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Une photographie prise par Anar’ckanethym et publiée sur sa page Facebook puis reprise par Nantes Révoltée nous avait alerté sur l’utilisation d’une nouvelle arme par les forces de l’ordre française. Au regard des photographies, nous avons d’abord pensé qu’il s’agissait d’un fusil à barillet (multi-coups) de 37 mm, l’ARWEN, utilisé par les forces de l’ordre québecoises.

En réalité, il s’agit d’un lance-grenade de 40 mm, le PGL65, comme l’a démontré l’article détaillé publié par le collectif d’entraide à la rédaction sur Rebellyon.info, que nous reproduisons ici :



Une photo prise à Lyon lors de la manifestation de jeudi 2 juin contre la visite de Macron montre un CRS avec une arme peu connue mais impressionnante : un “lance-grenades multiple”. Un engin dont les photos avaient fait le tour du monde lors de la répression des émeutes de Ferguson, après la mort de Mike Brown. Mise à jour vendredi 23h30 : les CRS ont aussi sorti ce lance-grenades à Nantes (pour la première fois semble-t-il) hier.


Alors que tout le monde s’inquiète des violences policières, il semblerait que ce ne soit que le début. La police nous réserve toujours des surprises dans ce domaine. C’est l’excellent site du collectif Désarmons-les qui lançait l’alerte dimanche. Après la journée de mobilisation contre la venue de Macron le 2 juin à Lyon, un camarade de la CGA a publié sur sa page Facebook une photo d’un CRS équipé de cette arme énorme dans le centre-ville.

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Lyon, le 2 juin 2016 (Anar’ckanethym).

Un design impressionnant qui rappelle les mitraillettes à la Al Capone. La même sulfateuse avait aussi été aperçue entre les mains de CRS à Paris, lors de la manifestation du samedi 9 avril.


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Paris, le 9 avril 2016 (photo PaulDZA).


Elle était apparue également quelques jours plus tôt, le mardi 5 avril, à l’occasion d’un rassemblement devant un commissariat parisien où avaient été emmenés des dizaines de lycéen·nes, rue de l’Evangile. Ce 2 juin, c’est devant l’hôtel de ville de Lyon, devant l’Opéra, que cette arme a été sortie, face à une cinquantaine de manifestant·es.

Selon Désarmons-les, il s’agirait d’un Arwen 37, connu au Canada pour avoir blessé de nombreux manifestant·es en tirant des balles de plastique en rafale. En examinant de plus près les photos, notamment la crosse et la poignée, le doute s’installe. Quelle est donc vraiment cette arme ?

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L’Arwen 37

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L’engin exhibé par les CRS le 2 juin à Lyon

 

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L’arme photographiée le 9 avril à Paris


On épluche les photos sur Internet, on se noie dans les forums pas franchement passionnants d’armement, on ne trouve rien de probant. Une camarade de Radio Canut, qui prépare une émission sur les « casseurs », téléphone au ministère de l’Intérieur. Autant avoir les infos à la source, on fera le tri plus tard.

Après avoir demandé des “éléments de langage” auprès de sa hiérarchie, l’officier en charge des réponses elliptiques confirme qu’il ne s’agit pas d’un Arwen 37, l’arme canadienne. Il indique seulement qu’il s’agit d’un “lance-grenades multi-coups” ou “à répétition”, capable d’envoyer 6 projectiles d’affilée jusqu’à 100 ou 150 m. Une centaine de ces lance-grenades seraient en fonction en France (certains provenant d’autres fabricants d’après le ministère) et en dotation dans la police depuis 2010.

Rien de neuf alors ? Cette arme n’est pourtant documentée nulle part [1]. Quant à son apparition, elle était rare jusqu’à ces derniers mois. La sortie de ces “lance-grenades à répétition” doit donc être réservée à des moments excessivement dangereux pour les forces de l’ordre. Comme ce jeudi 2 juin à Lyon, face à 50 manifestant·es rincé·es par la pluie devant l’hôtel de ville. D’après les “éléments de langage” du ministère, les conditions d’utilisation seraient les mêmes que pour les lacrymos, pas besoin par conséquent de circulaire spécifique. Pratique.

L’officier refuse évidemment de préciser le modèle ou même le fabriquant de l’engin sur la photo. On le comprend, parce qu’on découvre finalement son nom [2]. C’est un lance-grenades Penn Arms 40 mm, qui fonctionne comme un fusil à pompe.

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Au centre, un Penn Arms dans la même configuration que celle des CRS chez un armurier


C’est surtout l’une des armes qui symbolisent la militarisation de la police américaine. Une photo d’un policier l’utilisant à Ferguson a fait le tour du monde. Elle figure en couverture d’un rapport policier sur le maintien de l’ordre lors des émeutes après la mort de Mike Brown [3].

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Ferguson, le 18 août 2014 : un policier tire avec un lance-grenades multiples Penn Arms équipé d’un viseur

Entre les mains de nos CRS, c’est plus exactement un lance-grenades multiples PGL65-40 [4]. Multiple à la fois par la répétition possible (6 tirs en 4 secondes), mais aussi par la diversité de munitions proposées par son fabricant américain.

Le ministère indique ne vouloir s’en servir, pour l’instant en tout cas, que pour tirer des lacrymos ou des fumigènes. Cette sulfateuse est toutefois prévue par Combined Systems pour se transformer en flashball à répétition (à partir de 35″ dans la vidéo suivante). Il suffit de changer les projectiles :



Fait plus inquiétant et immédiat, les lanceurs actuels Cougar et Chouca sont en théorie conçus pour obliger les policiers à tirer en cloche les lacrymos. « Les tirs tendus ne sont pas autorisés dans la police », déclarait Michèlle Alliot-Marie en 2009.. Pour autant, cela n’empêche pas les policiers de le faire régulièrement comme on a pu le constater ces derniers mois.

Le Penn Arms PGL 65-40 est, à l’inverse, prévu pour shooter la cible, comme au stand ou à la guerre. Il a ainsi blessé gravement des manifestant·es d’Occupy aux Etats-Unis, et un autre Penn Arms utilisé par l’armée israélienne a tué un manifestant en Palestine, Mustafa Tamimi.

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Le Penn Arms a été conçu pour le tir tendu.

 

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La couverture très militaire du catalogue d’armes “pas trop létales” de Combined Systems


Plus globalement, les munitions fabriquées par CSI ont fait des victimes partout à travers le monde. Si ces armes ont encore récemment été utilisées en Turquie ou au Bahrein, l’administration américaine aurait décidé, en début d’année, le retrait des lance-grenades qu’elle avait prêtée aux polices locales. En France par contre, la militarisation du “maintien de l’ordre” ne semble pas prêt de s’arrêter.

On se consolera en se disant que nos fiers flics français pourront enfin se croire au cinéma. Le Penn Arms est notamment mis en scène dans le film « Kick Ass 2 ». C’est l’arme d’un méchant. Évidemment.

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Mises à jour

- Vendredi 23h30 : le Penn Arms a été vu hier (pour la première fois semble-t-il) à Nantes.


[1Aucun modèle de lance-grenades à répétition n’est mentionné dans les différents décrets ou circulaires à la différence des monocoups 56 mm “Chouca” et “Cougar” qui nous arrosent régulièrement de lacrymos. Mais effectivement, sans préciser le modèle ou la marque, le code de la sécurité intérieure autorise des lance-grenades de 40 mm (d’autres lanceurs, donc, que les relous Cougar et Chouca).

[2Une note du blog du collectif 27 novembre nous met sur la piste en évoquant les lance-grenades multiples 40 mm Penn Arms en usage dans la police française. Les photos du fabricant confirment : mêmes détails de la crosse, même canon, même “pompe” (la poignée), même “magasin tubulaire” (sur lequel coulisse la pompe), etc.

[3La légende du rapport précise : “An officer fires a Penn Arms Pump-Action Multi-6 Shot Launcher near W. Florrisant Avenue, Ferguson on Monday, August 18, 2014. Photo Credit : David Carson / St. Louis Post-Dispatch”. La même arme, avec la même photo, est détaillée en annexe de ce rapport, p. 24.

[4Des spécifications sont disponibles sur le site de son concepteur Combined Systems (CSI).


Eléments techniques sur le Penn Arms PGL65-40

Modèle : Penn Arms Pump Multi-Launcher 5″ Cyl. Collapsing Stock

Calibre : 40 mm

Fréquence de tir :  6 tirs en 4 secondes

Système de fonctionnement : rotation du magasin par action de pompe sur la poignée antérieure.

Poids : 4 à 5 kg

Canon : 30,5 cm de longueur

Magasin : 6 fourreaux de 15 cm de longueur

Longueur : 58 cm (chargeur replié) à 86 cm (chargeur fermé)

Prix : 2600 à 3000 euros

Munitions : toute munition de calibre 40 mm (balles de défense semi-rigides SIR ou LBDR 40×46 ; cartouches de gaz CS, balles de mousse, balles de caoutchouc, balles de bois, sacs de sable…)

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Informations sur le fusil ARWEN

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Tristement connue de nos compagnons québécois, l’Anti Riot Weapon ENfield 37 (ARWEN), créée en 1977 par la Royal Small Arms Factory (RSAF) britannique pour mater les émeutes en Irlande du Nord, est fabriquée depuis 2001 par l’entreprise Police Ordnance Compagny.

L’ARWEN a déjà causé de nombreuses blessures graves, et notamment celles de Maxence L. Valade, Dominique Laliberté et Alexandre Allard, blessés le 4 mai 2012 dans le cadre des mouvements étudiants à Victoriaville. Le collectif Armes à l’Oeil s’est constitué au Québec autour des blessés par cette arme pour alerter sur sa dangerosité.

Cette arme, comme l’explique en détail un article de Moïse Marcoux Chabot, peut tirer différents projectiles : des grenades de gaz lacrymogène, mais également des balles en plastique, les “bâtons cinétiques” (modèle AR-1).

baton-cinetique-ARPrécisons que les fusils de type ARWEN ont été conçus à l’origine pour le gouvernement britannique dans le conflit l’opposant à l’Irlande du Nord, pour remplacer le L67A1 38mm Riot Gun qui tirait des balles de caoutchouc. Entre 1970 et 1975, plus de 55 000 balles de caoutchouc y avaient été tirées, causant la mort de 17 personnes, dont 8 mineurs. Les balles de caoutchouc ont aussi fait plusieurs victimes dans le conflit Israélo-Palestinien et posent de réels dangers pour la vie. Il n’est donc pas surprenant que David Cameron ait attendu au quatrième jour des graves émeutes de Londres du mois d’août 2011 avant d’autoriser l’usage de balles de caoutchouc ou de plastique sur les émeutiers.

D’ailleurs, le fusil ARWEN n’a finalement pas été adopté dans les années 1970 par le gouvernement britannique, jugé trop intimidant. Il n’a été manufacturé qu’à partir de 1983 et a été acheté d’abord par la police du Kentucky, aux États-Unis. Il est maintenant produit exclusivement par la compagnie ontarienne Police Ordnance depuis 2001. Brian Kirkey, PDG de Police Ordnance, a d’ailleurs déjà souligné le danger posé par le fusil ARWEN: «It’ll break bones if it hits. You don’t want to hit them in the head. You don’t want to hit them in the neck. That’s where you have a potential fatality.»

Moïse Marcoux-Chabot