l’institution policière et également sous le contrôle des proches des victimes. L’objectif principal de ces enquêtes n’étant pas de fournir des éléments à un dossier de justice, mais à faire la lumière sur les faits afin que les proches puissent savoir ce qu’il s’est passé, en tout transparence.
Désarmons-les s’associe à la douleur des proches de Romain et se met à leur disposition si besoin pour tout soutien matériel, juridique, psychologique ou politique.
Mise au point que nous aurions préféré ne pas avoir à faire
Pour une fois, la Préfecture, le Parquet et le Parisien (les « 3P ») n’ont pas eu le temps de sortir la thèse policière avant que l’information de la mort de Romain ne soient rendue publique. Par expérience, nous savons combien les premières publications de la presse déshumanisent la victime et mettent en avant des éléments qui l’incriminent davantage qu’ils ne pose la question des circonstances du drame. Cette médiatisation à charge est et sera toujours déterminante dans la conscience collective, mais emportera aussi la conviction des juges en charge de l’enquête. Les premiers mensonges seront ceux qui justifieront le non-lieu.
Nos craintes étaient légitimes, puisque Le Parisien a finalement publié son article ce 3 mai à 16 heures qui, sans surprise, se contente de servir la version du Parquet, sans s’interroger sur les circonstances du décès de Romain.
Il reprend l’affirmation de « l’état d’ivresse manifeste »et avance que Romain aurait été « admis en cellule de dégrisement, son état ne permettant pas un placement en garde à vue ». Il ne vient pas à l’idée de la journaliste du Parisien que l’ivresse manifeste n’est en aucun cas un motif de placement en garde-à-vue, mais d’une mesure de dégrisement assortie d’une contravention.
Par ailleurs, Le Parisien profite de l’occasion pour tâcler notre collectif, affirmant de manière mensongère qu’il « entend « lutter contre les violences d’Etat » » et que la famille serait « en désaccord avec les termes du communiqué ». Notre collectif « n’entend pas lutter », il lutte depuis de nombreuses années auprès de victimes de violences d’Etat, contrairement aux journalistes du Parisien, et par ailleurs la famille n’était pas en désaccord avec notre article, qui n’était pas un « communiqué », mais s’inquiétait très probablement des conséquences possibles sur la suite de la procédure. Le fait d’informer sur la mort d’une personne et d’émettre des hypothèses crédibles sans n’incriminer personne ne peut influer sur la version du Parquet. Par contre, les informations fournies par la préfecture et le Parquet aux journalistes de préfecture peuvent influer sur la conviction des juges.
Il est très difficile pour nous d’accepter que notre engagement depuis des années auprès des familles de victimes, et l’expertise que nous en tirons, ne bénéficie pas de cette même confiance, mais nous devons l’accepter. Nous croyons pourtant que seule cette confiance, et les concertations sensibles (nous privilégions l’accompagnement psychologique à la stratégie médiatique) qui accompagnent notre action, permettent de faire les bons choix en terme de stratégie judiciaire, pour la manifestation de la vérité.
Des proches, et non la famille elle-même, nous ont d’abord demandé de retirer notre article, ce que nous avions fait dans un premier temps. Mais étant donné que l’information est désormais « officialisée » par la presse, nous avons choisi de réintégrer nos hypothèses initiales dans le corps de l’article.