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Le huit juillet 2009, suite à l’expulsion d’un immeuble occupé, la police nous a tiré dessus au flash-ball. Cinq personnes ont été touchées. Joachim a perdu un œil. Une instruction a été ouverte peu de temps après les faits. Trois policiers ont été mis en examen. L’un d’entre-eux est sous le coup d’un contrôle judiciaire, il lui est interdit de porter une arme. Nous nous préparons à un procès.

Dans les années 2000 la police a réprimé systématiquement les luttes sociales (mouvement contre le CPE, révoltes dans les banlieues, soulèvements dans les Centres de rétention administratif…). Ces années-là, l’extension de la législation anti-terroriste et la dotation de flash-ball ont été les moyens les plus « spectaculaires » pour criminaliser et terroriser préventivement toute tentative de révolte ou de contestation.

Ces années-là, à Montreuil comme ailleurs, la police occupe la rue. Des opérations organisées par la Préfecture pour traquer les étrangers, dans les transports en commun, aux abords des foyers, répondent aux annonces chiffrées du gouvernement Sarkozy en matière d’expulsion de sans-papiers. Des assemblées de quartier s’organisent alors contre les rafles ; un numéro d’urgence est créé pour intervenir rapidement en cas d’opération policière ; des manifestations ont lieu régulièrement autour des différents foyers de travailleurs migrants. D’autres formes d’entraide et de solidarité existent quotidiennement : occupation de logements vides ; actions collectives contre le contrôle social et administratif ; récup’ et redistribution de nourriture… La confrontation avec la police est de plus en plus fréquente. Les agents de la BAC n’hésitent pas à menacer ou à tirer au Flashball dans les rues de Montreuil.

Fin 2008, une ancienne clinique est occupée en plein centre-ville de Montreuil. Une quinzaine de personnes y habitent. L’immeuble accueille un infokiosque, une cantine, un ciné-club, des permanences d’auto-défense sociales, des concerts, des assemblées, un magasin gratuit et une radio de rue les jours de marché. Le 8 juillet 2009, à 6 heures du matin, la « Clinique » est expulsée. La Préfecture mobilise le RAID et plus de deux cents flics, qui bouclent tout le quartier pendant plusieurs heures. Le soir même, une cantine est installée à une centaine de mètres à l’entrée d’une rue piétonne. A la fin du repas, nous partons en ballade jusqu’à la Clinique. Des policiers arrivent, s’équipent, se mettent en ligne. Alors que nous sommes tous en train de nous éloigner, des rafales de tirs éclatent. L’un d’entre nous tombe à terre. Les flics continuent à pourchasser dans les rues de la ville le reste des manifestants, et à leur tirer dessus. Au total 6 personnes sont touchées, dont 5 à hauteur de visage.

Le lendemain, Joachim est sur un lit d’hôpital attendant une opération. Il a perdu son œil droit. Une brève dépêche de l’AFP dictée par la Préfecture fait état d’un manifestant susceptible d’être blessé. Rapidement les choses s’enchaînent. Il faut répondre, faire quelque chose. Dans l’urgence, quatre plaintes sont déposées contre la police. Dans le même temps, une manifestation s’organise pour le 13 juillet. Plus de 500 personnes manifestent dans les rues de Montreuil.Les participants ont été appelés à venir casqués pour se protéger. Des banderoles renforcées protègent la tête et la queue de la manifestation Devant la place du marché, une quarantaine d’agents de la BAC charge le cortège.

Quatre années se sont écoulées. Les flics de Montreuil n’ont cessé de prendre à parti dans les rues ou lors d’actions publiques certains d’entre nous. Certains se sont fait clairement menacer à plusieurs reprises, ou discrètement tabasser lors d’une arrestation. Cependant des logements vides ont continué à être occupés. Des lieux d’organisation politique se sont ouverts. Des collectifs de lutte ont continué à se mobiliser.

Depuis 2009, une enquête a été prise en charge successivement par deux juges d’instruction. Trois flics ont été mis en examen, l’un d’entre eux placé sous contrôle judiciaire et interdit de port d’arme. Ce qui n’empêche pas le reste du commissariat de continuer de sortir banalement leur flashball et de ne pas hésiter à tirer. En juillet 2010, pendant le mouvement contre la réforme des retraites, Geoffrey, un garçon de 16 ans perd son oeil devant son lycée à Montreuil touché également par un tir.

Après deux ans d’instruction, le dossier est désormais bloqué depuis 1 an et demi entre les mains du procureur. Celui-ci suspend la décision de renvoi devant les tribunaux, nous plaçant dans une attente indéfinie.

Nous nous nous sommes constitués en collectif pour nous saisir de ce temps imposé, pour créer un espace commun à partir de ce qui est arrivé le 8 juillet. Nous, c’est-à-dire des personnes présentes ou non ce soir-là, décidées à se défendre face à la police. Il s’agit de nous relier à d’autres histoires, d’autres lieux, d’autres personnes. Nous nous engageons dans un processus public pour à la fois prendre en charge collectivement ce procès contre la police, et aller au-delà.

Nous avons commencé à rencontrer d’autres personnes mutilées par des tirs de flashball. Nous sommes venus soutenir Pierre à Nantes lors du procès contre le flic qui lui avait tiré au visage (acquitté). Nous avons participé à Montbéliard à un débat public avec Ayoub, mutilé à son retour de l’école par un tir de la BAC.

Nous allons aussi saisir le Tribunal administratif, en coordination avec d’autres collectifs soutenant des personnes blessées par la police (à Paris lors d’une fête de la musique, à Nantes pendant une occupation du rectorat, et à Notre Dame des Landes où la police ne cesse d’expérimenter de nouvelles armes). Par cette procédure il s’agit de mettre en cause le rôle de l’administration, de l’État, et non plus la responsabilité individuelle d’un flic, comme au pénal.

Nous collectons les témoignages de personnes blessées par ces armes mutilantes dites non létales. Le Flashball n’est pas une exception de l’action policière. Il permet d’analyser l’évolution des principes et des stratégies du maintien de l’ordre. Les années qui ont suivi l’introduction de cette nouvelle arme montrent que sa présence permanente dans les quartiers et dans les manifestations a de nouveau banalisé le fait de tirer. Enquêter collectivement sur les conditions de son utilisation est un des moyens de montrer ce que fait réellement la police et à quoi elle sert.

Sur qui, sur quoi tire la police ?

Partir de ce qui nous est arrivé là où nous luttons, vivons, habitons, c’est la seule façon de rompre l’isolement. Isolement face aux violences et aux blessures. Isolement face à la police et à ses armes. Isolement face à la Justice.

Une instruction, un procès, ne répondent jamais aux attentes que l’on peut y investir. Sur ce terrain que l’on ne choisit jamais, où nous devrons sans cesse nous justifier (alors que ce sont eux les tireurs), il faut pouvoir faire exister les histoires des uns et des autres. Celles du passé, de toutes les familles et des comités qui se sont organisés contre les crimes de la police, comme celles du présent. Nos histoires. Nous y voyons le seul moyen de puiser de la force et une possibilité d’organisation pour les premiers concernés. A l’intérieur, mais surtout à l’extérieur des tribunaux.

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