Publié initialement sur : https://www.lemonde.fr/blog/moreas/2011/08/11/le-canon-a-eau-dans-les-manifs/
|
David Cameron a déclaré qu’il était prêt à mettre les canons à eau en action – si nécessaire. Une véritable renversée pour les Britanniques, jusqu’à présent peu enclins à utiliser la force dans les manifestations. Ces engins ont une mauvaise image, et pourtant, il s’agit d’un moyen efficace et peu dangereux pour disperser une émeute. En France, pour l’instant, tout est calme, mais les CRS viennent de toucher de magnifiques camions « lanceurs d’eau ». Une première, car, à ce jour, seule la préfecture de police de Paris utilisait ce type de matériel.
Lorsqu’un commissaire de police donne l’ordre de charger des manifestants, c’est que tout a échoué. L’affrontement direct est la dernière des solutions. Or les moyens préliminaires sont peu nombreux : gaz lacrymogènes, obstacles de rue pour limiter les déplacements ou barrages humains, qui nécessitent de nombreux effectifs et mettent souvent à vif les nerfs des policiers ou gendarmes, obligés de rester statiques sous les injures ou les projectiles. Or, deux hommes dans un camion lanceur d’eau peuvent vider un périmètre de ses occupants. Et cela sans risque. Car, à ma connaissance, personne n’a jamais été sérieusement blessé par un jet d’eau, même puissant.
Lors d’une interview donnée au magazine Police Pro, en février dernier, Hubert Weigel, alors directeur des CRS, expliquait les raisons de ce choix, notamment lié à la diminution des effectifs, à une augmentation des interventions et à l’évolution des techniques de maintien de l’ordre. « Moins il y a de confrontations physiques, mieux on se porte ! » expliquait-il. Il faut dire qu’Internet a changé la donne. De nos jours, les photos ou les vidéos amateurs d’une manif font le tour de la planète en quelques minutes. Avec, souvent, un objectif amplificateur ou déformant. Et les États se trouvent confrontés à un dilemme, un problème d’image : celle d’un pays où la rue a pris le pouvoir ou celle d’une police exagérément répressive. Entre les événements de Grande-Bretagne et ceux de Syrie, on a les deux extrêmes.
C’est sans doute cette réflexion qui a amené la Direction centrale des CRS à s’intéresser aux camions lanceurs d’eau, en étudiant notamment les dispositions prises en Allemagne. Elle dispose depuis quelques mois de neuf véhicules de ce type et en attend encore une douzaine. Deux sont tout neufs, les autres sont des camions-citernes des Eaux et Forêts, relookés par les techniciens du service auto. J’espère qu’on n’a pas dépouillé les pompiers et qu’il leur reste de quoi lutter contre les incendies !
En Allemagne, l’utilisation des lanceurs d’eau fait partie de la routine, alors que de l’autre côté de la Manche, on est quasi au bout de la chaîne répressive. Presque un aveu d’échec. Surtout quand le Premier ministre parle d’une « riposte »… Quant à la France, elle fait ses premiers pas dans ce domaine (sauf à Paris).
Iveco Magirus, le spécialiste des véhicules de lutte contre l’incendie, est bien placé dans la construction de ces engins particuliers. Toutefois, même si on n’en voit pas au salon de l’auto, Mercedes en fabrique également. Le 4000 Renault M210 (photo du haut), de taille relativement petite (6 m.15) possède une citerne de 4.000 litres. Le débit de son canon est de 500 litres à la minute avec une portée d’environ 30 mètres. Ce qui lui donne une autonomie d’action théorique de huit minutes. Mais quel que soit le modèle, il s’agit dans la pratique d’expédier des « rafales » en pointillés, et il est possible de graduer la force du jet suivant le but recherché : dissuader ou refouler. L’objectif n’est pas de viser les gens, mais de les faire déguerpir, comme on le voit sur cette capture d’écran. Toutefois, dans le passé, des petits malins avaient imaginé de colorer l’eau pour mieux repérer les groupes les plus virulents.
Comme tout matériel de police, ces engins ne sont pas vraiment sympathiques. On peut imaginer un monde sans agressivité, sans casseurs, où les canons à eau deviendraient des objets de collection. Hélas, on n’en est pas là. Et pas besoin d’être prophète dans son pays pour savoir que les difficultés qui nous attendent n’iront pas sans une recrudescence des manifestations, plus ou moins violentes – pas seulement en Grande-Bretagne et en Grèce.
Il paraît que ce tour de vis social, dont les premiers signes se font déjà sentir, serait le prix à payer pour rétablir l’équilibre financier mondial…