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Dans une revue médicale suisse intitulée “Asphyxie positionnelle : une cause de décès insuffisamment connue” , les docteurs Schrag, De Froidmont et Del Mar Lesta décrivent la chose ainsi :

L’asphyxie positionnelle (AP) est une entité fatale consistant en une entrave mécanique des mouvements respiratoires, due à la position du corps. Les conséquences en sont une hypoven­tilation alvéolaire importante et, le cas échéant, une hyperexcitabilité cardiaque. Cette dernière se produit en raison d’une acidose respiratoire associée à une libération massive de ca­técholamines lorsqu’un individu est entravé et soumis à une contrainte physique. Ainsi, ce syndrome, qui peut se produire lors de diverses circonstances, est surtout observé lors de con­traintes physiques et en association avec un Excited delirium (ED). Le diagnostic de l’AP se base essentiellement sur trois critères : une position corporelle entravant l’échange normal de gaz, l’impossibilité de se libérer de cette position et l’exclusion d’autres causes possibles de décès.

Dans cet article, il est question de la technique du plaquage ventral, souvent accompagné d’une entrave des mains (menottes ou serflex) et d’un repli des jambes vers les fessiers (parfois entravées par des menottes ou une ceinture de contention). La technique est appelée “hog-tied position”.

Un autre article intitulé “Death from law enforcement neck holds” (Mort par clé d’étranglement en maintien de l’ordre) publié en 1982 par les docteurs T. Reay et W. Eisele dans la revue médicale américaine “The American Journal of Forensic Medicine and Pathology” décrit très précisément le processus par lequel certaines techniques d’interpellation utilisées par la police entraînent la mort des personnes qui la subissent, et notamment la clé d’étranglement :

Dés les premières lignes de l’article, il est précisé que “Généralement, les services de police n’enseignent pas et même condamnent l’usage de la clé d’étranglement en raison des lésions possibles pour les voies respiratoires”. Sa conclusion est sans appel : “Les clés d’étranglement doivent être considérées comme potentiellement létales en toutes circonstances […] L’usage de la clé d’étranglement doit être placée au même niveau que l’usage des armes ; la potentialité d’une issue fatale est présente à chaque fois qu’une clé d’étranglement est appliquée et à chaque fois qu’une arme est brandie hors de son holster”

Interdiction du pliage, mais maintien de la clef d’étranglement

Suite à la mort de Ricardo Barrientos en décembre 2002 et celui de Mariame Getu Hagos en janvier 2003 lors de leur expulsion, la France décidait d’encadrer par des directives internes l’usage ces techniques d’immobilisation mortelles, notamment par une note de la Direction Générale de la Police Nationale (DGPN) du 31 janvier 2003 intitulée “Instruction relative à l’éloignement par voie aérienne des étrangers en situation irrégulière”.

Cette note vise une meilleure efficacité des politiques d’expulsion et une professionnalisation des unités d’escorte, passant par un enseignement des fameux “Gestes Techniques et Professionnels en Intervention” (GTPI). En annexe de cette note, des instructions précisent comment ces méthodes doivent être employées :

“Le recours à la technique de contrainte et de régulation phonique [clef d’étranglement], dont la mise en œuvre de 3 à 5 secondes ne peut excéder 5 minutes, constitue l’ultime moyen à mettre en œuvre avant de constater un refus d’embarquement, un éloignement ne devant pas être exécuté à n’importe quel prix

[…]

“Afin de prévenir les risques médicaux dus à l’état d’excitation de l’éloigné et à son maintien dans l’avion, la pratique des gestes non réglementaires, notamment la compression du thorax, le pliage du tronc et le garotage des membres est strictement prohibée. A l’inverse, le policier escorteur veille à s’hydrater et faire boire régulièrement l’éloigné, à lui relâcher les sangles et à faire dégourdir toutes les heures les membres inférieurs”

Deux fiches techniques sont consacrées aux moyens de coercition à utiliser. L’une concerne la technique de “contrainte et de régulation phonique”. Cette technique consiste, pour le policier, à faire passer son bras derrière la nuque du reconduit pour revenir devant la gorge en saisissant le vêtement de ce dernier, tandis que le second bras vient fermer cette boucle ou cette “clef d’étranglement” sur la face latérale du cou et que le front de l’escorteur appuie sur la tempe de l’éloigné. Il est indiqué que cette technique déstabilise physiquement par la modification des repères sensoriels, diminue la résistance par les forces exercées sur la tête et le cou et réduit les capacités à crier par la régulation phonique, mais que les risques d’atteintes traumatiques sont la détresse ventilatoire et/ou circulatoire, la défaillance de l’organisme et le risque vital.

La France déjà condamnée

La France a été condamnée à deux reprises par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour l’utilisation de ces techniques.

En 2007, la France a été condamnée pour le décès de Mohamed Saoud due à un plaquage ventral. “La Cour constate que a été maintenu au sol pendant trente-cinq minutes dans une position susceptible d’entraîner la mort par asphyxie dite “posturale” ou “positionnelle”. Or, la Cour observe que cette forme d’immobilisation a été identifiée comme hautement dangereuse pour la vie, l’agitation dont fait preuve la victime étant la conséquence de la suffocation par l’effet de la pression exercée sur son corps.

En 2017, la France est de nouveau condamnée pour le décès de Mohamed Boukourou. La Cour note que M. Boukourou “a été maintenu sur le ventre, menotté à point fixe et avec trois policiers debout et pesant de tout leur poids sur les différentes parties de son corps. M.B., bien que placé dans une situation de vulnérabilité tant en raison de sa maladie psychiatrique que sa qualité de personne privée de liberté, a été littéralement foulé aux pieds par la police à l’intérieur du fourgon”. La cour “considère que ces gestes, violents, répétés et inefficaces, pratiqués sur une personne vulnérable, sont constitutifs d’une atteinte à la dignité humaine et atteignent un seuil de gravité les rendant incompatibles avec l’article 3 de la Convention”.

Le combat des familles

Le collectif Vies Volées, constitué par les proches de Lamine Dieng, mort des suites d’un plaquage ventral le 17 juin 2007, se bat depuis plusieurs années pour l’interdiction définitive de ces pratiques de tortures, rejoint dans ce combat par de nombreuses familles de personnes mortes des suites de l’utilisation de ces “gestes d’intervention”.

Dans ses publications, le collectif Vies Volées dresse une liste non exhaustive des victimes :

Depuis 1990, au moins 25 personnes sont décédées lors d’une intervention des forces de l’ordre après l’utilisation de ces techniques dites “non-létales”.

  • En avril 2020, Mohamed Gabsi, 34 ans, meurt après avoir subi un plaquage ventral à l’arrière d’un véhicule de police, avec un policier assis sur lui.
  •  En janvier 2020, Cédric Chouviat, 48 ans, meurt après avoir subi simultanément un plaquage ventral et une clé d’étranglement par trois policiers. L’autopsie révèle une “asphyxie avec rupture du larynx”.
  •  En 2016, Adama Traoré meurt le jour de ses 24 ans après avoir subi un plaquage ventral lors duquel il a pris le poids de trois gendarmes sur lui. Deux autopsies révèlent qu’il est mort d’un “syndrome asphyxique”. Une instruction a été ouverte.
  • En 2015, Amadou Koumé, 33 ans, meurt après avoir subi une clé d’étranglement lors d’une interpellation. L’autopsie révèle qu’il est mort d’un «œdème pulmonaire survenu dans un contexte d’asphyxie et de traumatismes facial et cervical». L’agent de la BAC qui a fait la clé d’étranglement est mis en examen pour violences volontaires ayant causé la mort sans intention de la donner.
  • En 2014, Abdelhak Goradia, 51 ans, décède lors d’une procédure de reconduite à la frontière dans un fourgon de police. L’autopsie pointe une “asphyxie par régurgitation gastrique”. Une information a été ouverte pour homicide involontaire.
  • En 2012, Abdelilah El Jabri, 25 ans, meurt après avoir été plaqué au sol par 4 agents de la BAC lors d’un contrôle. Une enquête est en cours.
  • En 2011, Serge Partouche, un homme de 28 ans atteint d’autisme, décède lors d’une interpellation après avoir été plaqué au sol avec un policier à genoux sur son dos. En 2014, trois policiers sont condamnés pour homicide involontaire à six mois de prison avec sursis.
  • En 2009, Mohamed Boukourou, 41 ans, meurt lors d’une interpellation durant laquelle il est maintenu sur le ventre, menotté, avec trois policiers debout pesant de tout leur poids sur les différentes parties de son corps. Un non-lieu a été prononcé en 2013, mais la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France dans cette affaire pour traitement inhumain et dégradant.
  • En 2009, Ali Ziri, 69 ans, meurt après avoir été maintenu en position de pliage dans un fourgon de police. L’autopsie révèle l’existence de 27 hématomes sur le corps d’Ali Ziri, et conclut à un décès dû à un arrêt cardio-circulatoire généré par “suffocation et appui postérieur dorsal”. Un non-lieu définitif est prononcé en 2014. La famille saisit la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
  • En 2008, Abdelhakim Ajimi, 22 ans, meurt suite à son immobilisation par deux policiers qui le menottent aux pieds et aux mains et font pression sur sa poitrine et sa nuque. L’autopsie conclut à une mort par “asphyxie mécanique lente avec privation prolongée d’oxygène”. En 2013, deux policiers de la BAC sont condamnés à 18 et 24 mois de prison avec sursis, et un policier municipal à six mois avec sursis.
  • En 2007, Lamine Dieng, 28 ans, décède après été immobilisé par plaquage ventral avec les mains menottées, les pieds sanglés, et 4 policiers faisant pression sur son corps. L’autopsie conclut à une mort par asphyxie. Un non-lieu définitif est prononcé en 2017. La famille a saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Suite à la mort d’Adama Traoré le 19 juillet 2016, l’association ACAT se mobilisait à son tour contre l’usage de ces pratiques :

Dans la totalité de ces affaires, les agissements des forces de police sont restées impunies. Presque toutes les affaires ont fait l’objet de non-lieux.

Il ne s’agit pas d’homicides involontaires. Les policiers connaissent les risques et font le choix conscient d’appliquer des techniques dangereuses voire interdites, ignorant volontairement les multiples signaux permettant de constater que des hommes sont en train de mourir entre leurs mains (asphyxie, gémissements, appels à l’aide, vomissements, pertes de connaissance, saignements, changement de couleur du visage…)

Il y a un combat à mener, pour la vie, pour la vérité et pour la dignité des victimes et de leurs familles !