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L’année vient à peine de commencer et déjà, le 6 janvier, la police a fait une nouvelle victime dans un appartement du boulevard Vaulabelle à Auxerre. Dans la nuit de jeudi à vendredi, Cyrille Faussadier, 37 ans, a fait une crise cardiaque lors de son interpellation. C’est la version officielle de la police, largement relayée par les médias qui évoquent l’affaire. Les policiers auraient été menacés par “une barre d’haltères”, ils ont alors fait usage de leur bombe lacrymogène et d’un tir de flash-ball. Comme Cyrille était chez lui, il semble donc que les policiers ont fait usage de cette arme dans un appartement, très probablement sans respecter la distance minimale de 5 mètres. Cela montre bien que vouloir contrôler l’usage de leurs armes par les policiers est une aberration. La seule solution, c’est de les désarmer. 

Les policiers ont ensuite plaqué Cyrille au sol et auraient alors constaté “qu’il était en train de faire une crise cardique” selon la procureure de la république d’Auxerre, Sophie Macquart-Moulin, dont les déclarations font l’essentiel du contenu des articles de presse. Cette histoire est encore le reflet de la répétition et de la banalité macabre des assassinats policiers et de leur traitement médiatique. Comme peuvent l’illustrer les exemples suivants, tirés uniquement de trois autres meurtres policiers commis en 2016.

Il est toujours difficile d’obtenir des informations sur les victimes de la police. Lorsque l’information sort dans la presse, c’est sous la forme d’un entrefilet dans la rubrique des faits-divers. Dans ces quelques lignes, la victime est toujours dépersonnifiée, on ne connait pas son nom, au mieux on a le droit de connaître son sexe, voire son âge et s’il s’agit d’une personne non-blanche, ses origines ou sa nationalité. Mais il faut bien désigner la personne qu’on ne veut pas nommer, les expressions sont alors toutes trouvées. Il s’agit en général d’un “forcené”. Ce sont les mots de la procureure Sophie Macquart-Moulin dans cette affaire, mais on retrouve aussi cette expression dans les titres des articles consacrés à l’homme de 51 tué par la police le 28 octobre 2016 à Échirolles près de Grenoble (1).

Utiliser le terme de “forcené”, c’est réduire une personne à un état affectif et lui nier sa capacité de raisonnement, de façon à justifier l’action policière. Cela impose un double combat : rendre un statut à la personne décédée et rétablir la vérité d’une part, et d’autre part défendre politiquement le fait que l’histoire, les actes ou la personnalité d’un individu ne pourront jamais justifier sa mise à mort par la police (à ce sujet, lire la brochure publiée par “Les mots sont importants).

Pour justifier que la victime était un “forcené”, on précise qu’elle a menacé les policiers avec une arme. Pour la victime d’Échirolles, il s’agissait d’un pistolet d’alarme (2). L’homme tué le 2 septembre par la police à Vincennes avait quant à lui un couteau. Dans ces deux affaires, les victimes sont mortes par balle. Dans l’affaire du 6 janvier, il s’agissait d’une barre d’haltères, la police n’a utilisé “que” son flashball. Dans les trois cas, la disproportion évidente des moyens employés n’est jamais mise en avant. Pire, dans l’affaire d’Échirolles, les policiers ne savaient même pas exactement par quoi ils se sentaient menacés et le pistolet d’alarme n’était pas chargé. Si un enfant sort un pistolet en plastique, comment vont-ils réagir? (3)

Un autre aspect souligné par la procureure et donc par la presse concerne les antécédents psychiatriques de la victime. Comme pour la personne tuée par la police le 2 septembre 2016, cet argument est utilisé pour souligner  la marginalité et la dangerosité supposées de la victime. Elle n’est alors plus présentée pour ce quelle est, à savoir une personne vulnérable et une victime de la violence policière. Bien évidemment, personne ne va pointer du doigt les politiques de santé mentale ou même le désengagement financier de l’État dans ces secteurs.

Ces antécédents psychiatriques permettent de mettre en avant un deuxième aspect, là encore très commun dans les meurtres policiers : la recherche d’une autre cause du décès. Le fait que l’action des flics ait causé la mort de la victime est remis en cause, comme dans le cas d’Adama Traoré, où l’autopsie précisait qu’il souffrait d’”une infection très grave”. Dans le cadre du meurtre du 6 janvier, le suivi médical de la victime est mis en avant pour expliquer la crise cardiaque. Pour défendre les policiers, les représentants de l’État sont prêt à tout, quitte à dénoncer l’usage des médicaments dans les traitements psychiatriques. Leur mauvaise foi est sans limite. On attend avec impatience la contribution de cette procureure aux groupes de lutte et de réflexion sur la psychiatrie…

Tous ces éléments amènent la procureure de la république à conclure “qu’il n’y a pas lieu de penser qu’il s’agit d’une bavure policière”. Sur ce point là, nous sommes d’accord, il faut appeler les choses par leur nom et ne pas réduire ces faits à une anomalie, car ils sont systémiques : la police ne commet pas de bavure, elle assassine. 

En attendant le désarmement de la police et sa dissolution, nous ne pouvons que présenter nos condoléances aux proches de la victime et leur affirmer tout notre soutient pour les épreuves qu’ils traversent et vont avoir encore à traverser : la perte d’un proche, les mensonges de la police et de la justice, et les attaques médiatiques sur l’identité et l’honneur de la victime. 


(1) http://www.francetvinfo.fr/france/echirolles/forcene-abattu-a-echirolles-une-enquete-pour-homicide-volontaire-ouverte_1896023.html ou http://www.20minutes.fr/societe/1951739-20161029-echirolles-forcene-abattu-forces-ordre-garde-vue-cinq-policiers-levee

(2) Un pistolet qui tire à blanc ou bien des fusées, une arme qui ne fait pas peur à grand monde, à part peut-être aux huissiers : https://paris-luttes.info/creteil-une-dame-de-72-ans-6981?lang=fr

(3) C’est ainsi que Tamir Rice a été tué à Cleveland : http://www.francetvinfo.fr/monde/ameriques/etats-unis-un-garcon-de-12-ans-tue-par-la-police-apres-avoir-sorti-un-pistolet-factice_752513.html


En vrac, les sources de presse qui ont servi de support à la rédaction de cet article:

http://desailesauxtalons.blogs.nouvelobs.com/archive/2017/01/07/jesus-etait-ne-un-jeudi-a-auxerre-il-en-est-mort-596847.html

http://www.ouest-france.fr/bourgogne/yonne/auxerre-un-homme-de-37-ans-meurt-lors-d-une-interpellation-4720230?utm_source=filinfo-liveinfos&utm_medium=fluxrss&utm_campaign=banquedecontenu

http://www.francesoir.fr/societe-faits-divers/auxerre-en-pleine-crise-de-demence-un-homme-meurt-apres-un-tir-de-flash-ball-policiers-interpellation-crise-cardiaque-37-ans-arme

https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/auxerre-un-homme-meurt-lors-de-son-interpellation-1483731393

http://www.msn.com/fr-fr/actualite/france/un-trentenaire-meurt-lors-de-son-interpellation-%C3%A0-auxerre/ar-BBxZear?li=BBwlBpb&ocid=spartanntp

http://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne/yonne/auxerre/homme-est-mort-lors-interpellation-auxerre-1169193.html