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En février 2020 un atelier d’échanges a eu lieu à Montreuil, organisé par des membres de l’Assemblée des blessé-e-s et de la Coordination antirep de Paris, sur la question de porter plainte contre des policiers agresseurs, que ce soit lors d’interpellations sur son lieu de vie ou pendant des manifestations dans l’espace public.

La question est d’abord de savoir s’il est vraiment pertinent de porter plainte contre la police. Ce que cela implique, humainement comme juridiquement, de se lancer dans un bras de fer avec l’autorité qui vous a elle-même brutalisé. Savoir peser le pour et le contre, sachant que les services à qui la justice confiera l’enquête sont des policiers ou des gendarmes (les “inspections générales” des deux corps, appelées IGPN ou IGGN, les “bœuf-carottes” en langage de flics), que ces officiers de police judiciaire savent très bien comment incriminer et discréditer les victimes pour couvrir leurs collègues…

Porter plainte en justice contre la police n’est pas la seule riposte possible. Mais il est utile de rappeler à quoi on doit s’attendre quand on décide de s’engager dans un tel combat. Dans le cadre de cet atelier a été produit le schéma ci-dessous (ici en taille A4 au format PDF) qui permet de visualiser les étapes des différents parcours judiciaires possibles — la plainte pénale contre les policiers (en tant que personne), la plainte contre l’État (en tant que garant de votre sécurité dans l’espace public) –, comment obtenir réparation (dommages & intérêts), tout en insistant sur l’importance de se constituer, dès les premiers instants, son propre dossier médical, qui ira compléter celui qui sera établi par la médecine légale.

L’Assemblée des blessé-e-s a déjà publié en décembre 2018 un document très détaillé sur tous les conseils à connaître après avoir subi la violence des flics. Les conseils qui suivent concernent plus spécifiquement la police des polices : comment se préparer à un interrogatoire (“audition”) avec l’IGPN/IGGN, quelles sont les attitudes à adopter et les pièges à éviter lorsque l’on s’apprête à être reçu et entendu par ces services spécialisés. La situation est plus délicate si votre plainte concerne des violences policières commises lors d’un contrôle d’identité, une arrestation ou une garde à vue, et qu’après ces faits un procès vous pend au nez. L’IGPN cherchera toujours à démontrer que la violence des flics est la conséquence de votre comportement… Inversement, porter plainte pour violence policière peut apporter des éléments essentiels pour démontrer que l’arrestation ou la garde à vue était injustifiées ou entachées de nullités.

Ce que veut dire « porter plainte au pénal »

Si vous souhaitez poursuivre le(s) policier(s) qui vous ont agressé, vous devez porter plainte au pénal, ce qui vous conduira sans doute à devoir passer par la case IGPN, la soi-disant « police des polices ». Indépendamment du résultat judiciaire (souvent couru d’avance, on est d’accord…), la plainte pénale permet d’obtenir des éléments d’enquête et des expertises que vous pourriez avoir du mal à obtenir autrement : saisie des PV de tirs, auditions de policiers, citations de témoins, réquisitions d’images de vidéosurveillance, expertises médicales et balistiques, et, pour les flics suspectés, certificat d’habilitation au tir et attestations de formation…

Constituer les preuves immédiatement après la blessure

• Garder les vêtements endommagés qui pourront servir à l’enquête
• Faire établir un certificat médical, le plus précis et détaillé possible, mentionnant le nombre de jours d’ITT (Incapacité Totale de Travail), même si les ITT légales seront établies par les UMJ (médecine légale), vers qui vous enverra l’IGPN
• En cas de chirurgie, demander à ce que le chirurgien cette fois fasse un certificat de constat des lésions avant opération
• Faire réaliser des attestations aux personnes témoins de l’agression (attention au choix du/des témoin-s)
• Prendre régulièrement des photos des blessures, en les datant avec précision…

Se préparer à recevoir l’IGPN… dans sa chambre d’hosto !

ATTENTION — En cas de blessure(s) grave(s), l’IGPN/IGGN peut être saisie directement par le procureur. Si vous êtes hospitalisé·e et sous médicaments (anesthésie, morphine, etc.), vous n’êtes pas en condition de répondre à l’audition que l’IGPN voudra vous imposer. Dans ce cas-là, n’hésitez pas à demander à votre médecin de faire une attestation en indiquant que votre état de santé ne permet pas de vous soumettre à un tel interrogatoire.

Témoignage d’une personne mutilée : « Pour raconter 30 minutes de ma présence le jour J sur la place où j’ai été blessé, il a fallu 4h30 de déposition, plus le temps de rédaction et d’impression du PV, tout ça dans ma chambre d’hôpital ! C’était interminable ». Même calvaire pour un jeune garçon mutilé, d’à peine 16ans. A l’hosto, demandez donc de reporter l’audition. Si elle a lieu quand même, la personne ou ses proches doivent demander aux médecins d’attester de la prise de médocs…

Se préparer à une audition avec l’IGPN

Vous recevez une convocation pour être entendu·e par des officiers de l’inspection de la police nationale ..?

Avant l’entretien

Même sans être hospitalisé, si le RDV à l’IGPN est trop rapproché de l’agression et que vous êtes encore sonné·e·s, demandez vous-même le report, ou faites intervenir un·e avocat·e.

Avant de vous rendre au RDV, décrire la chronologie des faits en mettant le récit par écrit. Pour ce faire, n’hésitez pas à vous faire aider par une personne de confiance.

Si l’agression s’est produite au cours d’une action (manif, piquets de grève, blocages, …) ne pas donner des informations pouvant incriminer d’autres personnes.

Les personnes pouvant témoigner seront nécessairement dans le viseur des flics, privilégier celles présentes au moment des faits mais en tant qu’observateurs…

Pendant…

Ne pas donner de détails qui pourraient être soit inutiles, soit récupérés par les flics. Contentez-vous de décrire les faits qui ont causé les blessures, ne vous étendez pas sur les conditions et le contexte. Garder patience, ils sont là pour vous faire craquer, pour vous faire perdre le fil de l’histoire, et vous faire dire que vous étiez là forcément « pour en découdre »… Chaque mot compte, chaque phrase est remise en question, les interrogations et interro-négations fusent du début jusqu’à la fin, il faut se justifier sur tout !

Et après…

Rendez-vous aux Unités Médico-Légales (UMJ) pour le calcul des ITT physiques et psychologiques, sous contrôle de la PJ.

Vous pouvez faire une réclamation auprès du Défenseur des Droits. Organe consultatif ; non contraignant. Toutefois tout avis du Défenseur des droits peut alimenter les autres dossiers judiciaires.

Restez focalisé·e sur l’objectif de la plainte

  • ATTENTION — si vous avez été blessé-e lors de l’arrestation ou en garde à vue, et qu’un procès vous pend au nez : l’IGPN cherchera à vous cuisiner sur cette affaire ; restez-en aux seuls faits ayant causé les blessures.
  • Décrivez comment l’agression a impacté votre vie du fait des lésions physiques ou psychiques que les policier(s) ou gendarme(s) vous ont infligées.
  • Donner toute information permettant d’identifier le(s) policier(s)/gendarme(s) agresseur(s) : lieu et heure des faits, description physique des agents (casques, uniformes, n° des unités), et si possible, mais ultra rare, les n° de matricule (RIO).
  • Décrivez comment le(s) policier(s) vous ont agressé. Il s’agit de démontrer que la responsabilité personnelle du policier/gendarme est engagée et que le tir ou agression à votre encontre est disproportionné au regard de la situation de danger dans laquelle il(s) se trouvait au moment des faits. Il s’agit d’expliquer que votre blessure a été occasionnée par une arme de police, d’établir que le policier qui vous a blessé n’était pas menacé et/ou d’établir qu’aucun policier présent n’était menacé ou ne pouvait se sentir menacé par vous.
  • Concernant les questions de personnalité, leur objectif est de faire basculer votre position de victime à coupable. Omettez donc tout élément pouvant vous montrer comme quelqu’un d’agressif, instable, impulsif, « pas adapté à la société » ou venant d’une « famille à problèmes »…
  • Procès verbaux (PV) à relire et faire relire si accompagné, avant de le signer.

Téléchargez un document PDF qui rassemble les conseils et le schéma. Consultez aussi notre brochure générale “Conseils aux bléssé-es et leurs proches” qui récapitule tous ces conseils juridiques (sur cette page).

Assemblée des blessés : compte FB et contact mail : assemblee-blesses(at)riseup.net