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Le 3 décembre 2019 comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Mont-de-Marsan trois gendarmes de la brigade de Mimizan (Landes). Poursuivis à eux trois pour 27 infractions au total, ils encourraient jusqu’à dix ans de prison (France Bleue Landes, 4/12/2019). A l’origine de l’affaire : un gendarme apprenti qui a osé balancer ses chefs. Ces apprentis sont des “gendarmes adjoints volontaires”, des jeunes de moins de 26 ans recrutés pendant un an en contrat d’apprentissage (moitié du temps à l’école de gendarmerie, l’autre moitié “en unité”). Ce “signalement” a donné lieu, en mai 2018, à l’ouverture d’une enquête administrative confiée à l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale). En parallèle, le parquet a ouvert une instruction pour des faits allant de 2017 à 2019 impliquant trois officiers de la brigade de Mimizan. Les trois agents ont bien tenté de contester la compétence du parquet à lancer une enquête judiciaire, mais finalement leur recours a échoué, la procédure lancée par le procureur de Mont de Marsan a été validée par la cour de cassation.

Ces faits sont loin d’être isolés, ils révèlent des pratiques courantes d’une grande banalité qu’il est rarissime de voir exposées au grand jour. D’autant plus banales lorsqu’elles se déroulent dans des communes rurales de taille moyenne (6.800 habitants à Mimizan) où les forces de l’ordre jouissent d’un pouvoir discrétionnaire et profitent de l’omerta. Cela nous rappelle d’autres affaires similaires qui n’ont été révélées que grâce à l’opportunisme ou au simple courage de quelques personnes. Nous décidons d’en parler non pas pour en révéler le caractère exceptionnel, mais bien au contraire parce qu’elles représentent les symptômes implacables de la domination policière.

Les mis en cause :

  • Major L., chef de la brigade, aujourd’hui à la retraite à hauteur de 1900€ mensuel, poursuivi pour 17 infractions;
  • Adjudant J., aujourd’hui à la retraite (1300€ mensuel), poursuivi pour 6 infractions;
  • Adjudant chef O., toujours en poste à ce jour mais ayant bénéficié d’une mutation, poursuivi pour 4 infractions.

A noter que ce maintien en poste a provoqué l’incompréhension du procureur qui a souligné qu’un autre gendarme de la même brigade, qui avait refusé de se soumettre à l’enquête administrative, était lui aussi maintenu en poste. La partition du parquet sonne faux, puisque l’enquête administrative incriminait quatre à cinq autres gendarmes de la brigade de Mimizan. Sur un effectif total de treize agents, huit à neuf d’entre eux auraient donc pu être poursuivis par les magistrats des Landes.

L’audience a duré huit heures trente, et l’énoncé des faits a pris à lui seul quatre heures de temps. Les accusés ont tout nié en bloc, qualifiant leurs collègues et les témoins de menteurs. Le major évoque également une soif de vengeance de la part des anciens collègues qui l’incriminent.

Abus d’autorité, violences sur personnes vulnérables, irrégularités et entraves…

Nous avons listé certaines des infractions retenues contre les gendarmes avec le détails des faits.

Major L. ancien commandant de la brigade :

  • Deux cas de violences volontaires sur personnes vulnérables. Violences commises par le major L. et l’adjudant J. sur des personnes sans domicile fixe placées en cellule de dégrisement. Mises à nue dans leur cellule et rouées de coups afin de “les faire taire”. Ils ont également menacé les deux victimes de les “déposer en forêt” au milieu de la nuit… Autre fait accablant : le major a ajouté au contenu de la bouteille d’une des deux personnes sans domicile fixe “de l’alcool à brûler” (sic). Probablement fier, il se vantait auprès de ses collègues d’avoir commis cet acte ignoble.
  • Humiliation et violences sur un enfant de 12 ans: un vol de portable a lieu dans un club de surf de la commune. L’encadrant téléphone à la gendarmerie, le major lui demande de venir à la brigade avec les enfants afin d’élucider le vol. Le minibus du club est alors amené à la gendarmerie et l’éducateur désigne l’enfant qu’il suspecte être l’auteur du vol. Le major fait alors entrer l’enfant dans la gendarmerie et le fait mettre nu devant tout les adultes présents, et lui demande d’écarter les jambes. L’enfant finira par avouer avoir caché le téléphone dans la portière du minibus (précision : le jeune homme s’est ensuite constitué partie civile suite à l’ouverture de l’instruction). L’instruction a montré qu’après coup, le major est allé consulter le fichier TAJ du jeune homme pour y constater la trace d’une ancienne infraction (sans forcément qu’il y ait eu jugement : le TAJ enregistre l’activité policière mais n’est pas un casier judiciaire). Le major fournit alors cette information à son avocat afin de criminaliser la victime et la décrédibiliser.
  • Détention de stupéfiants. Lorsque le major n’est pas en service, ce sont les brigades motorisées (BMO) qui réalisent les contrôles de stupéfiants. Le lendemain d’une saisie réalisée par les BMO, les agents déposent la drogue ainsi que les procès verbaux d’infractions sur le bureau du major. Au lieu de mettre ces preuves sous scellés et de les placer à disposition de la justice (comme l’exige la procédure en pareil cas), le chef de la brigade de Mimizan décide de stocker les stupéfiants sur le toit de son armoire pour s’en servir de monnaie d’échange avec ses informateurs. Puis, il signe les procès verbaux à postériori et les enregistre dans la base de données.
  • Escroquerie à l’assurance d’un montant de 210 euros. Lors d’un accident avec son véhicule personnel pendant son service, le major fait intervenir le garagiste sollicité habituellement par la brigade pour obtenir une fausse facture afin de ne pas payer la franchise.
  • Abus d’autorité et subordination de témoins. Il isole et exerce des pressions sur un gendarme apprenti afin qu’il revienne sur sa déposition lors de l’enquête administrative ouverte à son encontre.
  • Écoutes téléphoniques illégales. Le major mettait à disposition ses identifiants et mots de passe sur le logiciel de mise en place des écoutes téléphoniques. Certaines ont été jugées illégales car réalisées sans aucune réquisition préalable.
  • Entraves à l’instruction, faux et usage de faux. Le major effectue un contrôle d’alcoolémie sur une personne, accompagnée de ses enfants, qui aurait du entraîner la suspension immédiate du permis. Malgré cela, il laisse la personne rester au volant pour se rendre jusqu’à la gendarmerie. Arrivé sur place, le major constate que le conducteur est recherché pour récidive de conduite sans permis. Le gendarme raccompagne le conducteur et ses enfants à leur domicile et convoque ce dernier le mardi suivant à la gendarmerie, sans lui expliquer pourquoi. Le jour de la convocation, le major applique la procédure relative au mandat d’arrêt mais efface toute trace du délit d’alcoolémie commis.
  • Autres irrégularités de procédures. Le major a rédigé des procès verbaux frauduleux, en son nom sans présence sur les lieux, et donc sans constats des faits.
  • Compérage”. Pour deux de ses connaissances, il a modifié des procès verbaux d’alcoolémie pour les faire passer de délit à simple contravention (sans perte de points) puis les a reconduit à leur domicile avec le véhicule de gendarmerie ! Pour se défendre le major a expliqué que ces personnes seraient “des informateurs”.

Réquisitions du procureur : 15 mois de prison avec sursis. Il est finalement condamné à trois mois de prison avec sursis. Sur les 17 chefs d’accusation, trois seulement sont retenus : l’escroquerie à l’assurance, la modification de procès verbaux d’alcoolémie et l’administration de substance nuisible. Les faits de violence sur personnes vulnérables, qui s’apparentent plus à de la torture, sont complètement ignorés. Enfin, les violences exercées sur l’enfant de 12 ans ne sont pas non plus retenues.

Adjudant J.

  • Deux cas de violences volontaires sur personnes vulnérables. Affaire déjà évoquée avec le major sur des personnes sans domicile fixe placées en cellule de dégrisement.
  • Violence sur un collègue qui a été auditionné par l’IGGN. L’adjudant a cherché à intimider ce témoin, un gendarme apprenti, afin qu’il revienne sur sa déposition. Violences ayant entraîné un jour d’ITT.
  • Violation du secret professionnel. L’adjudant a informé son fils que la famille de sa petite amie était sur écoute pour une affaire en cours d’instruction..
  • Abus d’autorité, faux et usage de faux. Le gendarme J. est en congés quand une femme ayant subie des violences doit faire une déposition. C’est un gendarme apprenti qui s’en charge, seul sur place. L’adjudant fera pourtant des allers et venues depuis son appartement pour “superviser” l’audition. A un moment donné, la victime signale qu’elle a subi un viol. L’adjudant va alors chercher une collègue à son domicile, alors qu’elle était aussi en congés, afin que l’audition puisse être menée par une femme. Une fois le procès verbal établi, il efface le nom du gendarme apprenti et met le sien à la place, alors qu’il n’a pas assisté à l’audition dans son intégralité.

Le procureur requiert une peine de 8 mois de prison avec sursis. Il est condamné à deux mois de prison avec sursis et 50 euros d’amende pour les faits de violence sur son collègue. Seulement deux des infractions sont retenues : la violation du secret professionnel et les faits de violence envers un homme dans la brigade. Les faits de violence sur personnes vulnérables sont, là, aussi complètement ignorés.

Adjudant chef O.

  • Procès verbaux à distance. Un gendarme apprenti constate une infraction à l’aérodrome, appelle l’adjudant chef qui réalise le procès verbal par téléphone, sans avoir constaté les faits en personne.
  • Non respect de la procédure pénale. Lors d’un contrôle, il tombe une personne sous mandat d’arrêt. Puis il aurait été appelé pour “une noyade”. Il laisse alors partir la personne recherchée, la convoque pour le mercredi suivant mais ne se présentera que le jeudi. A l’audience, le procureur demande au prévenu de rappeler la procédure légale à appliquer en pareil cas. L’adjudant chef ne répond pas. Avant d’affirmer que si une situation similaire se représentait, il agirait exactement de la même façon.
  • Faux et usage de faux. demande à un gendarme apprenti de réaliser un procès verbal sous le nom d’un autre gendarme habilité, mais en congé à ce moment là. A son retour de vacances, le gendarme concerné refuse le procédé. L’adjudant chef refait alors le procès verbal en son nom propre et demande au justiciable concerné par le PV de revenir le signer.
  • Omission d’infractions au code de la route. Il a participé aux combines du major pour protéger de soi-disant “indicateurs” (maquillages de PV d’alcoolémie pour les passer de délit à contravention, sans perte de points).

Réquisitions du procureur : 3 mois avec sursis. Condamné finalement à deux mois avec sursis, sur une seule infraction (les faux PV réalisés à distance).

Le 17 décembre, le parquet a fait appel de la décision. Le procureur Olivier Janson, conscient d’avoir sous la main de “bons clients” pour plaider les “dérapages” ou les “bavures” de quelques brebis galeuses, a fait des déclarations offusquées, comme quoi “ce sont des faits d’une exceptionnelle gravité” et que le jugement du TGI de Mont-de-Marsan n’est pas à la hauteur. Mais cet appel ne concerne en aucun cas les faits de violences. Les parties civiles sont déjà écœurées et n’espèrent pas grand chose de la cour d’appel.