Que s’est-il passé dans la nuit de samedi à dimanche, lors des affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants au barrage de Sivens ? Petit à petit, on commence à en savoir un peu plus sur les circonstances de la mort de Rémi Fraisse, 21 ans. «On a retrouvé des traces de TNT, sur certains scellés, provenant des effets vestimentaires de la victime», a annoncé le procureur, Claude Dérens, à la presse, mardi après-midi. Ces résultats «orientent donc l’enquête, puisque la mise en œuvre d’un explosif militaire de type “grenade offensive” semble acquise au dossier», a dit le magistrat. Il précise que «le TNT figure dans la composition des charges des grenades lacrymogènes ou offensives utilisées par les gendarmes». Dans la foulée, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, a suspendu l’utilisation des grenades offensives.

Dans le cadre du maintien de l’ordre, plusieurs types de grenades sont en effet autorisés par le décret n° 2011-795 du 30 juin 2011. La «grenade GLI F4», qui est une grenade lacrymogène instantanée, c’est-à-dire avec effet de souffle. Ou encore la «grenade OF F1». Elle est, selon l’ancien site d’un des fabricants, Alsetex, cité par Rue89, une «grenade offensive sans éclats 410» qui produit un «effet intense et psychologiquement agressif » qui « rend ainsi possible la neutralisation rapide et efficace [des] manifestants […] dans un contexte dur et résistant». Viennent également la «grenade instantanée» sans lacrymogène et la «grenade à main de désencerclement». Pour utiliser ces armes, les gendarmes possèdent des lanceurs de grenades de 56 mm et de 40 mm.

En principe toutes non létales, il a pourtant déjà été observé de nombreux cas de mutilation par ces armes lors de manifestations. Souvent la perte d’un œil, l’amputation d’orteils, des brûlures et des plaies diverses. En 2013, après la main arrachée d’un manifestant pendant une protestation en Bretagne, une «source gendarmerie» sur Rue89 expliquait que les grenades d’encerclement ne sont utilisées en théorie que «lorsque les forces de l’ordre sont encerclées et doivent briser cet encerclement, dans un cadre d’autodéfense rapprochée et non pour le contrôle d’une foule à distance».

Photo prise le 09 décembre 2002 au château de Pomponne, siège de la Compagnie républicaine de sécurité CRS4, d'une grenade lacrymogène, dissuasive lors des manifestations.       (FILM)

(Photo prise le 09 décembre 2002 au château de Pomponne, siège de la Compagnie républicaine de sécurité CRS4, d’une grenade lacrymogène, dissuasive lors des manifestations. AFP)

La commission nationale de déontologie de la sécurité a publié en 2009 un rapport sur «l’usage des matériels de défense et de contrainte par les forces de l’ordre». Elle consacre une page à de «sérieuses blessures» occasionnées par des grenades et donne deux exemples précis. A chaque fois, elles n’auraient «pas fonctionné correctement». 

«Lors de la manifestation de Toulouse du 7 mars 2006, M.M.R. a été touché à la tête par une grenade lacrymogène qui aurait dû éclater en vol. Le médecin qui l’a examiné a notamment constaté un traumatisme crânien sans perte de connaissance, et plusieurs plaies profondes au niveau du front et du sourcil ayant entraîné la pose de quarante points de suture», écrit-elle notamment. 

En 2008, à Grenoble, une «grenade de désencerclement dite DMP a grièvement blessé trois personnes», notamment pour une jeune femme qui a subi une plaie profonde à la jambe gauche occasionnant une ITT de vingt et un jours. 

Le CNDS regrettait, à l’époque, qu’il était écrit «à tort», sur le site de la direction de l’administration de la police nationale que «les DMP provoquent une déflagration accompagnée de rectangles de caoutchouc “non susceptibles de blesser”. Cette information devrait être corrigée, et il importerait de rappeler qu’il s’agit d’une munition de 1ère catégorie, susceptible de provoquer de graves blessures en cas de lancer dans des conditions inadéquates».

Photo d&squot;une grenade de désencerclement, projectile destiné à être lancé par un fusil "cougar", prise le 09 décembre 2002 au château de Pomponne, siège de la compagnie républicaine de sécurité CRS4.     (FILM)

(Une grenade de désencerclement, projectile destiné à être lancé par un fusil «cougar». Photo d’archives de 2002. AFP)

Les zadistes de Notre-Dame des Landes ont consacré un long dossier documenté aux «armements du maintien de l’ordre» sur leur site officiel. Ils citent une médecin de Loire-Atlantique, Stéphanie Lévèque, qui a envoyé un courrier indigné au préfet pour protester contre l’utilisation de telles armes. Elle expliquait avoir constaté «6 blessures par explosion de bombes assourdissantes dont : 3 impacts dans les cuisses de 3 personnes ; un impact dans l’avant-bras d’une personne ; un impact dans la malléole d’une personne ; 10 impacts dans les jambes d’une personne ; 10 impacts dans les jambes d’une personne avec probable lésion du nerf sciatique et un impact dans l’aine d’une personne avec suspicion d’un corps étranger près de l’artère fémorale». Pour la médecin, «les débris pénètrent profondément dans les chairs risquant de léser des artères, nerfs ou organes vitaux».